Marches pour Ghaza : La conscience mondiale en mouvement

15/06/2025 mis à jour: 01:08
1073
Face aux blocages sur le terrain, les marches se déplacent sur le sol européen

Une marche pour la paix, stoppée net aux portes du désert et des voix citoyennes étouffées avant d’avoir atteint leur destination. 

Tel est le sort réservé aux dizaines de militants de la Global March to Gaza, initiative internationale de solidarité avec la population assiégée de Ghaza que les autorités égyptiennes ont empêchés d’avancer vers Rafah. Alors que la bande de Ghaza connaît l’une des pires catastrophes humanitaires de son histoire contemporaine, les élans de solidarité venus d’Europe, du Maghreb et d’ailleurs se heurtent à un mur diplomatique, politique et sécuritaire. 

Vendredi, plusieurs groupes d’activistes avaient quitté Le Caire en direction de la ville d’Ismaïlia, première étape vers Rafah. Leur objectif : traverser le Sinaï pour rejoindre à pied le poste-frontière égyptien avec Ghaza, dans une marche pacifique symbolique. Mais très vite, les espoirs se sont fracassés contre le réel : blocage par les forces de sécurité, confiscation de passeports, évacuations forcées dans des bus, violences policières, selon les images diffusées sur les réseaux sociaux et les témoignages recueillis par la presse. «Nous avons été bloqués pendant six à sept heures, avant que les forces de l’ordre ne dispersent violemment le groupe», a déclaré Seif Abu Kishk, l’un des organisateurs de cette marche. La répression s’est intensifiée malgré la présence de personnalités internationales, comme le petit-fils de Nelson Mandela ou encore des parlementaires étrangers. Selon les organisateurs, plusieurs militants restent encore détenus ou refoulés, dans un silence complet des autorités égyptiennes. 

Parallèlement, à l’ouest, à l’entrée de Syrte (Libye), un autre convoi humanitaire baptisé Somoud et composé d’un millier de volontaires tunisiens, algériens, marocains et mauritaniens, reste bloqué depuis plusieurs jours par les forces du maréchal Haftar, illustrant ainsi la mainmise de ce chef militaire sur la région et son rôle actionné d’ailleurs dans l’entrave aux mouvements solidaires avec la Palestine. Aucune explication officielle n’a été donnée. 

Ces mouvements avortés illustrent une mobilisation transnationale sans précédent pour Ghaza, mais aussi l’étendue des obstacles érigés autour de l’enclave palestinienne, verrouillée de toutes parts. 

Journaliste en détention

Sur mer aussi, la solidarité rencontre la répression. Douze militants et humanitaires à bord du voilier Madleen ont été arrêtés lundi dernier par Israël, dans les eaux internationales, à 185 km au large de Ghaza. Parmi eux, six Français, dont le journaliste franco-algérien Yanis Mhamdi, envoyé du média en ligne Blast, toujours emprisonné à la prison de Givon avec deux autres membres d’équipage, dont un autre Français, Pascal Mauriéras. Le média dénonce un traitement contraire au droit international. 

«Le statut de journaliste de Yanis est bafoué. Il n’était pas là en tant que militant», déplore Blast dans un communiqué. Le média exige qu’il soit immédiatement placé sous protection consulaire. L’annulation de son expulsion est survenue après une attaque israélienne massive contre l’Iran, qui a conduit à la fermeture de l’espace aérien. Cette affaire soulève une double inquiétude : le sort des journalistes et humanitaires étrangers pris pour cibles et l’attitude des démocraties occidentales face aux atteintes au droit international humanitaire. Dans ce contexte tendu, les appels à une réponse plus ferme de l’UE se multiplient. 

Face aux blocages sur le terrain, les marches se déplacent sur le sol européen. Aujourd’hui, dimanche 15 juin, une colonne de marcheurs s’élancera de Paris à Bruxelles pour dénoncer «le massacre à Ghaza» et exiger des sanctions européennes contre Israël. L’initiative, portée par la Ligue des droits de l’homme (LDH), la CGT, la FIDH, la France Palestine Solidarité et d’autres associations, vise à interpeller les institutions de l’UE sur leur passivité. 

Des personnalités françaises, comme les comédiens Corinne Masiero, Swann Arlaud, ou encore la metteuse en scène Lorraine de Sagazan, ont exprimé leur soutien. Le départ est prévu à 17h depuis le Pavillon de la Villette, dans le 19e arrondissement de Paris. La LDH martèle : «Les dirigeants européens doivent faire pression immédiatement pour mettre fin à l’agression.» 

Pendant ce temps, à Ghaza, les bombes continuent de pleuvoir. Vendredi, au moins neuf Palestiniens sont tombés en martyrs, dont plusieurs en attendant de l’aide humanitaire, selon l’agence officielle Wafa. Les frappes israéliennes ont visé aussi bien des files d’attente pour l’aide alimentaire que des habitations et des hôpitaux, notamment à Khan Younès, Zeitoun et le camp de Jabaliya. La violence militaire ne connaît plus de zones protégées. Plus de 55 200 Palestiniens, dont une majorité de civils, ont été tués depuis le début de l’offensive israélienne en octobre 2023, selon des chiffres du ministère de la Santé de Ghaza, jugés fiables par les agences onusiennes. 

Ces pertes humaines s’ajoutent à une crise humanitaire «sans précédent» marquée par la famine, les épidémies, le manque d’eau, les hôpitaux détruits. Le paradoxe est cruel : alors que les civils de Ghaza meurent de faim, sous les bombardements et de maladies, ceux qui tentent de leur porter secours se retrouvent empêchés, expulsés ou emprisonnés. 

De la Méditerranée à la frontière égyptienne, des campagnes d’Europe jusqu’au désert du Sinaï, le combat pour Ghaza dépasse la ligne de front. Il devient un enjeu moral mondial, un révélateur du courage citoyen… mais aussi du cynisme institutionnel. M.-F. Gaidi

 

 

GHF, UNE AIDE HUMANITAIRE CONTESTÉE

A Ghaza, pendant que les initiatives citoyennes sont réprimées, une autre forme d’aide suscite une profonde controverse. La Gaza Humanitarian Foundation (GHF), soutenue par les Etats-Unis et Israël, est accusée par l’ONU d’échec humanitaire. «Ils ne font pas ce qu’une opération humanitaire devrait faire», a tranché Jens Laerke, porte-parole du Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA) de l’ONU. Créée récemment, GHF opère selon un modèle opaque, en marge des canaux classiques. Depuis le 26 mai, elle dit avoir distribué plus de 18 millions de repas. Mais les critiques pleuvent : militarisation de l’aide, partialité géographique, absence de coordination avec les ONG reconnues. L’ONU, tout comme la Croix-Rouge et plusieurs agences internationales, refuse désormais de collaborer avec elle. Pire : plusieurs dizaines de Palestiniens ont été tués lors de distributions encadrées par les soldats israéliens. Fin mai, près de 30 personnes ont trouvé la mort sous les balles, à proximité d’un centre de distribution. M.-F. G.
 

Copyright 2025 . All Rights Reserved.