14e Festival local du théâtre professionnel de Guelma : «Tofane» ou l’impossible vente de la maison des ancêtres

11/10/2023 mis à jour: 06:37
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La pièce Tofane, mise en scène par Abdelghani Chentouf et produite par l’association Choulatou el masrah de Boumerdès, est en compétition au 14e Festival local du théâtre professionnel de Guelma qui se poursuit jusqu’au 11 octobre 2023.  

 

Écrite par Rafik Belhadj, la pièce, qui a été présentée, lundi 9 octobre, à la salle de la maison de jeunes M’hamedi Youcef, évoque l’histoire de Miloud (Ahmed Bechar), Karim (Yacine Bendia) et Othmane, trois frères qui décident de mettre la maison familiale en vente, après le décès de leur père. Un père qui ne leur a rien laissé mais qui a précisé dans le testament que la maison n’était ni à vendre ni à acheter.
 

Karim, qui vit à l’étranger, revient avec l’idée de «profiter» de l’héritage. Malgré le refus des «esprits» qui «gardent» la maison, Karim est favorable à la vente de la maison. Une demeure ancestrale qui a valeur de patrimoine culturel. Les trois frères cupides sont en contact via Messenger avec leurs amies. Les trois femmes veulent toutes avoir la maison, chacune pour elle.
 

Karim monte un stratagème pour amener son amie française à faire une offre. C’est une femme hautaine, obsédée par la propreté, qui veut racheter tout le pâté de maisons pour «les nettoyer des microbes». Elle échoue. Othmane, un militaire, appelle aussi une amie ayant l’accent marocain et qui se déplace avec un riche émir du Golfe. L’homme, un fêtard, entend acheter la maison pour en faire un night club, il distribue à tout-va les dollars.
 

Miloud, un fondamentaliste, appelle aussi son amie, fille de Ramdane, un religieux opportuniste et vicieux, qui entend aussi acheter la maison, se déplaçant avec un sac rouge, rempli de billets de banque. Voulant tout fermer à la maison, y compris les fenêtres qui donnent sur la mer et sur la montagne, le vieux barbu est malmené sur scène par les trois frères qui se moquent de lui.
 

Conflit entre frères

L’échec des transactions provoque le conflit entre les trois frères, chacun voulant avoir une part de la maison, l’un veut les canalisations, l’autre les cadres. En Algérie, le cadre fut, à un moment donné, le symbole d’un certain pouvoir décadent.
 

La pièce, qui puise dans la satire, n’évite pas de présenter les personnages sous des traits caricaturaux, comme le riche Arabe qui distribue les dollars, l’islamiste hypocrite ou les femmes avides d’argent. Le propos est parfois direct, sans nuance, et la comédie est créée plus par l’attitude des comédiens que par les situations. 

Les comédiens aux caractères bien dessinés ont déployé de grands efforts sur scène, dans une pièce qui ne manque pas de rythme et de tableaux changeants. La musique composée par Halim Bekhali et la chorégraphie signée Khadija Guemiri ont complété le jeu et offert une respiration à la fin du spectacle. «Le spectacle est le fruit d’un atelier de formation qui a duré six mois avec l’association Choualtou el Masrah. Nous avons pris certains échantillons négatifs de la société. Les jeunes, qui ont subi un certain lavage de cerveau pour migrer, partir clandestinement, les islamistes roublards qui exploitent la religion. 

Mais cela ne veut pas dire que ceux qui sont partis ou les islamistes sont tous mauvais.  Dans toutes les sociétés, il y a les bons et les méchants. La pièce est comme une toile, offerte au regard et à l’appréciation du public. Chacun a le droit de l’interpréter comme il l’entend», a réagi Abdelghani Chentouf, lors du débat qui a suivi la représentation.

 

«Nous avons réussi à capter l’attention du public»

Interrogé sur le lien entre le titre de la pièce, «Tofane», et le contenu du spectacle, il précisé que cela vient des bruits provoqués par les esprits qui secouent les murs de la maison pour empêcher la vente. «C’est un véritable mouvement de protestation. Les gardiens de la maison ne veulent aucune vente et le font savoir avec insistance», a-t-il-dit.

«Comme vous l’avez constaté, les tableaux de la pièce étaient différents. Nous avons réussi à capter l’attention du public qui n’est pas sorti de la salle. Nous ne sommes pas tombés dans la monotonie. On ne discute pas des idées, mais des éléments du spectacle. La scénographie, le jeu de comédien, la mise en scène,... Chacun a ses propres idées», a soutenu Abdelghani Chentouf. La pièce fait un plaidoyer pour la valeur de la science. «La science est la clef pour régler tous les problèmes», a estimé le metteur en scène.
 

 

La mort de Houria

«El Djebana» (le cimetière) de Karim Attef est une autre pièce en compétition au festival de Guelma. Produite par l’association Moubid’oun bila houdoud d’Annaba, la pièce, une comédie noire, narre l’histoire d’un gardien d’un cimetière (Karim Attef), qui vit à côté du mausolée d’un ouali (saint). Tebib, son fils (Hamza Fouzi), un homme aux gestes fragiles et raffinés, se déplace avec le garde manteau de sa défunte mère.
 

Dans le cimetière, les morts sont incinérés et mis dans une boîte. Un jour, le maire (Redouane Boukachabia) vient réclamer la boîte numéro 60 qui porte les cendres de son épouse Houria, née en juillet 1962 et morte en 2012.
Le ministre (Mohamed Chérif Oudini), habillé en costume rouge, vient réclamer d’une voix autoritaire la même boîte. Houria était-elle partagée entre deux hommes ? Péniblement, la pièce tente de dresser une critique de ce que pourrait être la liberté en Algérie après son indépendance. L’idée de la mort de Houria à une date précise semble ne pas trouver de justification.
 

Le metteur en scène a juste invité le public à en comprendre «la symbolique». Karim Attef s’est basé sur la forme de la distanciation pour avoir une certaine «liberté» de tout dire ou presque sur un monde qui, selon lui, a perdu toute valeur. Les personnages sont parfois burlesques, indéfinissables, interpellent directement le public. Dès le début du spectacle, le quatrième mur a été brisé, sans doute pour rester dans la logique de la distanciation.  
 

Le metteur en scène a, probablement, voulu impliquer le public dans son spectacle dans une cérémonie funéraire accompagnée de fumée d’encens. Un choix critiqué lors du débat après le spectacle. «Je suis libre de choisir cette forme. Je voulais montrer le rituel de l’incinération des morts dans un cimetière où il n’existe plus de tombes. Mon but était d’amener le public à se poser des questions, à réfléchir», a répliqué le metteur en scène.
 

Au milieu du cimetière est dressé le mausolée d’un saint avec des rideaux rouges et verts. L’explication donnée par le metteur en scène sur ce choix scénographique est plus morale qu’artistique. «Les gens qui se sont éloignés de la religion se réfèrent aux mausolées des saints. Le personnage de Tebib (un homme effeminé) en est l’exemple. Pour ce genre de personnes, les mausolées sont des repères religieux.

 Ils assistent aux zerdates pour se libérer», a-t-il dit. Les gays seraient, selon lui, les principaux visiteurs des mausolées car ils sont en quête de marques. Ils seraient aussi des adeptes des ziarat. 

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