17 Octobre 1961, le déni français

28/10/2024 mis à jour: 20:15
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17 octobre 1961, mater le bougnoule pour qu’il ne relève jamais la tête

 

17 octobre 2024, 63 ans après le massacre des Algériens, le 17 octobre 1961, à Paris, les autorités françaises ne daignent toujours pas reconnaître pleinement ce crime d’Etat que certains considèrent comme un crime contre l’humanité, dans la mesure où toutes les victimes étaient des manifestants pacifiques. 

Le 17 Octobre 1961, à Paris, à la demande de la Fédération de France du FLN, entre 20 000 et  30 000 Algériens avaient osé manifester pacifiquement pour que l’Algérie devienne algérienne, indépendante et que les Algériens retrouvent leur dignité écrasée. 

Ces Algériens, qui osaient remettre en cause l’ordre colonial français en Algérie, seront sanctionnés de la manière la plus inouïe possible, certains seront noyés, d’autres étranglés, d’autres abattus par balles et jetés dans la Seine comme de vulgaires détritus sous la houlette du préfet Maurice Papon. 

Ce préfet n’est pas seul, il est soutenu dans ses actions par le général de Gaulle et son Premier ministre Michel Debré. Le bilan, plusieurs centaines de morts, près de 400, selon Jean-Luc Einaudi, le spécialiste reconnu des massacres du 17 Octobre 1961. Ces événements tragiques prouvent que l’idéologie coloniale française en Algérie n’a jamais cessé de 1830 à 1962, date de l’indépendance, démontrant l’ignominie mais nous imposant aussi de mieux comprendre et nous rappeler les enjeux de cette colonisation française en Algérie.


1830 - 1962, la continuité des crimes contre l’humanité envers les Algériens

Trois moments-clés, la conquête, la colonisation et la guerre d’Algérie peuvent illustrer la continuité des crimes contre l’humanité commis envers les Algériens. L’ignominie française en Algérie se traduit par les massacres qui se sont étalés sur près de 130 années, passant des enfumades au moment de la conquête, aux massacres successifs de villages entiers comme Béni Oudjehane, pour aller vers les crimes contre l’humanité du 8 Mai 1945 sans oublier les attentats tels celui de la rue de Thèbes à Alger, la torture à grande échelle et les exécutions sommaires très proches des pratiques nazies pour se conclure par les massacres du 17 Octobre 1961. La violence était inouïe, et la France sait qu’elle a perdu son âme en Algérie en impliquant son armée et sa police dans les plus sales besognes. La plupart des tortionnaires étaient souvent de jeunes officiers carriéristes, assoiffés de sang algérien, avec à la clé pour certains les promotions aux grades suprêmes de maréchal ou général. 

Ces hauts dignitaires de l’armée française et de la police devaient terroriser pour que ces indigènes ne puissent à jamais relever la tête. Plus ils massacraient, plus ils avaient de chances de gravir les échelons, car l’ignominie de leurs actes leur donnait l’illusion que cette expédition et cette guerre seraient inéluctablement gagnées. Victor Hugo, le célèbre écrivain des Misérables, écrira sur Saint Arnaud qui avait commis l’irréparable en massacrant en masse les Algériens, «Ce général avait les états de service d’un chacal.» (V. Hugo, recueil Les Châtiments, Saint Arnaud). 


Il sait qu’ils se sont comportés comme des animaux pour massacrer et dominer les populations locales, dont un grand nombre de civils, vieillards, femmes et enfants. Saint Arnaud ne sera pas le seul. Le général Bugeaud, grand chef d’état-major, le général Cavaignac et d’autres, comme Pélissier, seront de grands adeptes d’une pratique originale, celle des enfumades ou de crimes et tortures ignobles à l’encontre de milliers de civils. La technique des enfumades consistait à enfermer femmes, enfants et vieillards dans des grottes que l’on avait pris soin de boucher avant d’y mettre le feu, sans aucun espoir d’en sortir. 

Ces crimes d’une rare violence lors de la conquête seront les premiers contre l’humanité en Algérie. Ils se poursuivront sous différentes formes durant toute la guerre d’Algérie. Assurément, c’est le politique qui a donné l’autorisation à ces militaires pour qu’ils agissent de la sorte.  Le général de Gaulle savait et avait donné son accord pour les massacres du 8 Mai 1945, pour la torture à grande échelle à partir de 1958 et enfin pour les massacres du 17 Octobre 1961.

A nouveau, c’est la même tragédie qui se répète, des centaines d’Algériens innocents sont massacrés au nom d’une suprématie française sur ces indigènes qui osent réclamer leur indépendance. Cette continuité dans l’ignominie à l’égard des Algériens durant près d’un siècle et demi nous impose de faire un bilan de cette colonisation à un moment où certains tentent d’imposer une pensée révisionniste de cette France coloniale en Algérie. 


Un bilan : des pratiques qui furent celles du nazisme

Que s’est-il réellement passé en Algérie durant près de 132 années de colonisation ? La colonisation et la guerre d’Algérie sont considérées et classées comme les événements les plus terribles et les plus effroyables des XIXe et XXe siècles. La Révolution algérienne est aussi caractérisée comme l’une des révolutions les plus emblématiques d’un peuple contre un autre pour recouvrer son indépendance. 

La ligne de conduite du colonialisme est semblable à celle du nazisme sur son fondement : la domination par la force, le déni et la mort de l’autre. On le domine par la stigmatisation, la manipulation et la menace pour mieux le réduire à néant tout en lui faisant subir les pires horreurs. Le récit français officiel ne dit presque rien sur cette réalité tragique,  et je ne peux que rejoindre l’indignation de Germaine Tillion, la grande ethnologue et géographe qui a bien connu l’Algérie, dont les cendres ont récemment été transférées au Panthéon. Elle écrit : «Il y a, à ce moment-là, en 1957, en Algérie, des pratiques qui furent celles du nazisme.» 

Face à ce bilan dramatique, on tente en France par différents subterfuges de minorer et de salir la mémoire des victimes, par une volonté d’imposer à l’Algérie une amnésie de ce qu’elle a subi, en d’autres termes, le syndrome de l’ardoise magique. On efface tout le passé et on construit une nouvelle relation sans reconnaissance et sans réparation. Le rapport Stora est dans cette lignée.

 C’est pourquoi l’Algérie ne doit pas le cautionner et l’alimenter si ce n’est en critiquant le contenu de cet historien. Cet historien devenu politique en conseillant les princes depuis plus de 40 ans, incapable de hiérarchiser les responsabilités entre le colonisateur et les colonisés, le tout camouflé dans une symétrie violente des responsabilités justifiant son détour par l’Asie pour refuser de quelconques excuses des crimes coloniaux commis par la France en Algérie. Triste et grossière supercherie.Le bilan est au final lourdement négatif. Alors qu’on essaie de le présenter comme positif, pour perpétuer le déni des préjudices subis par les Algériens sur des fondements divers, techniques et idéologiques. Le nombre de morts, pour la période de 1945 à 1962, avancé et accepté par la plupart des historiens français est de 400 000 du côté algérien et 30 000 du côté européen, militaires compris. Sur les 132 années de cette colonisation, le chiffre d’un million de morts (600 000 de 1830 à 1945 et 400 000 à partir de cette date jusqu’à 1962) est avancé sur une population de près de 10 millions en 1960. Près de 10% de la population algérienne auraient été tués, sans compter les nombreuses victimes blessées par tortures ou autres pratiques. 

Ces chiffres caractérisent les dégâts occasionnés dans les mémoires qui continuent, aujourd’hui encore, de saigner en Algérie et en France. La France s’est salie en Algérie, elle a institutionnalisé l’injustice pour ne pas regarder la réalité de sa faiblesse et son impuissance dans ses obsessions de grande puissance. Les victimes européennes de cette colonisation ne doivent pas être minorées, mais elles sont sans commune mesure avec les exactions sur les populations algériennes. Il ne faut jamais oublier, comme certains tentent de le faire depuis longtemps, qu’il y a eu un colonisateur et un colonisé.  A aucun moment une population égale en droits et en faits n’a existé en Algérie. Sur le papier, l’Algérie était condamnée à capituler devant la cinquième puissance mondiale. Etrangement, plus on martyrisait la population algérienne, plus sa ténacité à devenir libre était grande. Le bilan tragique n’a pas empêché les Algériens de gagner cette guerre d’indépendance avec une étrange dialectique. 


Pourquoi la France doit reconnaître et réparer ses crimes coloniaux… 

Ce déni des crimes coloniaux constitue un poison français qui s’ancre dans cette mémoire collective française. Les victimes algériennes n’existent pas, et les tortionnaires étaient de vaillants soldats que l’on a décorés. Cette réalité est suicidaire pour la mémoire française car elle fracture d’une manière violente les descendants des torturés, mais également les descendants des tortionnaires qui ne comprennent pas ce qui s’est passé. Les massacres du 8 Mai 1945 de Béni Oudjehane ou du 17 Octobre 1961 sont des exemples parmi tant d’autres.

La mémoire de cette guerre saigne en France d’une manière invisible, mais omniprésente. Elle s’inscrit aussi dans un rapport de forces entre les associations d’anciens combattants, les associations de harkis et celles des droits de l’homme. La pression est énorme, et la France a cédé aux lobbys des anciens combattants et harkis pour promulguer la loi de 2005 prônant les bienfaits de la colonisation, tandis qu’une journée nationale d’hommage aux harkis était décidée le 25 septembre de chaque année.

 Les associations harkis sont quant à elles très actives en période pré-électorale. Elles ont ainsi fait accepter par le président Hollande les crimes subis durant cette guerre. Le président Macron a fait promulguer une loi pour les indemniser. Le dernier palier sera l’inscription orientée dans les manuels scolaires, dans le même cheminement que la communauté juive, avec la shoah, qui a montré des talents extraordinaires de reconnaissance et de réparation. 

Quelques miettes de mémoire ont été distribuées aux Algériens, comme cette plaque commémorant la mort des manifestants du 17 Octobre 1961 posée sur le pont Saint-Michel en octobre 2001 ou ces visites de personnalités politiques loin d’une reconnaissance pleine et entière des crimes coloniaux comme crimes d’Etat ou crimes contre l’humanité comme ceux du 8 Mai 1945 ou du 17 Octobre 1961. 

Les grands absents ? Les Français d’origine algérienne, à la fois conscients de ne pas être des citoyens comme les autres et trop faibles pour se fédérer en communauté influente, comme si on les avait tellement divisés qu’ils étaient à jamais incapables de prendre collectivement en main leur destinée. Il s’agit sûrement de la communauté la moins organisée de France, inefficiente à faire du lobbying sur les questions qui la rongent de l’intérieur et en particulier sur ce racisme omniprésent. 

Avec une élite souvent instrumentalisée qui se range souvent du côté du plus fort avec la mission coupable d’avoir une position amnésique sur les sujets qui fâchent, la mémoire, la Palestine, l’islamophobie. D’autres plus sournois sont capables de se frayer quelques chemins pour tenter de capitaliser sur ces thèmes. Ces acteurs dénommés «Bounty» de la République en banlieue sont en réalité souvent les bras armés du modèle assimilationniste. Coqueluches des médias, ils ont pour mission de transmettre un message de bénédiction et de soumission au modèle assimilationniste. 

Soumission chez ces «beurettes  qu’on a su enfermer dans le statut d’objet où la mémoire coloniale continue de faire fantasmer les imaginaires occidentaux. Triste réalité qui dure depuis trop longtemps où l’Algérie n’a pas su valoriser son capital humain, en particulier cette diaspora qui ne demandait que de contribuer au développement du pays. Je pense aussi à toute cette supposée élite algérienne qui a souvent opté pour être du côté du plus fort en prônant le modèle assimilationniste devenant parfois les coqueluches des médias. Précisément en acceptant toujours d’être associée, cooptée ou instrumentalisée par les divers gouvernements de droite comme de gauche, souvent pour de piètres intérêts, délaissant l’identité profonde de ce que veut dire être véritablement algérien. Sa  posture est, me semble-t-il, coupable de n’avoir pas su transmettre les bons repères à ces jeunes qui ne demandaient qu’à exister dignement dans la lignée des chouhada. 

Du côté algérien, le silence est parfois lourd et incompréhensible, comme si le patriotisme historique était en réalité affectif et non effectif. Nous n’avons pas su valoriser notre mémoire et par prolongement notre capital humain, y compris notre diaspora. Il n’est jamais trop tard, mais il y a urgence, la première, revendiquer explicitement une reconnaissance et réparation intégrale des crimes coloniaux. Les autorités algériennes ne doivent plus céder à cette politique des petits pas qu’on tente de nous vendre et qui n’a rien apporter de concret aux préjudices subis. Pire, l’Algérie est souvent suspectée d’utiliser cette dimension mémorielle pour masquer ses supposées contre-performances et sa relation tendue avec la France, alors qu’elle ne souhaite que revendiquer son droit à la reconnaissance légitime des crimes coloniaux. 


L’Axe Paris - Tel-Aviv - Rabat 

Le rapprochement de la France avec le Maroc sur la question sahraouie est inquiétant car Israël, dernier état colonial de la planète, s’est imposé comme sponsor du royaume chérifien. Cette nouvelle donne soulève de nombreux risques. Cette orientation renforce un peu plus l’idéologie néocoloniale française sur l’Algérie, mais aussi israélienne en Palestine et marocaine en territoire sahraouie, un dénominateur commun pour ces trois Etats. Cet axe néocolonial explicite les jeux d’acteurs qui sont désormais clairement établis. Israël est aux portes de l’Algérie en soutien, y compris militaire, du Maroc. En contrepartie, Israël reconnaît l’autorité marocaine sur le territoire sahraoui et incite fortement la France à faire de même avec le soutien des Américains. La France vient de céder à cette invitation forcée israélienne grâce à un lobbying sioniste puissant, fragilisant un peu plus sa souveraineté. Un indicateur parmi tant d’autres, aujourd’hui en France, il n’est plus possible de critiquer Israël sous peine de lourdes sanctions alors que des crimes contre l’humanité sont perpétrés à l’encontre des populations civiles palestiniennes où l’on assassine des milliers de femmes et d’enfants sans que personne ne puisse arrêter l’entité sioniste. Le rapport de force est désormais clairement établi et assumé en toute impunité avec le soutien affiché de pays comme la France. Le tribunal de l’histoire s’en souviendra. 

Le bilan de la présidence Macron sera entaché par son soutien inconditionnel à Israël. Cette entité sioniste qui a colonisé près de 80% du territoire palestinien depuis sa création, fait déplacer des millions de réfugiés, fait bombarder d’une manière continue des villes et des villages entiers, faisant des dizaines de milliers de victimes depuis 1948. Aujourd’hui, deux territoires persistent et sont limités à Ghaza et à la Cisjordanie, avec des camps de réfugiés où s’entassent par millions des Palestiniens aux frontières du Liban ou de la Jordanie et où les conditions de vie sont dramatiques. Le droit international condamne Israël via plusieurs résolutions de l’ONU depuis de nombreuses années, mais elles ne sont jamais appliquées. 

Ma conviction, c’est que ce conflit matérialise l’impunité de l’entité sioniste, satellite de l’Occident dont la France face à un droit international impuissant. Ce droit international que l’on ne veut ni ne peut faire appliquer face à des massacres qui durent depuis plus de 70 ans. La violence de cette impunité fracture le monde qui perd le sens de ses responsabilités. Concrètement, on a vidé la Palestine pour implanter des colonies juives, on a remplacé un peuple par une diaspora juive sans jamais pouvoir faire appliquer le droit international, qui aurait dû le protéger. Cet état de situation fait écrouler les valeurs universelles et la crédibilité des institutions internationales comme l’ONU ou l’Union européenne impuissantes face à la domination et l’arrogance de l’entité sioniste sur le monde. 

C’est désormais ouvertement le règne des plus arrogants, des supposés les plus forts, mais qui sont en réalité les plus faibles car la justice et la dialectique historique inverseront, j’en suis convaincu, la tendance comme ce fut le cas durant la guerre d’Algérie. Les autorités algériennes ont raison d’accorder une importance toute particulière à cette nouvelle approche néocoloniale dont la France est désormais partie prenante avec cet axe (Paris-Tel- Aviv-Rabat), une question reste posée, que doit faire l’Algérie face à cette nouvelle donne mondiale où le risque régional n’est pas neutre  ? 

L’Algérie, dernier pays du front de la fermeté contre Israël. Les autres (Irak, Syrie, Libye et Yémen) se sont tous écroulés. Cette Algérie qui a toujours revendiqué le droit à l’autodétermination des peuples opprimés. Ma conviction, c’est qu’elle doit rester fidèle à ses idéaux révolutionnaires, de non-alignement et d’autodétermination des peuples colonisés comme c’est le cas aujourd’hui des Palestiniens et des Sahraouis. Cette posture est une des composantes essentielles de l’identité profonde algérienne qui lui a permis de recouvrer son indépendance et sa dignité. 

Cette identité profonde algérienne doit être plus assumée en valorisant mieux son capital humain, diaspora comprise, mais aussi vis-à-vis de son ex-puissance coloniale en particulier en explicitant la demande officielle de reconnaissance et la réparation intégrale des crimes coloniaux. La demande exigeante d’une mise en œuvre du nettoyage des sites sahariens pollués par la France pourrait être un premier symbole significatif d’un début de reconnaissance effectif. Le 17 octobre 2024 est une date symbolique  en hommage aux victimes algériennes et peut être le début d’une nouvelle ère.

 

Par le Pr Seddik  S. Larkeche

Professeur des universités
Auteur de l’ouvrage : Palestine mon amour, les damnés de la terre (2024).


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