Patrice Bouveret. Directeur de l’Observatoire des armements et porte-parole d’ICAN France : «Un lourd contentieux colonial»

10/02/2025 mis à jour: 13:25
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Photo : D. R.

Invité à participer au colloque organisé en Algérie, Patrice Bouveret que nous avons rencontré au siège de l’Observatoire des armements à Lyon,  estime que «ce dossier nécessite une véritable volonté politique de coopération sur le long terme en faveur du bien commun des populations». Soit que «la gestion des conséquences des essais nucléaires en Algérie ne peut s’inscrire que dans le cadre de négociations et d’accords entre les deux gouvernements». Et que l’Algérie à intérêt à communiquer et à rendre publiques ses actions de terrain.

Dans une interview qu’il nous a accordée en août 2022 (El Watan du mercredi 24 août 2022), il soulignait que «cette question fait partie d’un lourd contentieux colonial entre les deux pays aux multiples volets, dont elle n’est qu’une des facettes». «Le bon sens aurait voulu que les militaires français emmènent avec eux tout le matériel utilisé ainsi que les déchets, notamment radioactifs, générés par les explosions.

Cela n’a pas été le cas.» «Par contre, aucune information n’a été transmise alors aux autorités algériennes à ce sujet. Toutes les archives ont été rapatriées en France et classées ‘secret défense’.» Et de rappeler que «le gouvernement français a toujours rechigné à reconnaître sa responsabilité. Pour lui, les essais étaient propres. Ce n’est que suite aux pressions exercées par la société civile qu’il a été contraint à prendre des mesures de réparation et d’indemnisation. Ce qui a pris de nombreuses années».

En effet, «l’Observatoire des armements a commencé à partir du début des années 1990 à alerter sur les conséquences des essais pour le personnel et les populations d’Algérie et de Polynésie, notamment suite à la publication de témoignages recueillis au Sahara par une députée européenne écologiste, Solange Fernex, et aussi de témoignages sur les atolls polynésiens recueillis par une équipe de médecins». En 2001, se sont créées les associations, Moruroa e tatou en Polynésie regroupant les anciens travailleurs et Aven en métropole regroupant les personnels et leurs amis.

Des associations se sont créées plus tard dans le Sud algérien. Des chercheurs ont également alerté sur la situation. L’expert et lanceur d’alerte rappelle que depuis son arrivée au pouvoir en 2017, Emmanuel Macron a manifesté son «souhait de faire bouger les lignes» pour rétablir et renforcer les relations entre les deux pays, et «initié un certain nombre de gestes sur plusieurs sujets liés à la guerre d’Algérie — sauf à propos des essais nucléaires, malgré la recommandation figurant dans le rapport demandé à Benjamin Stora.

Le TIAN, une opportunité pour l’Algérie

Or, la remise des archives concernant les conséquences des essais nucléaires et leur ouverture au public «permettrait aussi aux chercheurs, journalistes, associations de produire des dossiers, d’alimenter le débat à partir des faits». «Une situation d’autant plus incompréhensible qu’il a accepté que les archives des essais en Polynésie soient progressivement déclassifiées pour être accessibles au public.»

Se fondant sur les actions menées en France et en Polynésie française par des associations, des médias, des experts, des élus locaux et des parlementaires, Patrice Bouveret considère qu’«une forte pression citoyenne permettra que des avancées puissent avoir lieu».

Le directeur de l’Observatoire des armements souligne que l’étude «Sous le sable, la radioactivité  !»  menée sous l’égide de l’Observatoire et de l’ICAN France «est une première réponse et dresse un inventaire de l’ensemble des déchets, notamment radioactifs, présents sur ces sites». «Des déchets qui devraient faire l’objet d’un travail approfondi de repérage et de récupération sur le terrain par des équipes spécialisées et avec des observateurs indépendants.» 

Cette étude propose ainsi «un ensemble de recommandations (mesures de dialogue entre les deux Etats pour améliorer la situation humanitaire  ; mesures concernant les déchets nucléaires ; mesures de protections sanitaires ; mesures auprès des populations, réhabilitation et protection de l’environnement) pour parvenir à faire évoluer cette sombre page atomique de l’histoire entre la France et l’Algérie». L’entrée en vigueur du Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN), adopté en 2017 à l’ONU, ouvre une opportunité à l’Algérie - qui l’a signé en 2017 - pour mettre la France face à ses responsabilités dans la contamination de l’environnement au Sahara et les dégâts sur la santé des populations causés par les rejets radioactifs et l’amener à les assumer.

Patrice Bouveret rappelle que «l’Algérie a non seulement participé à l’ONU au processus de négociation du TIAN, mais est également intervenue pour que la réparation des dégâts provoqués par les essais nucléaires soit intégrée dans le traité. Il serait important qu’elle ratifie au plus vite le traité, qu’à ce jour elle a seulement signé depuis le 20 septembre 2017, jour de l’ouverture à la signature…»

«Cela renforcerait sa demande à la France de réparation.» «Même si la France refuse de se lier au TIAN, elle pourrait très bien participer à ce processus.» Les articles 6 («Assistance aux victimes et remise en état de l’environnement») et 7 («Coopération et assistance internationales») du TIAN comportent des obligations pour s’assurer que les zones contaminées soient pleinement connues pour protéger les populations, les générations futures, l’environnement et la faune de cette pollution.

A la première réunion du TIAN qui s’est déroulée à Vienne, du 21 au 23 juin 2022, la situation de l’Algérie a été mise en avant, notamment par le CICR. Le point n°20 de la déclaration finale de cette réunion mentionnait qu’il faut : «engager et promouvoir l’échange d’informations avec les Etats non parties au traité qui ont utilisé ou testé des armes nucléaires, ou tout autre dispositif explosif nucléaire, sur l’aide qu’ils apportent aux Etats parties touchés aux fins de l’assistance aux victimes et de la remise en état de l’environnement».

Pour sa part, le général Bouzid Boufrioua, le chef du service du génie de combat du Commandement des forces terrestres de l’ANP, a précisé que «le principe du «pollueur-payeur» a été… introduit et reconnu officiellement», dans une interview dans la revue El Djeïch au printemps 2021. Soulignant que le nouveau Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN) «vient s’ajouter aux traités antérieurs», il a affirmé que «c’est la première fois que la communauté internationale demande aux puissances nucléaires de rectifier les erreurs du passé».

«En attendant une solution définitive et satisfaisante à ce problème, je souhaite souligner, dans ce contexte, qu’en application des orientations du haut-commandement de l’ANP et dans le cadre de ses missions constitutionnelles et en coordination avec les autorités civiles et les organes scientifiques chargés de ce dossier, les unités et les structures militaires œuvrent à exécuter les missions qui leur sont assignées dans ce volet, afin de protéger et d’assainir ces sites qui furent le théâtre des essais nucléaires français dans le désert de notre pays.» «Nous avons réussi à éradiquer le phénomène lié à l’enlèvement aléatoire des déchets radioactifs et empêché les citoyens de s’approcher des zones polluées, en plus du suivi continu de la situation radioactive», a-t-il encore ajouté.                        

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