Par Abderahmi Bessaha
Expert international
La régularisation des activités et des acteurs de l’importation informelle est une mesure pragmatique qui gagnerait à être inscrite dans une démarche de réforme de la politique commerciale et de change du pays et d’une stratégie de refondation du modèle économique et social du pays. La régularisation des activités d’importation informelle constitue une mesure pragmatique, mais son efficacité reste limitée si elle n’est pas intégrée dans une réforme globale de la politique commerciale, de change et du modèle économique national.
L’annonce récente du président de la République reconnaît une réalité longtemps tolérée : l’importation informelle, qui répond aux défaillances de l’offre locale et à une demande croissante dans un contexte de chômage élevé et de rigidités administratives. Ce geste traduit un réalisme économique, mais soulève un débat entre légalisation du marché parallèle et inclusion économique nécessaire.
Pour résoudre durablement les déséquilibres structurels, il faut articuler cette mesure avec une stratégie cohérente reposant sur la restauration des fondamentaux macroéconomiques, la diversification de la production et de l’intégration sectorielle, l’unification progressive du marché des changes pour améliorer la transparence et l’attractivité, la simplification administrative et la digitalisation des services, ainsi que la formalisation encadrée du secteur informel, via des dispositifs incitatifs comprenant accès au financement, allégements fiscaux, protection sociale et accompagnement entrepreneurial, notamment pour les jeunes opérateurs.
Cette approche intégrée est essentielle pour renforcer la cohésion économique et sociale, développer un secteur privé compétitif et libérer le potentiel d’un entrepreneuriat dynamique, faisant ainsi de la régularisation un levier au sein d’un cadre de réformes structurelles plus large. Discutons de ces questions.
Une décision pragmatique qui est une reconnaissance d’un fait accompli mais qui comporte toutefois des risques à court terme. Une nouvelle génération d’importateurs informels s’est développée pour combler les lacunes du système formel, assurant l’approvisionnement en biens variés (vêtements, électronique, pièces détachées, matériaux) via des circuits non officiels, principalement depuis la Chine, Dubaï et la Turquie.
Opérant sans statut légal ni protection sociale, ces acteurs contribuent néanmoins à stabiliser les prix, soutenir l’offre et alléger la pression sur l’emploi. La récente décision présidentielle de régularisation reconnaît ce phénomène et vise à intégrer ces opérateurs dans un cadre légal, sécuriser les flux de devises, élargir l’assiette fiscale et réduire le marché noir. Ce tournant vers une économie plus inclusive ouvre la voie à la simplification administrative via des guichets uniques. Toutefois, sans critères clairs et équitables, la régularisation risque de favoriser les opportunismes et de pénaliser les PME formelles, aggravant ainsi les distorsions concurrentielles.
Le succès de cette formalisation repose sur des mécanismes incitatifs plutôt que des contraintes administratives. Le passage au formel demeure risqué pour ces jeunes importateurs, confrontés à la fiscalité, à la surveillance accrue et à l’instabilité réglementaire. Un statut transitoire avec exonérations fiscales temporaires, accès à des produits financiers adaptés, simplification des procédures douanières et fiscales, ainsi qu’un accompagnement technique (formations, conseils, digitalisation) est indispensable.
Cette approche graduelle valorise le potentiel entrepreneurial tout en corrigeant les faiblesses structurelles du secteur informel. Par ailleurs, cette mesure gagnerait à être intégrée dans une stratégie globale prenant en charge les contraintes structurelles qui pèsent sur la diversification de la production et des échanges extérieurs, la politique de change et le marché des changes, ainsi que l’intégration aux circuits mondiaux du commerce et de la finance.
Le contexte général reste défavorable en raison de réformes incomplètes, de distorsions structurelles et de la présence d’activités informelles. Notons à cet effet un secteur informel important : ce dernier représente environ 25% du PIB, avec près de 34% de la masse monétaire M2 (8270 milliards de dinars en 2024) circulant hors système bancaire, principalement en monnaie fiduciaire. Cette informalité freine la transmission monétaire, la mobilisation de l’épargne et le financement formel, tout en générant des pertes fiscales estimées entre 2 et 4% du PIB.
Elle exclut une large part de la population, notamment les jeunes, des systèmes de protection sociale et d’intermédiation financière. Les facteurs clés sont une pression fiscale effective, pouvant dépasser 65%, des contraintes administratives lourdes et une faible inclusion bancaire liée à une faible adoption des paiements numériques. La lutte contre l’informalité nécessite une approche combinant réforme fiscale, simplification réglementaire, digitalisation et mesures incitatives favorisant l’intégration progressive dans l’économie formelle.
Un commerce extérieur souffrant de réformes inachevées et d’un protectionnisme renforcé depuis 2014, marqué par des barrières non tarifaires, des droits de douane élevés et une absence de politique industrielle cohérente. L’intégration aux chaînes de valeur mondiales reste limitée, freinée par un gel du processus d’adhésion à l’OMC et une non-renégociation des accords commerciaux majeurs.
La stagnation de la productivité du travail et la perte de compétitivité externe, accentuées par une appréciation réelle du dinar de 13% entre 2015 et 2024, entravent l’accès aux marchés hors hydrocarbures. Cette dynamique est exacerbée par une politique de change visant à juguler l’inflation par une appréciation du dinar, qui impacte négativement les exportations non pétrolières et accroît la pression sur la dépense publique en devises.
Un problème de productivité et de compétitivité : entre 2015 et 2024, l’Algérie a enregistré une stagnation de la productivité du travail et une perte de compétitivité externe, freinant l’accès aux marchés hors hydrocarbures. Le taux de change effectif réel (REER) a augmenté de 13%, traduisant une appréciation réelle du dinar et une inflation structurelle supérieure à celle des partenaires, ce qui renchérit les exportations et favorise les importations.
La faible productivité découle d’un modèle de croissance fondé sur l’accumulation de facteurs, une éducation de qualité dégradée et un manque d’innovation. Ces contraintes, aggravées par des politiques macroéconomiques incohérentes, des rigidités de marché et des barrières commerciales, entravent durablement la compétitivité et la croissance économique.
Un double marché des changes qui constitue un frein majeur à la stabilité macroéconomique et à l’investissement productif.
La coexistence d’un marché officiel rigide et d’un marché parallèle avec un écart de taux d’environ 80% génère distorsions, spéculation et fuite des capitaux, limitant la transmission de la politique monétaire et dégradant le pouvoir d’achat. Les engagements pris en septembre 1997 de libéraliser les transactions courantes et d’ouvrir des bureaux de change n’ont jamais été concrétisés, renforçant les dysfonctionnements du régime de change et l’économie informelle. La surévaluation du dinar affecte la compétitivité-prix, les recettes fiscales hors hydrocarbures et nourrit une inflation importée. Une unification progressive et crédible du régime de change, intégrée à une stratégie globale de diversification et de libéralisation, est essentielle.
Une coupure par rapport aux marchés financiers internationaux : malgré ses ressources naturelles abondantes et une dette extérieure extrêmement faible, passée de 9% du PIB à 1,3% entre 2021 et 2024, grâce à des remboursements anticipés massifs incluant le FMI, le Club de Paris et le Club de Londres. Cette faible exposition à l’épargne étrangère limite l’accès à des financements internationaux et bride la capacité d’investissement et de diversification. Exploiter ce levier est crucial pour renforcer la résilience économique et réintégrer l’Algérie dans le système financier mondial.
Des contraintes pesant lourd sur l’économie du pays. Malgré une forte augmentation de l’investissement public entre 2000 et 2019 (passé de 28,6 à 44,9% du PIB), la croissance économique moyenne est restée faible (2,9%). Entre 2021 et 2024, avec un investissement stable autour de 38%, la croissance n’a guère progressé (3%), illustrant l’impact des restrictions commerciales, des inefficiences d’investissement public et de l’absence de financement externe.
Algérie : Intégrer les circuits informels d’importation dans une trajectoire de refondation de l’économie nationale
La récente décision de régulariser les importations informelles, largement pratiquées par des milliers de jeunes Algériens, représente un changement pragmatique de politique économique. Elle reconnaît implicitement le rôle du secteur informel dans l’atténuation des contraintes d’offre et l’absorption des pressions sur le marché du travail.
Cependant, en l’absence d’intégration dans un programme cohérent de réformes structurelles, cette mesure risque de rester ponctuelle et potentiellement source de distorsions. La formalisation des importations informelles doit s’inscrire dans une stratégie plus large visant à intégrer les acteurs économiques informels à l’économie productive. Cela nécessite de simplifier les procédures administratives et réglementaires, d’élargir l’accès aux services financiers et de proposer des incitations ciblées à la formalisation.
L’objectif principal est d’établir un marché intérieur unifié, dans lequel toutes les entreprises, formelles ou anciennement informelles, opèrent dans un cadre fiscal et réglementaire transparent et fondé sur des règles. La persistance d’un double marché des changes nuit à la transparence, fausse l’allocation des ressources et affaiblit la gestion macroéconomique.
Une unification progressive du marché des changes est essentielle pour minimiser les opportunités d’arbitrage, renforcer la transmission de la politique monétaire et rétablir des signaux de prix basés sur le marché pour les importations et les exportations. Cette transition devrait être soutenue par le développement d’instruments de couverture, une meilleure gestion des liquidités en devises et une libéralisation progressive des transactions courantes.
La dépendance de l’Algérie aux restrictions commerciales, tant tarifaires que non tarifaires, a entraîné une hausse des coûts des intrants, une baisse de la productivité et un frein à la compétitivité des exportations. Un régime commercial modernisé et fondé sur des règles devrait se concentrer sur la simplification de la structure tarifaire, l’élimination des barrières non tarifaires et l’alignement des pratiques commerciales sur les normes de l’OMC. De telles réformes permettraient de réduire les coûts de production, d’améliorer l’accès aux marchés et de favoriser l’intégration dans les chaînes de valeur mondiales.
La revitalisation de l’investissement privé est essentielle à une croissance durable et à la création d’emplois. Cela nécessite de renforcer la prévisibilité juridique et réglementaire, de simplifier les procédures d’enregistrement et d’octroi de licences d’entreprises, de mettre en place une fiscalité compétitive et stable, et de réduire progressivement la domination de l’Etat dans l’économie. Parallèlement, la politique industrielle devrait passer du protectionnisme à l’intégration des chaînes de valeur, avec un soutien ciblé aux secteurs exportateurs et aux petites et moyennes entreprises à fort potentiel.
La productivité de l’Algérie, notamment dans les secteurs manufacturiers et des services, reste faible. Une amélioration durable de la productivité totale des facteurs (PTF) nécessite une modernisation des infrastructures et de la logistique, des investissements dans l’éducation, le développement des compétences et l’adaptabilité de la main-d’œuvre, une accélération de la transformation numérique et de l’innovation, ainsi qu’une amélioration de l’efficacité des investissements publics et de la mobilisation des capitaux privés. La réforme du secteur financier et une meilleure gouvernance sont essentielles pour orienter les ressources vers les activités productives et renforcer la résilience économique globale.
La régularisation des importations informelles peut servir de point d’entrée stratégique pour une inclusion économique plus large. Cependant, son succès dépend de son articulation avec un programme de réformes synchronisé englobant la libéralisation du marché des changes, la rationalisation de la politique commerciale, le développement du secteur privé et l’amélioration de la productivité. Seule une telle approche intégrée permettra à l’Algérie de passer à un modèle économique plus compétitif, diversifié et résilient.