Sid Ahmed Ghozali a été inhumé hier au cimetière de Ben Aknoun : Un grand patriote «qui avait une haute idée de l’Algérie»

06/02/2025 mis à jour: 18:39
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Feu Sid Ahmed Ghozali accompagné de Yasser Arafat, leader palestinien - Photo : D. R.

«Il n’a jamais lié le destin de l’Algérie à celui des hommes. Il avait conscience qu’il avait servi d’alibi technocratique à l’indépendance et de faire-valoir démocratique durant la crise de 1992. Il avait conscience de cela, mais il m’avait toujours dit : 'Je l’ai fait pour servir mon pays. Je ne l’ai pas fait pour servir tel clan ou tel autre.' C’est ça Sid Ahmed. C’est une haute idée de l’Algérie. C’est beaucoup d’ambition pour le pays. C’était quelqu’un d’intransigeant dans ses convictions», témoigne Abdelaziz Rahabi.

C’est dans l’intimité du cimetière «Zdek» de Ben Aknoun qu’a été inhumé hier l’ancien chef de gouvernement, Sid Ahmed Ghozali. Ce dernier, faut-il le rappeler, est décédé la veille, soit le mardi 4 février 2025. Il avait 88 ans. L’enterrement a eu lieu après la prière du Dohr sous un ciel gris. Le temps était froid et couvert.

Un temps triste. Il y avait eu quelques gouttes pendant que la foule se massait à l’intérieur du cimetière, mais le ciel a été clément jusqu’à la fin de l’office, et il y a eu même une petite éclaircie dans l’après-midi. Un dispositif de sécurité assez important a été déployé au centre-ville de Ben Aknoun en prévision de la cérémonie funèbre.

Aux abords du cimetière, il y avait une présence policière bien visible, bientôt appuyée par la Gendarmerie nationale. Les premiers journalistes prenaient place en face du cimetière à partir de 11h30, avant de pénétrer à l’intérieur. Une ambiance solennelle recouvrait les lieux. Jusqu’à 12h20, il n’y avait pas foule, mais à mesure que l’heure de l’office approchait, les personnalités se succédaient. La première qui fera son apparition est l’ancien ministre des Affaires étrangères Ramtane Lamamra.

Il prend place sous un préau où il est rejoint par d’anciens hauts fonctionnaires. Toujours affable et souriant, M. Lamamra échange quelques mots avec des confrères, leur signifiant poliment qu’il ne pouvait pas faire de déclaration. A mesure que les minutes s’égrènent, l’affluence grossit. Bientôt, c’est une foule compacte et très dense qui se masse sous la «sqifa» du cimetière, à l’entrée, ainsi que dans les allées qui séparent les carrés des tombes.

De Mouloud Hamrouche à Nadir Larbaoui

Parmi les personnalités qui vont faire leur apparition, l’ancien chef de gouvernement Mouloud Hamrouche auquel feu Sid Ahmed Ghozali devait succéder à l’issue de la crise de l’été 1991. Un autre ancien titulaire du poste a tenu lui aussi à assister aux obsèques : Mokdad Sifi. De nombreuses autres personnalités ayant occupé de hautes fonctions ont tenu à témoigner de leur présence à ces funérailles.

 Parmi eux : l’ancien directeur de cabinet à la présidence de la République Abdelaziz Khellaf, l’ancien ministre de la Communication Abdelaziz Rahabi, l’ancien ministre de l’Energie Abdelmadjid Attar, ou encore l’ancien ministre des Affaires étrangères Abdelkader Messahel. Mentionnons également la présence très remarquée du patron de Cevital Issad Rebrab.

Plusieurs ministres en exercice ont fait le déplacement, dont le ministre des Affaires étrangères Ahmed Attaf, le ministre de l’Intérieur Brahim Merad et le ministre de l’Enseignement supérieur Kamel Baddari. Il y avait aussi des représentants du ministère de la Défense en uniforme, des députés et des représentants de l’APN, ainsi que des cadres de formations partisanes, à l’instar de Soufiane Djilali, président de Jil Jadid.

A signaler, en outre, la présence du recteur de Djamaâ El Djazaïr, cheikh Mohamed Moumen El Kacimi. 13h. Au milieu d’une grande agitation, le Premier ministre, Nadir Larbaoui, fait son entrée. Il rejoint directement le haut du cimetière où a été aménagé un petit chapiteau.

«Il était sans concession dans ses convictions»

A 13h35, grande émotion à l’arrivée de la dépouille mortelle. Le cercueil de Sid Ahmed Ghozali est drapé de l’emblème national. Il est porté par des hommes de la Protection civile. Sur le dos de leur uniforme, le sigle de Sonatrach, la société qu’il a dirigée pendant très longtemps, de 1966 à 1979. A la fin de l’office, un homme d’un âge vénérable, aidé par un proche, se fraie difficilement un chemin entre les tombes jusqu’à la fosse toute fraîche qui vient de recevoir la dépouille du défunt. C’est le frère de M. Ghozali. On dirait son sosie. Stoïque, l’homme contient courageusement son émotion en recevant les condoléances de la foule compatissante.

Sollicité pour dire quelques mots en cette triste circonstance, Soufiane Djilali déclare : «Premièrement, nous présentons nos condoléances à la famille du défunt et nous nous recueillons à sa mémoire. M. Ghozali – Allah yerahmou –  a inscrit son nom dans l’histoire, et il appartient maintenant aux générations montantes de méditer son œuvre et d’examiner le parcours de chaque personnalité qui a contribué à la construction de l’Algérie postcoloniale, et ce, dès le début de l’indépendance.

Sid Ahmed Ghozali était de ceux qui ont organisé et structuré l’économie nationale, à tout le moins dans le domaine énergétique. Dans de tels moments, il est propice d’avoir une pensée pour tout ce qu’a accompli cet homme.» De son côté, Abdelaziz Rahabi nous fera ce témoignage édifiant : «J’ai beaucoup travaillé avec lui. J’étais un de ses proches collaborateurs, notamment lors de notre médiation dans le conflit Irak-Koweït. Sid Ahmed Ghozali – Allah yerahmou – était quelqu’un de très rationnel, de très rigoureux.

Il avait une haute idée du destin de l’Algérie. Il n’a jamais lié le destin de l’Algérie à celui des hommes. Il avait conscience qu’il avait servi d’alibi technocratique à l’indépendance, et de faire-valoir démocratique durant la crise de 1992. Il avait conscience de cela, mais il m’avait toujours dit : 'Je l’ai fait pour servir mon pays. Je ne l’ai pas fait pour servir tel clan ou tel autre’. C’est ça Sid Ahmed.

C’est une haute idée de l’Algérie. C’est beaucoup d’ambition pour le pays. C’était quelqu’un d’intransigeant dans ses convictions. Il était sans concessions dans ses convictions de liberté, d’égalité, de justice… Il m’a toujours dit que la corruption et l’incompétence sont les principaux maux de la société algérienne. Mais en même temps, c’est ça qui nourrit notre combat et nourrit notre contestation. Au final, c’est le message même du Hirak.»

«Un homme d’État au sens fort»

Pour sa part, Abdelmadjid Attar, ancien ministre de l’Energie, ancien ministre des Ressources en eau, et qui a été également PDG de Sonatrach, est revenu sur les grandes stations qui ont jalonné la vie trépidante de l’ancien chef de gouvernement sous Chadli, puis sous Boudiaf. «Sid Ahmed Ghozali a été de tous les moments-clés de l’histoire de l’Algérie. Je vous cite par exemple ce fait que très peu de gens connaissent. Cela m’a été raconté par Si Abdelmadjid Aouchiche, Allah yerahmou.

Quand M. Aouchiche est sorti de prison – je crois que c’était vers 1960, il était alors à la prison de Lakhdaria –, il est parti en France, clandestinement. Et là, c’est Sid Ahmed Ghozali qui l’a hébergé pendant plusieurs semaines dans sa chambre universitaire. Il était alors étudiant à l’Ecole des ponts et chaussées, et il militait. Après 1962, il s’est beaucoup investi dans le secteur de l’énergie. C’est lui qui a construit Sonatrach. Après les nationalisations, tout restait à faire.

C’est bien beau de nationaliser, mais encore faut-il remplacer les sociétés et reconstruire l’industrie des hydrocarbures. Et c’est ce qu’il a fait pendant les années 1970 en s’attaquant surtout à l’aval. L’industrie aval n’existait pas en dehors de la Camel (Compagnie algérienne du méthane liquide, ndlr). Il y avait tout le reste à construire, à Arzew, à Skikda… Et c’est à ce moment-là qu’il a donc lancé les grands chantiers en aval. Il est devenu ensuite ministre de l’Energie. Après, il a été ministre de l’Hydraulique.

A ce titre, il a mis en œuvre le fameux projet de construction de 100 barrages. On l’a par la suite nommé ambassadeur à Bruxelles en 1984. J’ai cité les hydrocarbures, l’eau, mais il ne faut pas oublier bien sûr tout ce qu’il a réalisé comme chef du gouvernement au début des années 1990. Nous étions en pleine crise politique.

C’était une période très, très difficile. Nous étions à l’orée de la décennie noire. Mais lui savait se mettre à équidistance de toutes les positions. Il avait quand même en face de lui les islamistes. Il y avait les autres partis. Et il a su manœuvrer. Il avait dirigé habilement ces longues séances du dialogue national. Il écoutait tout le monde. Il discutait avec toutes les sensibilités. Et ça, ce n’est pas donné. C’était un homme de dialogue. Et c’était un homme d’État au sens fort du terme. Il a vécu l’Algérie de 1962 jusqu’à son retrait de la vie publique.

Et même quand il s’est retiré de la politique, ça ne s’est pas terminé. Au-delà de son activité politique, le parti qu’il a voulu créer, une entreprise qui n’a pas abouti, Sid Ahmed Ghozali était membre du Club énergie. Ce club est constitué d’environ 80 anciens cadres. C’est un think tank qui produit de l’expertise. Sid Ahmed Ghozali venait et assistait à toutes les réunions. Il écoute, il donne son avis, fait des recommandations. Et cela a continué jusqu’à ce qu’il tombe malade, il y a quelques mois. Il marchait difficilement mais il était là. Il répondait toujours présent. Il aura été productif jusqu’au bout.» 

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