Du sud des Etats-Unis au sud-ouest de l’Europe, le blé a soif : la menace d’une sécheresse estivale associée à l’absence de grain ukrainien sur les marchés mondiaux maintient les cours de la céréale à un «très haut niveau».
La période de mai est traditionnellement «plus calme», après l’écoulement de la récolte passée et avant la nouvelle moisson, dans plus de deux mois. «Du coup, le marché surréagit face à des problèmes de météo, notamment pour les cultures d’hiver (blé, orge) qui sont en phase de croissance», explique Gautier Le Molgat, du cabinet Agritel, cité par l’AFP. Si la récolte s’annonce très prometteuse en Russie, les doutes saisissent les producteurs en Europe, notamment en France, premier exportateur de blé de l’UE, estime la même source.
La sécheresse, qui sévit depuis des mois sur la rive sud de la Méditerranée, remonte et a gagné les larges plaines céréalières françaises, où les nappes phréatiques n’ont pu se recharger pleinement cet hiver par manque de précipitations. Selon l’AFP, le ministère français de l’Agriculture craint désormais une baisse de rendement pour les blés si la vague de chaleur se prolonge. «Il y a un stress hydrique objectif, mais il est beaucoup trop tôt pour en tirer une quelconque conclusion», tempère Edward de Saint-Denis, courtier chez Plantureux et associés.
Aux Etats-Unis aussi, «le mauvais état du blé d’hiver pourrait avoir un impact négatif sur les rendements et donc sur la récolte à venir», souligne Carsten Fritsch de Commerzbank, rappelant la faible qualité des grains, dont seuls 29% sont jugés de «bon à excellent», contre 49% l’année dernière. «La situation s’est légèrement améliorée», note Jack Scoville, de Price Futures Group, mais la combinaison reste «mauvaise» : «Chaud et sec dans les plaines de l’Ouest et humide et froid dans le Nord et dans les plaines du nord du Midwest.» Avec pour conséquence un retard sur les semis de haricots et de maïs, rapporte l’Agence France Presse.
A ces inquiétudes, s’ajoute une tension persistante sur les marchés du fait de la guerre en Ukraine. Ce pays n’a pu écouler qu’un million de tonnes de produits agricoles en avril en exportant par les routes et le rail, et la récolte 2022 est attendue en baisse de 50%, selon des analystes, cités par la même source.
Un contexte qui n’incite pas les agriculteurs à vendre leur prochaine récolte. «Comme les prix sont très élevés, avec un blé à plus de 400 euros la tonne pour livraison en septembre, ils attendent», sachant qu’ils vendront dans tous les cas à un prix fort, ce qui contribue à maintenir le marché sous tension, explique Edward de Saint-Denis.
Le marché attend le traditionnel rapport mensuel du ministère américain de l’Agriculture, qui donnera ce soir un état des lieux des productions, exportations et stocks mondiaux, et offrira «une première évaluation de la campagne agricole 2022-23», souligne Dewey Strickler, de Ag Watch Market Advisors.
Seront notamment scrutés les stocks des céréales, les exportations estimées de blé de nouveaux acteurs potentiels, comme l’Inde, et les mouvements de la Chine, dont l’activité a fortement diminué du fait des confinements drastiques, mais qui continue à acheter d’énormes cargaisons de céréales.
Les oléagineux – tournesol, colza, soja, palme –, dont les cours avaient bondi après la suspension des exportations indonésiennes d’huile de palme, restent à des niveaux très élevés, mais sans nouveaux records, les marchés tablant sur un embargo temporaire, rappelle Gautier Le Molgat. Mais les prix vont «rester élevés» en l’absence de l’huile de tournesol ukrainienne – la moitié de celle commercialisée dans le monde.