La menace de gel des avoirs ciblant une vingtaine de hauts responsables algériens occupant des postes clés au sein de l’administration, de la sécurité et la sphère politique, possédant des biens et des intérêts financiers en France que vient de brandir Paris témoigne de cette forte croyance des ministres de l’Intérieur Bruno Retailleau et son collègue de l’Economie, Eric Lombard, dans les vertus de la diplomatie de l’absurde. En songeant sérieusement à actionner ce mécanisme de rétorsion, la France ne serait-elle pas en train de certifier, sous un mince vernis, son statut de pays receleur qui a des années durant protégé des fonds et des actifs d’origine douteuse y ayant trouvé refuge ?
Tout porte à le croire ; les deux ministères (Economie et Intérieur) peuvent décider du gel des avoirs «lorsque cela est nécessaire pour lutter contre le terrorisme ou lorsque des personnes commettent ou facilitent des actes prohibés par le droit international ou européen».
En effet, la législation française permet «de geler les fonds et ressources économiques qui appartiennent à, sont possédés, détenus ou contrôlés par des personnes physiques ou morales, ou toute autre entité qui commettent, tentent de commettre, facilitent ou financent des actes de terrorisme, y incitent ou y participent».
Pas que. Par la loi du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme, la France s’est dotée d’une procédure de gel des avoirs criminels habilitant le ministre de l’Economie à «geler les avoirs des personnes impliquées dans des actions prohibées par les Nations unies au titre du chapitre VII de la Charte ou par l’Union européenne au titre de la politique de sécurité commune (PESC)», explique, à juste titre, Me Renaud de l’Aigle, avocat au barreau de Paris, dans un média exclusivement dédié à l’actualité juridique et à la communauté du droit.
Ce qui pousse à s’interroger sur les griefs que l’on reproche aux personnes visées par la mesure de rétorsion, car, n’ayant, pour le moment, fait l’objet d’aucune poursuite judiciaire ni en France ni en Algérie. «Une mesure de gel contre toute personne compromise dans des actes de terrorisme non sanctionnés par les Nations unies ou l’UE peut être conjointement ordonnée par les ministres de l’Economie et de l’Intérieur», étaye le juriste français.
FRANCE, ÉTAT RECELEUR ?
Les deux ministres sont sans savoir qu’en feignant d’ignorer la présence sur leur territoire et la protection de capitaux et de biens «mal acquis», ils exposeraient leur pays à de lourdes et drastiques sanctions que prévoient les règlements de l’Union européenne (UE) : «L’UE peut imposer des sanctions à un Etat membre qui abrite ou tolère des fonds de corruption, notamment les fonds européens ou en appliquant des sanctions plus strictes prévues par l’article 7 du Traité de l’Union européenne (TUE)».
D’où l’autre question que d’aucuns se posent sur les techniques auxquelles auraient eu recours les «dignitaires» algériens pour pouvoir introduire ces sommes colossales dans les circuits bancaires sous le nez des organes de contrôle ainsi que sur les procédés utilisés aux fins de les dissimuler aussi longtemps. Et les sanctions du TUE, de quelle nature peuvent-elles être ? D’abord financière : «L’UE peut suspendre les aides financières à un Etat membre qui viole le principe de l’Etat de droit, y compris en matière de corruption.»
Au plan politique, l’article 7 du TUE permet, en cas de violation grave des valeurs fondatrices, de «suspendre certains droits de l’Etat membre au sein de l’Union, notamment ses droits de vote au Conseil». La suspension de participation aux programmes européens est une autre disposition contenue dans l’article 7 du TUE et s’applique à tout Etat membre qui enfreindrait les règles imposées par les juridictions de l’UE et agirait au mépris de ses principes et valeurs fondamentaux, notamment «le respect de la dignité humaine, de la liberté, de la démocratie, de l’égalité, de l’Etat de droit et des droits de l’homme».
Des valeurs incompatibles avec la corruption contre laquelle lutte l’UE pour «préserver les fonds européens et garantir que le budget soit utilisé de manière efficace et transparente», stipule ledit article du TUE dans son chapitre Protection du budget européen.

(Le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau et le Premier ministre François Bayrou, à l’Assemblée nationale française)
AUTRE ARGUMENT, FOLLE FABULATION
Et qu’entend-on par «actes d’ingérence», autre argument sur lequel pourrait-on également s’appuyer à la place Beauvau et à Bercy pour justifier le déclenchement, «en cas de nouvelle escalade entre Paris et Alger», de cet énième instrument-levier diplomatique visant, cette fois-ci, un groupe de ressortissants algériens de haut rang politique, sécuritaire et administratif ? Est désigné comme actes d’ingérence «tout agissement commis directement ou indirectement à la demande ou pour le compte d’une puissance étrangère et ayant pour objet ou pour effet […] de porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation». Quels seraient, à ce titre, ces «actes d’ingérence» qu’auraient commandités Alger dans le but d’attenter aux intérêts fondamentaux de Paris ?
Car «En l’état actuel des informations, nous sommes réduits aux supputations et aux suppositions. Et ce n’est pas de cette façon légère que se gèrent des dossiers de cette envergue», insiste l’avocat algérien Me Nasr Eddine Lezzar. Les ministres de l’Intérieur et de l’Economie sont les seuls à le savoir, eux qui, à en croire le pénaliste Me Renaud, ont le pouvoir de geler les avoirs de toutes les personnes sur lesquelles pèsent des soupçons liés à de tels actes, les privant ainsi «de leur disposition de ces fonds, de leurs ressources économiques, et de tout service financier. Elles ne peuvent utiliser leurs biens, corporels ou incorporels, mobiliers ou immobiliers. Il leur est ainsi interdit de débiter leurs comptes, tirer des chèques, décaisser des prêts, vendre ou louer leurs immeubles».
Ce pouvoir dont disposent et menacent d’appliquer, aujourd’hui, MM Retailleu et Lombard ne serait-il, paraît-il, pas valable dans les cas de l’ancien ministre de l’Industrie, Abdeslam Bouchouareb ou l’ex-patron du FLN, Amar Saâdani, et tant d’autres, dont les biens et les colossaux intérêts financiers qu’ils contrôlent dans l’Hexagone jouissent toujours de la sûreté et de la sécurité absolues.
L’APS n’a, d’ailleurs, pas manqué de le souligner : «L’Algérie, bien loin de toute opacité, a demandé à plusieurs reprises l’assistance judiciaire de la France dans les affaires de biens mal acquis.» Mieux, les autorités judiciaires françaises sont restées étanches concernant plus d’une cinquantaine de requêtes d’entraide émanant de leurs homologues d’Alger.
Il en est de même pour les multiples demandes d’extradition visant des individus condamnés pour corruption ou dilapidation de fonds publics. «Comme il est facile de se laisser submerger par la haine » !!!
Enquête réalisée par Naïma Benouaret