Samir Grimes. Expert en environnement et développement durable : «La COP27 sera la COP de la vérité»

06/11/2022 mis à jour: 08:59
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Samir Grimes, expert en environnement et développement durable

Quels sont les enjeux de cette Cop27 ?

Cette COP27 coïncide avec le trentième anniversaire de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), adoptée à Rio en 1992 lors du sommet de la Terre. Cette Cop27 est toute particulière, elle se déroule dans un contexte qui est fortement marqué par une grave crise énergétique, étroitement liée au conflit entre la Russie et l’Ukraine, une crise alimentaire qui n’a quasiment épargné aucun pays et une crise financière qui a secoué également plusieurs pays. Enfin cette COP intervient théoriquement dans la phase de reprise post-Covid. Cette COP intervient aussi durant la négociation d’un autre instrument sur la diversité biologique dans le cadre de la Convention des Nations unies sur la Diversité biologique, en l’occurrence le document ou la stratégie post- 2020 et dont les liens avec l’action climatique mondiale ne sont plus à démontrer. Comme pour toutes les COP précédentes, le premier enjeu est celui de la diminution des émissions de gaz à effet de serre. Le renforcement de la résilience et l’adaptation aux conséquences inévitables des changements climatiques également seront des enjeux qui reviennent à chaque COP. Pour ma part, j’estime que deux enjeux apparaissent comme évidents, celui de la responsabilité sur l’action climatique et le second est en lien avec les mécanismes opérationnels de cette action. Car il faut le souligner de manière claire et sans ambiguïté, aucun des mécanismes mis en place n’a été efficace et efficient, à commencer par ceux de la finance climatique. Les pays africains attendent depuis de nombreuse années une avancée majeure sur les questions liées aux pertes, dommages et préjudices, qui malheureusement, faute de volonté, n’ont pas évolué dans la bonne direction. La question du transfert de technologies et du savoir-faire économique sur les questions climatiques a été quelque peu oubliée lors des dernières COP. Or pour les pays africains cette question est centrale, elle constitue, pour la quasi-totalité de ces pays, une condition essentielle de leur CPDN initiale. Nous entendrons beaucoup durant la prochaine COP les questions de la résilience face aux risques climatiques, la transition vers une économie à faibles émissions et les partenariats pour de vraies solutions pour les défis que pose le changement climatique, mais je crains encore une fois que cela restera au stade des intentions et des déclarations sans suites «concrètes». A l’évidence, puisque cette COP27 se déroulera en Égypte, ce pays qui fait et fera face à une très grave crise hydrique mêlée à une dimension géopolitique complexe, tentera de profiter de ce contexte pour alerter sur sa très forte vulnérabilité et de sortir avec une résolution qui conforterait sa vision et ce ne sera pas une mince affaire  

Les rapports alarmants se sont pourtant multipliés depuis le Pacte de Glasgow en 2021. Comment expliquer que ces pays aient tant de mal à tenir leurs engagements ?

Il me semble que nous vivons aujourd’hui une des conséquences du changement de paradigme qui avait été amorcé avant la COP21 à Paris et confirmé par l’accord de Paris sur le climat. En effet, nous sommes passés d’une approche qui répartissait, ou en tout cas tentait de le faire, les efforts entre les pays en fonction de leur responsabilité historique et actuelles dans les émissions des GES vers une approche basée sur ce que «pouvaient» faire les pays, voire, ce que «devaient» faire les pays pour réduire les émissions des GES. Ce passage avers des engagements «non contraignants» qui a permis d’agglomérer les efforts des pays pour atteindre l’accord de Paris sur le climat commence à montrer ses limites. Il est essentiel que la question des circonstances nationales et la capacité des pays à agir soient remises sur la table lors de la COP27 et des prochaines COP, sans quoi, nous tournerons en rond quand le réchauffement, lui, continue sa courbe ascendante.   

Pourtant, la COP27 veut que les pays revoient leurs engagements à la hausse tout en mettant en œuvre ces dites promesses. Pensez-vous qu’il est réellement possible que les engagements soient revus à la hausse, or les anciennes promesses n’ont pas été tenues par les pays pollueurs ? 

A mon avis il faut revenir aux fondamentaux. Cela ne parait pas orignal dit comme ça, mais il est essentiel de retravailler les questions suivantes : comment et par quels mécanismes opérationnels, transparents, ambitieux et vérifiables, les pays à responsabilité historique sur les émissions des GES devraient-ils s’acquitter de leur facture relative à la dégradation du climat ? Comment ressouder les rangs des pays africains et des pays les plus vulnérables face aux changements climatiques pour une position politique commune très forte dans le système des Nations unies et éviter la dispersion des rangs et les calculs étroits du bilatéralisme ?

 Le bilan publié la semaine dernière par l’ONU est sans équivoque : l’ensemble des engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre pris jusqu’à présent par les 193 parties à l’Accord de Paris sont nettement insuffisants pour qu’on espère éviter le pire. Un commentaire ?

Cela était totalement prévisible, compte tenu du niveau de mise en œuvre des engagements de la CPDN/CDN des pays et cela était surtout attendu, compte tenu du très faible niveau de mobilisation des financements climatiques pour les pays qui en ont le plus besoin, notamment les pays africains.  Il faut aussi rappeler que cette année, en février et avril 2022, les volets 2 et 3 du 6e rapport du GIEC ont été publiés. Ces rapports sont sans équivoque sur la dégradation accélérée du climat et sur ses retombées sur nos sociétés.  Le GIEC considère qu’à l’heure actuelle, les engagements pris par les gouvernements dans leurs CPDN/CDN ne permettront pas de contenir la hausse de la température moyenne de la planète en dessous de +2°C, telle que définie par l’Accord de Paris. Dans le meilleur des scénarios, ces engagements permettraient une évolution autour de +2,7°C, ce qui en soit constitue un échec et en même temps une aggravation de la dégradation du climat avec toutes les conséquences négatives attendues et probablement d’autres conséquences non connues. En plus, je fais remarquer que durant l’année 2022, le temps médiatique dans de nombreux pays occidentaux a été réduit si l’on doit le comparer avec les années précédentes, en Europe ce temps s’est limité entre 1 et 8% dans le meilleur des cas, ce qui est faible compte tenu de l’urgence climatique.    

Qu’est-ce qu’a démontré la crise  russo-ukrainienne en ce qui concerne les engagements pris en Ukraine ?

La crise russo-ukrainienne a clairement remis en question, en tout cas chez certains pays occidentaux, l’ordre de priorité affichée jusqu’ici. En effet, dans les actes et dans les faits, la question climatique a été reléguée au second plan et l’accès à l’énergie, quelle que soit sa nature, est redevenu un enjeu majeur et stratégique pour ces pays, notamment à l’approche de l’hiver. A l’évidence, une redistribution des cartes, s’est presque naturellement effectuée à la lumière des difficultés d’accès à l’énergie.  Les alliances régionales et sous-régionales, notamment sur les zones économiques, à savoir dans le sous-bassin Est méditerranéen, est un facteur qu'il ne faudra pas négliger dans la cartographie des enjeux et des tracés énergétiques (maritimes et terrestres) et leur impact sur l’action climatique.      

 Qu’en est-il de la question du financement promis par les pays développés aux pays en développement ?

 Le financement est probablement la plus grande illusion des négociations et des engagements tenus au titre de la Convention des Nations unies sur les Changement Climatiques. Ni les mécanismes de financements mis en place, ni la nature des fonds créés, ni les conditions d’éligibilité mis en place pour accéder à ces financements n’ont été réfléchis pour permettre aux pays africains et à l’ensemble des pays qui en ont le plus besoin de disposer des financements climatiques.  Bien au contraire, on a l’impression que tout est fait pour ralentir le processus qui permettrait de réaliser des avancées majeures sur la question climatique. Je rappelle le fameux engagement des 100 milliards de dollars par an en 2009, d’innombrables promesses ont été réitérées à chaque COP, mais la déception est à la mesure des attentes créées par les COP15 de Copenhague et celle de Paris en 2021, et enfin le Pacte de Glascow, notamment sur la mobilisation de financement d’adaptation adéquats pour les pays africains et sur un appui conséquent qui ne sont jamais vraiment venus.

Les pays d’Afrique subissent les conséquences du changement climatique causé par les pays développés. Existe-t-il une issue pour ces pays ? 

L’année 2022 a vu une activité intense des pays africains en vue de se préparer à la COP 27. Fin août-début septembre 2022 s’est tenue à Libreville, au Gabon, la Semaine africaine du climat, le 7 septembre 2022, au Caire, les représentants de vingt-quatre pays africains se sont rencontrés autour du thème de la « Justice climatique ». Une semaine plus tard s’est tenue au Sénégal la 18e session de la Conférence ministérielle africaine sur l’environnement (CMAE), ainsi que la réunion stratégique du groupe de négociation des pays les moins avancés (PMA). Il y a un mois, les ministres de l’Environnement et de l’Energie se sont entendus sur lors d’une réunion à Kinshasa pour convenir d’une position commune lors de la COP27.  La période 2019-2022 a définitivement montré aux pays africains leur vulnérabilité climatique et surtout les liens très étroits entre cette vulnérabilité et leur sécurité alimentaire. L’épisode Covid-19, la crise russo-ukrainienne, la crise du blé et les jeux énergétiques ont fini par mettre les pays africains et arabes devant une réalité qui fait que tout retard dans le traitement de la question climatique aura des effets désastreux sur la sécurité hydrique, la sécurité alimentaire et la stabilité  sur le continent africain et dans la région arabe. Le dernier Sommet de la Ligue arabe qui s’est tenu à Alger a bien évidemment donné une importance particulière à la question de la sécurité alimentaire et son lien a été clairement établi avec le stress hydrique. L’Afrique n’a pas besoin de nouvelles promesses, ni de nouveaux engagements, elle a surtout besoin que les engagements précédemment pris soit tenus. Il y va de la crédibilité du système multilatéral concernant la lutte contre les effets adverses des changements climatiques. Pour l’Afrique, trouver des alliances directes entre les pays africains d’une part et leurs partenaires stratégiques d’autre part, doit constituer un cadre et un levier pour des solutions d’adaptation à court et à moyen termes. La collaboration régionale apparaît comme une alternative à une action globale désordonnée et où les parties ne partagent pas forcément les leviers de l’action climatique.  Il était également question d’intégrer l’action climatique dans la reprise socioéconomiques post-Covid, mais apparemment l’Afrique a été encore une fois et pour la énième fois oubliée dans cette reprise.  La question de la neutralité carbone est un objectif très généreux, mais ce concept n’est pas très clair pour de nombreux pays africains. Quels sont les secteurs prioritaires de la neutralité carbone ? Cette question mérite d’être discutée en profondeur et qu’elle ne devienne pas un alibi pour une nouvelle hégémonie sur le commerce et les échanges internationaux dans la main d’une poignée de pays. Clarifier pour les parties prenantes les voies de développement à faible émission de carbone et les moyens de mise en œuvre pour atteindre la neutralité carbone est donc essentiel durant la phase actuelle.

La COP26 était qualifiée du Sommet de la dernière chance. Comment devrait-on qualifier celui-là ? 

A l’issue de la COP26, le pacte de Glasgow a été considéré comme une étape clé dans l’urgence d’agir et présenté comme la COP de la dernière chance. Je dirais que la COP 27 sera la «COP de la vérité».  Vérité sur les intentions réelles des pays développés et responsables des émissions de GES, vérité pour les pays africains sur leur aptitude à peser sur le processus de négociation, vérité pour le système financier international sur sa volonté à prendre part à une action multiforme et globale et enfin vérité pour le système multilatéral onusien sur sa capacité à traduire les principes de la justice et de l’équité sur la question climatique. 

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