Procès des cadres dirigeants de l’agence nationale des loisirs et de la jeunesse : Des échanges d’accusations et des révélations qui laissent perplexe

07/05/2025 mis à jour: 22:21
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Le procès des cadres dirigeants de l’Agence nationale des loisirs et de la jeunesse (Analj) et de la direction de la jeunesse et des sports (DJS) a repris hier devant le pôle pénal près le tribunal de Sidi M’hamed, à Alger, après celui de plus d’une soixantaine de prestataires services ayant obtenu des marchés dans le cadre de l’organisation du festival des loisirs et de la jeunesse, durant l’été 2015 dans neuf wilayas du pays.

 Tous sont poursuivis pour «abus de fonction»,«octroi d’indus avantages» et «dilapidation de deniers publics», et cinq sont en détention. En liberté, Mourad Adimi, ex-DJS d’Alger, affirme qu’après la manifestation, «il y a eu d’énormes problèmes liés au paiement des prestataires de services», ajoutant : «Nous avons tenté de trouver une solution pour payer ces derniers.» 

Il juge qu’il n’a «rien signé» et surtout qu’il n’a «aucune relation avec les paiements des situations». Lui succédant à la barre, Malek Cherchar, directeur de l’administration générale et des moyens, au niveau de l’Analj (en détention), parle lui aussi «des problèmes auxquels l’agence a fait face en 2016 au point où le ministre, El Hadi Ould Ali, a décidé de recevoir tous les prestataires et s’est engagé à assainir la situation». Le juge : «Vous aviez déclaré avoir signé les dossiers…» Le prévenu conteste. «J’étais secrétaire de la commission des marchés. Je n’ai signé que l’accusé de dépenses relatives à 14 situations.»  

Le juge : «Qui a décidé de revoir à la baisse les prix ?» «C’est l’Analj», répond le prévenu, en précisant : «Le cahier des charges existe. Il comporte le prix de référence, qui a été régularisé en 2015.»

 Il persiste à souligner que la décision de régularisation «a été prise par le ministre de la Jeunesse et des Sports», et la « la commission des marchés a rejeté les dossiers sans les cahiers des charges». Selon lui, la signature de la régularisation a été faite «par le directeur de l’Analj». «Est-ce normal de signer des contrats antidatés ?» demande le juge. Le prévenu persiste à dire : «La décision a été prise par le ministre. 

De plus, la commission a refusé les situations où il n’y avait pas de cahier des charges.» Lui emboîtant le pas, Hassini, chargé de gestion de l’Analj, estime qu’il ne pouvait «pas faire autrement que de régulariser du fait que des centaines de jeunes étaient déjà à Béjaïa, et ailleurs des vols étaient réservés et des camps approvisionnés en fournitures nécessaires pour le programme des trois sessions. Il était impossible d’annuler. 

Cela aurait eu des conséquences très lourdes». Le prévenu affirme, cependant, qu’il n’a «aucun lien avec les prix, parce qu’il n’a aucune prérogative de négocier ou de demander la révision». Directeur de l’Analj, Mrezkane explique qu’il voulait à tout prix régler le problème de non-paiement des fournitures, en soulignant qu’il n’a signé aucun document en 2014, mais en 2015, il a eu trois dérogations exécutives et 24 marchés de gré à gré simple. 

Un cadeau pour le ministre, payé par l’argent de l’Analj

«Ces décisions, dit-il, ont été entérinées au niveau gouvernemental, avant d’être engagées par le ministre de la Jeunesse et des Sports. Toutes les factures ont été transmises au Premier ministre et exécutées à 100% par le ministre de la Jeunesse et des Sports. Ce dernier avait installé une commission des marchés dont les membres sont externes au département. Ils représentent tous les secteurs concernés. Et toutes les situations que j’ai régularisées n’ont fait l’objet d’aucune réserve suspensive.» Le prévenu nie avoir «exercé une quelconque pression sur qui que ce soit». 

Appelé à la barre, Salem Temine, assistant administratif principal au ministère de la Jeunesse et des Sports qui, comme ses prédécesseurs, nie tous les faits qui lui sont reprochés. Cependant, il reconnaît avoir signé 10 bons de commande pour des kits  complets pour des campings destinés à un groupe de clients. Le juge : «A quel titre vous l’avez fait ?» Le prévenu : «Aucun. Je n’avais pas de prérogatives pour le faire. Il y avait une urgence. Le ministre l’a demandé.» Il précise que «depuis cette affaire, la confiance entre l’agence et le ministère s’est effondrée». 

Le juge le relance sur la signature des bons de commande. «Vous devez savoir que l’Analj était rattachée à la wilaya d’Alger et n’avait aucun lien avec le ministère. Elle ramenait les enfants pour les colonies de vacances durant l’été…», lance-t-il, puis ajoute  : «Le directeur de l’Analj de l’époque m’avait remis les bons de commandes dans une chemise, en me disant que le ministre, alors Khomri, qui était à l’étranger pour des soins, lui a demandé de les signer. Ces obligations sont temporaires», explique le prévenu. 

Le juge : «Vous aviez déclaré avoir eu peur du directeur de l’Analj et du ministre. Qu’en est-il ?» Le prévenu : «L’Analj avait pour mission de faire venir des enfants du Sud, des Hauts Plateaux et des centres de réfugiés sahraouis vers des centres vacances au Nord. J’ai appelé le ministre pour confirmer, mais il n’a pas répondu. 

Par peur du ministre, j’ai signé les formulaires de demande et les ai renvoyés au directeur de l’agence.» Le juge : «Qu’en est-il des deux salons envoyés au ministère de la Jeunesse ?» Le prévenu : «Effectivement, c'est moi-même qui les ai reçus. Ils ont été achetés à 920 000 DA chacun et envoyés par l’Analj, au ministre Khomri, comme cadeau.  Ils ont été installés au salon de son bureau.» Le juge : «Qui a mis le cachet sur le bon de réception ?» 

Le prévenu : «J’ai signé le document, mais le cachet c’est le secrétaire particulier du ministre qui l’a apposé. C’est le sceau du ministre qui était caché dans un coffre-fort. Pour moi, c’est impossible qu’il le tire sans la permission du ministre.» Fixant du regard le prévenu, le magistrat semble un peu surpris par les propos de ce dernier. «Le ministre était absent, il se trouvait à l’étranger, comment peut-il prendre ce cachet du coffre-fort du ministre ?»  

Le prévenu : «Justement pour être plus sûr, j’ai demandé au secrétaire si le ministre est au courant, il m’a répondu ne t’en fait pas. C’est lui qui me l’a demandé.» Le juge l’interroge sur le bon de réception de fournitures destinées au camp de jeunes de Zéralda, qu’il a signé à son bureau au siège du MJS. Le prévu confirme et précise qu’il l'a signé au nom du ministère, avec des documents y afférents. 

Le juge : «Comment pouvez-vous signer sans vérifier la marchandise ?» Le prévenu : «Je l’ai vérifiée à l’entrepôt de Zeralda avant de signer, du fait que le ministère est l’organisateur des camps de vacances d’été et c’est lui qui a acquis ces équipements au profit de camps de jeunes destinés aux enfants. Ces fonds proviennent du budget de l’Etat alloué au ministère.  

L’Analj n’est qu’un prestataire de service qui assure l’hébergement, la nourriture, le loisir et la surveillance. Chaque année, le ministère organisait les camps d’été et il était donc normal que je signe les bons de réception au nom du ministère.»  

Le juge lui fait remarquer qu’il avait signé un bon de réception de 20 000 sacs à dos, mais seulement 5000 ont été réceptionnés. «J’ai signé le bon de commande parce que le ministre me l’a demandé», répond le prévenu.  

De son côté, Mourad Assini, employé à la DJS d’Alger et président de l’Association pour la promotion des activités récréatives pour les enfants, rejette les charges retenues contre lui, avant d’évoquer «les grands problèmes auxquels la direction a été confrontée durant l’été 2014, en raison du non-paiement des prestations assurées par des nombreuses entreprises privées». 

Et de souligner que lui-même avait «refusé de signer une quelconque attestation de service parce qu’il n’avait aucun lien avec le suivi des opérateurs». Le juge lui fait savoir qu’il a été désigné en tant que membre du comité chargé du suivi et de l’évaluation du Festival de la jeunesse et des loisirs au Palais des expositions à Alger. 

Le prévenu réplique : «Et aussi responsable des aires de jeux pour enfants à titre gratuit.» Interrogé sur les problèmes avec les prestataires de services, il répond : «Il y a eu des difficultés très lourdes en raison du non-paiement des prestations des entreprises, mais j’ai refusé de signer un certificat de service fait parce que je n’avais aucun lien avec le suivi des clients, mais une autre alternative a été trouvée, celle de leur délivrer un certificat administratif. Il aide à l’exécution du service et permet de régler le statut de ces clients.» 

Il confirme avoir signé ce certificat administratif au profit d’une société de gardiennage, parce qu'il connaît ses capacités, ses moyens, ses unités canines du fait qu’elle a déjà assuré la sécurité de la Safex.  «Quant aux autres clients, les autres employés ont signé pour eux». 

 Pour ce qui est de la réunion de mai 2016, il explique qu’elle a permis «le règlement des dettes financières de certaines institutions participant à l’événement Villages des jeunes 2014». Les auditions se sont poursuivies tard dans la journée et l’audience reprendra aujourd’hui.  Salima Tlemçani
 

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