Ahmad Al Charaa a annoncé les principales étapes du processus transitionnel en Syrie sans vraiment fixer de calendrier. «Nous travaillerons à la formation d’un gouvernement de transition inclusif qui reflète la diversité de la Syrie avec ses hommes, ses femmes et ses jeunes, et nous œuvrerons à la construction des institutions de la nouvelle Syrie jusqu’à ce que nous atteignions le stade où nous pourrons organiser des élections libres et régulières», a-t-il promis lors de son premier discours en tant que Président plébiscité par ses pairs des autres factions.
Le chef de la transition syrienne, Ahmad Al Charaa, a été intronisé officiellement président de la Syrie par intérim jusqu’à la tenue des premières élections présidentielles post-Al Assad, d’ici trois ou quatre ans. Ahmad Al Charaa alias Abou Mohammad Al Joulani, s’est imposé très vite comme la figure la plus marquante du nouveau paysage politique en Syrie depuis le déclenchement de l’offensive fulgurante, le 27 novembre 2024, qui allait conduire moins de deux semaines plus tard à la chute du régime de Bachar Al Assad.
Il était alors à la tête du Commandement des opérations militaires, coalition armée dominée par son organisation, Hayat Tahrir Al Sham (HTS), qui a dirigé l’offensive armée qui a fait tomber le fils de Hafez Al Assad le 8 décembre 2024. A ce titre, il apparaissait évident que c’est lui qui allait prendre les rênes du pouvoir à Damas, ce qui a été acté mercredi dernier lorsqu’il s’est vu plébiscité par ses pairs des autres factions syriennes.
Ce 29 janvier, les nouvelles autorités ont organisé un important congrès à Damas en présence de toutes les factions, et c’est au cours de ce congrès qu’Ahmad Al Charaa a été proclamé Président. L’agence Sana a parlé de «Congrès de proclamation du triomphe de la révolution syrienne». Toutes les milices ayant fait partie du Commandement des opérations militaires pendant l’offensive anti-Bachar, à leur tête HTS, ainsi que «des forces de la révolution syrienne», étaient représentées à cette grande conférence politique, indique Sana.
Dissolution de toutes les factions armées
Des mesures institutionnelles importantes ont été annoncées au cours de ce conclave. Selon l’agence Sana, le porte-parole du Commandement des opérations militaires, le colonel Hassan Abdelghani, a lu solennellement une déclaration dans laquelle il a annoncé : «Nous proclamons la victoire de la glorieuse révolution syrienne et déclarons le 8 décembre de chaque année comme journée (de fête) nationale.» Il a annoncé, dans la foulée, «le gel de la Constitution de 2012 et l’annulation de toutes les lois d’exception».
Le porte-parole des nouvelles autorités a fait part en outre de «la dissolution du Parlement et de toutes les commissions qui en découlent». «L’armée du régime déchu» est officiellement dissoute, elle aussi. Même sort pour l’ensemble des «appareils de sécurité de l’ancien régime, avec ses différentes branches et appellations, et de toutes les milices qu’il a créées», et «construction d’une nouvelle institution de sécurité».
Autre décision symbolique forte : «Le parti Baâth, les partis du Front national progressiste et les organisations et comités qui leur sont affiliés, sont dissous. Leur reconstitution sous un autre nom est interdite et tous leurs biens doivent être restitués à l’Etat syrien», a fait savoir le colonel Hassan Abdelghani. Ce dernier a fait état aussi de la «dissolution de toutes les factions militaires, les organes révolutionnaires politiques et civils, et leur intégration dans les institutions de l’Etat».
Le porte-parole du nouveau pouvoir a ensuite lancé : «Le commandant en chef Ahmad Al Charaa est chargé d’assurer la présidence du pays pendant la période de transition. Il exercera les fonctions de la présidence de la République arabe syrienne et la représentera dans les forums internationaux.» Le nouveau Président a été d’emblée invité à former un «conseil législatif provisoire pour la période de transition». Ce conseil «assumera ses fonctions jusqu’à l’adoption et l’entrée en vigueur d’une Constitution permanente pour le pays».
Un Président en quête de légitimité
Le lendemain de son intronisation, Ahmad Al Charaa s’est adressé au peuple syrien à travers un discours officiel, son premier en tant que président de la République de facto. «Au peuple syrien fier, je me tiens devant vous aujourd’hui le cœur plein d’espoir et de détermination» a-t-il lancé. «Je me tiens devant vous aujourd’hui, cinquante-quatre jours après que nous ayons été libérés des chaînes d’un régime criminel. (…) Je suis ici aujourd’hui pour ouvrir avec vous un nouveau chapitre de l’histoire de notre pays», poursuit-il. Et de marteler : «Cette victoire est partie des gorges des manifestants et des chants des marcheurs sur les places publiques.
Elle est partie des doigts (broyés) de Hamza Al Khatib et des clameurs des émeutiers, des gémissements des détenus et des torturés dans les caves de Tadmor, de Saydnaya, et s’est poursuivie avec les sacrifices des combattants révolutionnaires qui ont libéré la terre de Syrie.»
Ahmad Al Charaa a insisté sur le fait que le nouveau pouvoir dont il est l’incarnation a pris soin de mettre les formes avant de le désigner à cette charge : «J’ai pris la responsabilité hier (mercredi, ndlr) de diriger le pays après des consultations approfondies avec des experts juridiques, afin de garantir que le processus politique soit mené dans le respect des normes juridiques et de manière à lui conférer la légitimité nécessaire», a-t-il précisé.
Le désormais ex-chef de Hayat Tahrir Al Sham (dissoute) a appelé à l’union sacrée, une formule qui prend tout son sens dans ce pays exposé à de profondes divisions confessionnelles et ethniques : «D’ici, je m’adresse à vous aujourd’hui en ma qualité de président de la Syrie, en cette période fatidique, en demandant à Dieu de nous accorder à tous le succès pour faire avancer notre pays et surmonter les défis auxquels nous sommes confrontés» a-t-il répété. Il a appelé ses compatriotes à «garder à l’esprit qu’il s’agit d’une phase transitoire qui s’inscrit dans un processus politique qui nécessite la participation réelle de tous les Syriens et les Syriennes, à l’intérieur et à l’extérieur, pour construire leur avenir dans la liberté et la dignité, sans exclusion ni marginalisation».
«Je formerai un gouvernement de transition inclusif»
Al Charaa a ensuite décliné les principales étapes du processus transitionnel sans vraiment fixer de calendrier. «Nous travaillerons à la formation d’un gouvernement de transition inclusif qui reflète la diversité de la Syrie avec ses hommes, ses femmes et ses jeunes, et nous œuvrerons à la construction des institutions de la nouvelle Syrie jusqu’à ce que nous atteignions le stade où nous pourrons organiser des élections libres et régulières», a-t-il promis. «Sur la base de mon mandat actuel et de la décision de dissoudre l’Assemblée du peuple, j’annoncerai la création d’un comité préparatoire chargé de sélectionner une assemblée législative réduite pour combler le vide pendant la période de transition.»
Al Charaa s’est engagé par ailleurs sur l’organisation d’une «Conférence du dialogue national» qui sera «une plateforme directe pour les délibérations, les consultations et l’écoute des différents points de vue sur notre prochain programme politique». A cet effet, il a annoncé la mise en place «dans les prochains jours» d’un «comité préparatoire de la Conférence du dialogue national». «Après avoir franchi ces étapes, nous annoncerons la Déclaration constitutionnelle comme la référence juridique pour la phase de transition», a-t-il encore indiqué.
Après les aspects institutionnels, Ahmad Al Charaa s’est exprimé sur les «priorités» de son action à la tête de l’Etat syrien. Il a déclaré que sa première priorité est d’«instaurer la paix civile» et la mise en œuvre d’une «véritable justice transitionnelle» en poursuivant les auteurs de crimes et de sévices à l’encontre des civils syriens, «qu’ils soient en Syrie ou à l’étranger». Autre priorité clé : «Recouvrer l’unité du territoire syrien, sur toute la Syrie, et imposer sa souveraineté sous une seule autorité», a précisé Ahmad Al Charaa.
Une résolution qui fait écho aux conflits armés qui continuent à déchirer le pays, à l’instar de celui qui oppose au nord les factions kurdes du FDS (les Forces démocratiques syriennes) aux groupes pro-turcs soutenus par Ankara. Ou encore les attaques persistantes de Daech. A quoi s’ajoutent bien sûr les agressions israéliennes répétées et les incursions des troupes sionistes dans la zone tampon attenante au Golan occupé au mépris du droit international.