Proclamation de l’indépendance à Guelma : Écoliers, adolescents et adultes se remémorent

05/07/2025 mis à jour: 04:28
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Manifestation populaire dans les rues de la Basse Casbah, Alger

Il y a 63 années, le 5 juillet 1962, les Algériens obtiennent leur indépendance après 132 années de colonialisme, dont sept ans de guerre de Libération nationale et autant de décades de révoltes, soulèvements et appels au djihad contre une armée coloniale française, impitoyable, aux desseins machiavéliques. 

Les scènes de liesse populaire à Guelma à l’instar de toutes les villes et villages du territoire national sont remémorées par les jeunes et moins jeunes, qui ont participé ou ont été témoins d’une frénésie qui aura duré «deux mois non-stop», entre l’annonce du cessez-le-feu le 19 mars 1962, le référendum pour l’autodétermination le 1er juillet 1962 et la proclamation de l’indépendance le 5 juillet. 

Deux mois où toutes les tendances politiques de l’époque, à travers les bases militantes et sympathisantes du FLN et autres partis, plus discrets, car bannis, se sont exprimées dans les rues et grandes artères de Guelma, ville martyre du 8 Mai 1945. En effet, vu par des écoliers, en vacances d’été, le mois de juillet 1962 à Guelma, sont, aujourd’hui, des images fragmentées. «Oui, j’avais 7 ans à l’époque. Mon école primaire était l’école Mouloud Feraoun, ex-Anatole France. Nous étions en vacances. Orphelins de père, nous vivions avec ma mère, mes frères et sœurs dans une chambre dans le quartier musulman (arabe) avec de nombreux voisins. Je me rappelle des brimades et des insultes des soldats français en Jeep lorsqu’ils passaient devant chez nous, alors que nous étions dehors à jouer dans la rue. Mais un jour, tous se sont arrêtés. Nous étions libres de rester dehors. Les gens sont sortis dans les rues et nous avons suivi le mouvement depuis la rue d’Announa jusqu’au théâtre romain. 

Les gens criaient ‘‘Vive l’Algérie libre et indépendante !’’ ou ‘‘Algérie, Algérie, Algérie !’’ et nous faisions de même. Avec du recul, c’était le 5 juillet, jour de la proclamation de l’indépendance», déclare à El Watan un natif de la ville du 8 Mai 1945. Dans l’élan de la conversation, c’est un voisin qui emboîte le pas. «Moi, j’allais à l’école Des Jardins. Nous habitions dans la même rue. La curiosité nous a amenés à suivre de loin les mouvements de personnes», indique un habitant. 

Et de préciser : «Il y a une image que je retiens aujourd’hui encore. C’est la levée du drapeau de l’Algérie, vert et blanc frappé du croissant et d’une étoile rouges. Ça c’est passé, je n’en suis pas sur aujourd’hui certain, près de Rahbet Ezraa (Halle aux grains) là où il y avait aussi un cantonnement de l’armée française ». 

A 21 ans, les choses de la vie étaient plus sérieuses et précises dans la tête d’un adulte. Le cas de Zitouni Abdelouaheb, ex-commissaire de police à la retraire à Guelma, qui a rejoint ce corps en 1963, en intégrant la première promotion de l’école de police de Tlemcen (PAF) évoque avec lucidité en déclarant à El Watan : «Nous avons vécu de longues journées et soirées interminables à Guelma. Nous habitions la rue Scipion (Khalil Mokhtar),  je vous affirme que la liesse populaire a réellement débuté avec l’annonce officielle du cessez-le-feu suivie du vote pour l’autodétermination et la proclamation de l’indépendance quelques jours plus tard». 

Et de poursuivre : «De jour comme de nuit, les habitants ont été plongés dans une allégresse indescriptible ; nous avons fêté à la fois, la fin de la guerre, le départ des colons sanguinaires et surtout de l’armée coloniale. S’en était fini de l’oppression de l’armée, du racisme, des intimidations et des insultes contre nos compatriotes dans les villages, mechtas et douars de la région de Guelma». 

Et d’évoquer : «Les bars étaient ouverts de jour comme de nuit. C’était la fête !» Qu’avez-vous vécu juste après l’indépendance ? «J’ai assisté et collaboré directement avec deux autres concitoyens, le lieutenant Benkhada venu d’Alger pour le recrutement dans le corps de la Gendarmerie nationale à Guelma. Nous avions rempli ce devoir et nous avions réussi à enrôler des jeunes dans la Gendarmerie. 

En mars 1963, j’ai intégré l’école de police de Tlemcen ensuite celle de Oued Souf». Nous l’aurons compris, El hadj Zitouni a intégré l’Ecole de police de Tlemcen qui n’est autre qu’une institution historique de formation policière en Algérie, créée dans le contexte de la réorganisation des forces de sécurité juste après l’indépendance. Un pan de l’histoire de l’Algérie post-indépendance s’écrivait. Pour l’anecdote, notre interlocuteur évoque qu’il a été chassé, lui et cinq de ses camardes de l’école d’Alembert (CEM Mohamed Abdou) pour avoir malmené une institutrice «trop raciste en classe». Ils avaient 13 ans lorsqu’ils ont été menés manu militari au tribunal pour mineurs à Annaba, et ils ont écopé d’un internement en maison de redressement pour mineurs. «L’école n’a fait que suivre en nous chassant définitivement», conclut notre interlocuteur.  

Guelma à l’aune l’indépendance

Le 19 mars 1962, à midi, est une date indélébile qui a marqué la fin de la Guerre. Cette date est commémorée chaque année en Algérie. Les accords d’ÉEvian, signés la veille, le 18 mars, ont également défini les conditions de l’indépendance du pays.  A l’issue du cessez-le-feu proclamé, une commission dédiée de part et d’autre des belligérants est installée pour faire respecter l’ordre et les accords. 

A Guelma, sous préfecture (Daïra) dépendant du département (wilaya) d’Annaba a subi une transition rapide avec le départ chaotique de l’administration française rattachée aux diverses institutions coloniales de l’époque, dont la mairie. «La ville s’était vidée des Français et autres colons de diverses origines, bien avant la proclamation de l’indépendance, depuis quelques mois déjà. Ils ont plié bagage pour partir définitivement. C’est le cas, entre autres de la cité Bon accueil. Les villas ont été occupées rapidement par nos compatriotes. Mais il fallait appliquer la réglementation des biens vacants, définis le 24 août 1962.

Beaucoup de situations regrettables ont été constatées à cette époque», révèle à El Watan un habitant de Guelma, qui a vécu ce pan de l’histoire : «Je ne vous cache pas qu’également à cette époque un exode rural a provoqué l’apparition d’autres bidonvilles à Guelma tel celui de l’Oued Skoun, et plus en hauteur la cité du Camp, cité Bencheguib et bien d’autres.   Mais c’est du passé maintenant». La période postindépendance à Guelma était en pleine restructuration notamment à partir de l’année 1963 marquant une période transitoire avec la réorganisation administrative et la mise en place de nouvelles structures. 

Le nouveau lycée Mahmoud Benmahmoud ouvrit ses portes cette année-là pour les toutes premières classes de lycéens. Trois médecins au moins, dont un français ont assuré la prise en charge médicale dans le secteur privé avec l’unique hôpital du centre-ville de Guelma, sans omettre la présence de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge dont le local n’a pas changé à nos jours.  Ainsi, Guelma est restée sous-préfecture (daïra) de 1962 jusqu’à 1974 où elle est élevée au rang de wilaya. Les nouvelles usines telles celles de la céramique, cycles et motocycles et sucre et textiles ne verront le jour que durant les années 1970, une décennie où Guelma était à l’apogée de son développement économique. 

Quoi qu’il en soit, ceux et celles qui ont vécu la période transitoire de l’indépendance évoquent avec conviction que le pays n’a été libéré qu’au prix de très lourds sacrifices humains et «le départ dans l’ère de l’Algérie libre et indépendante fut très difficile».     

Par Karim Dadci
  

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