Le «caribou», également appelé renne (Rangifer tarandus), est un cervidé originaire des régions arctiques et subarctiques d’Europe, d’Asie et d’Amérique du Nord, actuellement classé comme «vulnérable» sur la liste rouge de l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature).
«Bien qu’il s’agisse nominalement de la même espèce, le terme renne désigne en réalité des animaux d’Eurasie, dont beaucoup ont été semi-domestiqués par les populations de l’Arctique, alors qu’en Amérique du Nord, on les appelle caribous», précise Eliezer Gurarie, professeur au sein du département de biologie environnementale de l’Université d’Etat de New York.
Facilement reconnaissable à ses grands bois recouverts de velours en été, le caribou possède des sabots larges, parfaitement adaptés à la neige, à la boue et à la nage. C’est une espèce qui migre sur de plus longues distances que tout autre animal terrestre. Pourtant, «les mécanismes par lesquels les animaux adaptent ou modifient leurs migrations sont mal compris», soulignent Eliezer Gurarie et ses collègues dans une étude publiée dans la revue Global Change Biology.
Pour mieux comprendre les raisons et le processus de cette migration hivernale, ces derniers ont travaillé avec le National Park Service (service des parcs nationaux américains) pour étudier le plus grand troupeau de caribou connu : celui de l’Arctique occidental, au nord-ouest de l’Alaska. Une région tristement connue pour vivre l’un des réchauffements les plus rapides de la planète.
Pendant 12 ans (2009-2021), 326 femelles caribous ont été équipées de colliers GPS pour étudier leurs déplacements à grande échelle. L’objectif était de comprendre comment les caribous s’adaptent aux conditions hivernales changeantes, notamment en traversant ou non la rivière Kobuk, une barrière naturelle clé.
«Nous avons analysé les mouvements (à partir des colliers), les événements de mortalité (à partir de la récupération des colliers), ainsi que certaines données météorologiques et climatiques provenant de sources satellitaires», explique Eliezer Gurarie. Les résultats ont montré des changements importants dans les aires d’hivernage des caribous.
En 2015-2016, 84% des caribous ont hiverné sur la péninsule de Seward (large péninsule de la côte ouest de l’Alaska), mais en 2020-2021, 75% ont migré vers la chaîne Brooks (chaîne de montagnes), à 500 km.
Cette inversion a été marquée après 2016, avec une baisse de 44% de la probabilité de traverser la rivière Kobuk, illustrant pour les chercheurs un changement comportemental net.
Ils ont également constaté que les caribous adaptaient leurs migrations en fonction des conditions météorologiques hivernales. Lorsque les animaux hivernaient au sud de la rivière Kobuk, ils étaient plus susceptibles de survivre à des hivers chauds et venteux. A l’inverse, lorsqu’ils hivernaient au nord de la rivière, leur survie était meilleure lors d’hivers plus enneigés et moins venteux.
«Les décisions de déplacement sont le reflet d’expériences collectives»
Entre 2012 et 2020, les caribous ont progressivement quitté la toundra maritime au sud-ouest, autrefois leur principal site d’hivernage, pour privilégier les zones montagneuses situées à l’est.
Cette transition, révélée par l’analyse des colliers GPS, semble être une adaptation aux mauvaises conditions hivernales, probablement guidée par la mémoire collective du troupeau. Mais «il est encore trop tôt pour affirmer qu’il s’agit d’un début de stratégie migratoire car les caribous changent souvent d’aires de répartition», tempère Eliezer Gurarie.
Cependant, ce changement d’aire d’hivernage n’a pas complètement réduit l’augmentation des taux de mortalité. Il a également entraîné des modifications des schémas de survie saisonniers, en lien avec un apport nutritionnel plus limité en hiver.
De manière surprenante, le facteur prédictif le plus déterminant d’une migration vers le sud était la survie globale des caribous au sud l’hiver précédent, confirmant le rôle crucial de la mémoire collective. «Nos résultats démontrent que les décisions de déplacement sont le reflet d’expériences collectives, très peu d’études démontrent que la prise de décision basée sur la mémoire est efficace pour une espèce mobile afin d’améliorer les résultats dits de fitness (capacité d’une espèce à se reproduire, ndlr) dans un environnement dynamique et changeant», conclut le chercheur.