M'hamsadji Kaddour. Doyen des écrivains algériens L’intellectuel qui fulmine contre la vue qui décline

12/01/2023 mis à jour: 12:36
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M'hamsadji Kaddour

Il déteste la complaisance, n’aime pas le bricolage et se revendique comme un auteur libre, qui se délecte de la saveur des mots qu’il a choisis et ciselés, pour les faire danser, depuis 1956 dans une quarantaine d’ouvrages qui reflètent son parcours. Il forçait le respect, dans un milieu qui ne l’entretenait que rarement en confortant en nous la fierté de passer des messages avec beaucoup de finesse, en louant  le sens de la famille, des traditions, en s’immunisant contre les influences néfastes, les intérêts étroits et les états d’âme. Tel est le doyen des écrivains algériens M’hamsadji Kaddour, 89 ans, qui nous a reçus à son domicile, où plane la bienveillante absence-présence de son épouse Samya, emportée par la Covid, il y a quelques mois, exactement le 15 juin 2021 et dont le souvenir douloureux, lui perce le cœur et ne le quitte jamais. 63 ans de mariage ne peuvent s’effacer d’un trait. «Ce n’était pas seulement mon épouse, c’était mon amie, ma conseillère, ma confidente mon moi même. C’est une situation terrible pleine d’angoisse et de stress, d’autant que je ne peux me soulager par l’écriture, car ma vue a considérablement baissé. Mais à longueur de journée, j’entends encore mon épouse et parfois je la vois. Elle me hante agréablement. Souvent, je suis au bord des larmes. Ce qui me fait mal, j’avais commencé à écrire un livre sur elle. Elle ne voulait pas, renvoyant le projet à plus tard, ce plus tard est désormais une chimère». Côté moral, actuellement chez Kaddour, c’est plutôt marée basse.

LA CONSOLATION PAR LES LIVRES éCRITS 

Kaddour nous parle avec enthousiasme de son premier livre La Dévoilée, écrit en 1956. «J’avais 16 ans, quand je l’ai mis en forme, au collège de Sour El Ghozlane, où je suis né en 1933. Un jour, j’ai vu passer une fille non voilée. Dans mon for intérieur, je me suis dit, pourquoi ses semblables n’en feraient pas autant. Je l’imaginais donnant des cours dans un collège, ou exerçant dans une poste, dans un hôpital, ou dans une quelconque administration. J’ai commencé à écrire cette pièce de théâtre, en la soumettant à mon prof de français, Bernard Masson, en classe de première, au lycée Bugeaud. Il l’a lue et appréciée. Après, il l’a envoyée à Emanuel Roblès, qui a donné son accord pour la publier. Paul Vautre de Radio Alger l’a mise en scène et l’a fait jouer le 2 octobre 1956 la réalisation étant du ressort de Mahieddine Bachtarzi. C’était une pièce de combat». Emanuel Roblès, satisfait, s’est fendu d’une belle préface, alors qu’Albert Camus, qui s’est félicité de cette œuvre de jeunesse, avait écrit La Dévoilée  apporte des promesses qui ne sont pas négligeables. Elle évoque un problème douloureux et le rend sensible à plusieurs reprises au lecteur. Jean Pellegri, de son côté, note que «ce livre traite, sur le plan humain de la vraie révolution, celle qui libère les hommes et les femmes. Sans cette autre indépendance, comme vous dites, rien de vrai ne peut se faire. Rien de sérieux. On ne fonde pas aujourd’hui, une civilisation, sur une conception féodale de la femme» Ce livre, allait ouvrir la voie à d’autres, dont «la poétique de l’œil», qui pourrait paraître, à des spécialistes, comme celui d’un traité courant de poésie, de versification, de langage poétique, de philosophie, de morale ou... d’ophtalmologie, une branche de la médecine. C’est, dirait-on, une réflexion, simple d’un écrivain, sincèrement persuadé de sa sensibilité et surtout des limites de son savoir, singulièrement, en sciences médicales. L’œil, cet observateur «essaie donc d’élever l’âme qui s’exerce à croire à l’idéal et à tendre vers lui. Alors une question pertinente et pour autant inattendue ne viendrait-elle pas à celui qui pense ? Alors l’œil humain aurait-il une âme ? Nul doute là où commence, l’acte de voir, là éclot l’image pensée, là se développe, la poétique de l’œil aussi.» C’est cet œil là, qui est aujourd’hui, affecté, hélas  et qui prive Si Kaddour de lecture et d’écriture, «ce handicap, je le vis avec une angoisse constante»,  se plaint-il.

MAMMERI, BOURBOUNE , M’HAMSADJI, SEFTA, MOUFDI ZAKARIA 

Retour au fringant jeune homme qu’il était à l’indépendance, en qualité de secrétaire exécutif de l’union des écrivains algériens, sous la houlette du président Mouloud Mammeri. «Un frère aîné. Je le connaissais de nom, quand j’étais élève au lycée Bugeaud. Je lisais ses premiers ouvrages. La passion de l’écriture nous a réunis et soudés. On a vite sympathisé. On a eu une haute considération l’un pour l’autre. On sortait régulièrement en famille. Je suis toujours en contact avec sa fille Nezha. Dda Mouloud était un homme chaleureux, facétieux, qui aimait la belle ambiance. Un jour pour rigoler, derrière ses lunettes et ses yeux malicieux, il m’avait interpellé. “tu devrais changer ton nom pour le rendre plus local. Je te verrais bien sous l’appellation Moh Sadji» au lieu de M’hamsadji, dont le patronyme renvoie à la fabrication du sachem (plomb ) pour la chasse  et  la réparation de fusils». A l’arrivée des Français en 1830, l’activité de la fabrication des armes et dérivés  avait été interdite  pour les autochtones. Kaddour nous résume la saga de cette famille. Il y avait 4 frères M’hamsadji, leur terrain se trouve à proximité de Djamaa Lihoud, à La Casbah. Après cette interdiction, ils se sont séparés pour tenter de poursuivre leur activité ailleurs. Le premier est parti à Sour El Ghozlane, ville garnison, le second à Bougie, le troisième à Tunis et le dernier à Istanbul. Mes parents se sont donc installés à Sour El Ghozlane où je suis né, et à laquelle j’ai consacré deux livres Le petit café de mon père  et Le Silence des cendres traduit en Chinois. Ce dernier livre raconte l’histoire authentique  d’un moudjahid Mokhtar Mazari dont la principale artère de Sour porte le nom, il est monté, jeune, au maquis et a combattu près de Berrouaghia. Il se cachait dans une casemate, il a été «vendu» par un traître. Les militaires ont bombardé son refuge et utilisé des lance-flammes dans toute la zone alentour. Le jeune combattant est sorti de sa cache blessé, en rampant ils l’ont achevé. Un jeune a récupéré son arme, l’a brandie en criant «Tahia El Djazair». Un film a été réalisé sur les lieux mêmes du massacre par Youcef Sahraoui. Lui même maquisard. La version chinoise du livre a obtenu un vif succès, l’auteur s’en est réellement rendu compte le jour de la présentation de son livre à Pékin où il a été invité avec son épouse le 2 août 1966 pour une vente dédicace qui a drainé une foule considérable 

RECONNAISSANCE EN CHINE DE MAO ET À CUBA DE CASTRO

Un jour, l’ambassadeur cubain à Alger nous avait invités Da L’mouloud et moi pour un voyage à la Havane, à l’initiative des écrivains cubains. Comme je lui faisais remarquer, l’absence dans cette délégation d’un écrivain arabophone, Da L’Mouloud, avec toute sa grandeur d’âme, s’est dit prêt à se désister. Je lui ai suggéré de choisir le plus actif de l’union et d’en faire la proposition à l’ambassade qui a accepté. K. S était donc notre 3e compagnon. Il se trouve que cet arrivant de dernière minute avait des préjugés vis-à-vis de Da L’Mouloud. En tout cas, les rapports promettaient d’être froids. On était en plein ramadan. A la Havane, notre ami était déjà impressionné par le comportement de Da L’Mouloud qui parlait espagnol et nous sortait souvent de situations alambiquées  quand on allait faire des courses. A l’hôtel,  K.S, était dans une chambre single. Un jour,   ayant eu besoin de moi, urgemment, il est rentré en trombe dans notre chambre et a trouvé Dda L’Mouloud, en pleine prière. Il a failli tomber tant il avait une idée préconçue déformée du célèbre écrivain. Depuis, le rapport est devenu chaleureux. Mieux, les deux hommes sont devenus des amis et K.S  a fait son mea culpa en s’excusant. Kaddour  touche à tout, a écrit des ouvrages pour enfants, sur l’histoire, sur l’Emir Abdelkader et ses dons de monter à cheval et de le dompter avec doigté et finesse, toute une habilité à manier les chevaux qui sont, ne l’oublions pas, les compagnons fidèles en temps de guerre. Kaddour a abordé dans ses écrits la religion,  après son pèlerinage aux Lieux Saints, a écrit sur la tradition en évoquant somptueusement la «Qasbah zman», le jeu de la bokala, sujet qui avait déjà été évoqué par le penseur et professeur Mohamed Bencheneb et Mostefa Lacheraf. La Casbah d’aujourd’hui est loin d’être celle d’hier, regrette Kaddour. L’actuelle est devenue, à l’image de ce que nous vivons, il est impossible de retrouver La Casbah d’hier qui était tout un poème, commente-t-il désabusé. La littérature algérienne ? Elle est à l’image de son époque. Elle doit contribuer à l’essor de la société. La réflexion humaine  conduit vers un espoir, vers une existence toujours lointaine,   toujours inaccessible. 

C’est à la fois l’espoir et le désespoir. La crise n’est pas seulement économique, comme le clament certains, elle est morale et intellectuelle. Tout nous ramène à considérer et à étudier cette existence qui n’est pas uniquement matérielle. Elle nous ramène sur le chemin de ce qu’on appelle l’au- delà, imperceptible aujourd’hui, donc indéfinissable. Mais le croyant a toujours son cœur et son cerveau tendus vers une situation d’espoir, de sérénité et de paix. Ne dit-on pas que la vue c’est la vie ? S’interroge Kaddour obnubilé et sûrement tarabusté par cette vision qui décline et qui l’empêche d’apprécier les êtres et les choses pour pouvoir les décrire.   Un clin d’œil de reconnaissance, toutefois  à ses nombreux amis de Sour El Ghozlane, notamment les poètes de talents, aujourd’hui disparus : Messaour Boulanouar et Aoun M’hamed, son parent. Des signes d’espoir aussi à travers des encouragements nourris, la nouvelle génération pour ces jeunes de la famille qui percent doucement mais sûrement dans l’art d’écrire, Anis Mezaour, son petit-fils et Mahmoud M’hamsadji sur le point de sortir son premier livre sur la voie de leur illustre vieux  grand-père... 

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