Le potentiel de croissance économique de l’Algérie a besoin d’être libéré pour ouvrir la voie de l’emploi et du développement durable.
Le potentiel de croissance de l’Algérie reste sous-exploité avec un PIB réel croissant en moyenne de 3% par an au cours des deux dernières décennies, insuffisant pour créer des emplois, réduire la pauvreté et absorber une population active en forte expansion.
Malgré ses ressources naturelles, un profil démographique favorable et une position géostratégique importante, le pays est freiné par une dépendance excessive aux hydrocarbures, un secteur privé peu dynamique, des rigidités du marché du travail et des inefficacités en termes de gouvernance économique. Le modèle de développement reposant sur la redistribution étatique de la rente pétrolière est mis à rude épreuve face à la pression démographique, à la réduction des marges budgétaires et à la transition énergétique mondiale.
Cet article analyse ces causes profondes et propose un cadre de réformes structurées visant à porter la croissance à au moins 5-6% à moyen terme. Un tel niveau permettrait d’améliorer l’emploi, de réduire les vulnérabilités externes et de promouvoir un développement inclusif à condition de se doter d’une stratégie ciblant le rééquilibrage macroéconomique, la diversification économique, le renforcement du secteur financier, le développement du capital humain et l’amélioration du cadre institutionnel. Discutons de ces points.
L’investissement joue un rôle fondamental dans la dynamique de la croissance économique. En effet, qu’il soit public ou privé, l’investissement permet d’accroître le stock de capital productif – infrastructures, machines, technologies – et donc d’améliorer la capacité de production d’un pays. Il stimule également l’innovation, favorise les gains de productivité et crée des emplois, autant d’éléments essentiels à une croissance durable et élargie. A long terme, un niveau élevé d’investissement est souvent associé à une croissance plus forte, notamment lorsqu’il est orienté vers des secteurs à fort potentiel ou vers le capital humain.
Cela étant, pour qu’il contribue pleinement à la croissance, l’investissement doit s’inscrire dans un environnement de stabilité macroéconomique, bénéficier d’une gouvernance efficace (mesurée par des indicateurs comme la prévalence de la loi et de l’ordre, la qualité de l’administration, le niveau de la corruption et la responsabilité des pouvoirs publics) et être appuyé par des politiques structurelles et des institutions de qualité (profondeur financière, ouverture commerciale, taille de l’État illustrée par la part des dépenses de l’état par rapport au PIB et qualité des services publics et des infrastructures). Toutefois, pour être durable, la croissance doit être inclusive, respectueuse de l’environnement et soutenue par des institutions solides.
Le concept et la mesure de la croissance potentielle : La croissance économique potentielle désigne le rythme maximal auquel une économie peut croître à moyen et long terme sans générer de pressions inflationnistes.
Elle reflète la capacité structurelle de l’économie à produire davantage, indépendamment des cycles conjoncturels. Trois facteurs fondamentaux déterminent ce potentiel : (1) L’accumulation du capital : investissements productifs ; (2) La croissance de la population active : quantité et qualité du travail ; et (3) Les gains de productivité totale des facteurs (PTF), qui capturent les progrès technologiques, l’efficience et l’innovation.
Contrairement aux fluctuations cycliques liées à la demande, la croissance potentielle est une mesure de l’offre globale de l’économie. Elle constitue une référence centrale pour évaluer la performance à long terme, la viabilité des politiques économiques et l’espace budgétaire disponible.
En ce qui concerne sa mesure, la croissance potentielle peut être estimée soit par une fonction de production, soit des filtres statistiques ou le recours à des modèles structurels.
Chaque méthode offre un éclairage spécifique, la première étant la plus apte à identifier les sources fondamentales de la croissance à travers l’analyse conjointe du capital, du travail qualifié et de la productivité globale des facteurs. Nous allons utiliser le premier instrument pour nos besoins d’analyse.
Algérie : L’évolution de la croissance économique entre 1962 et 2024 : des ressources importantes sont mobilisées pour des taux de croissance plutôt modestes. L’évolution de la croissance économique en Algérie depuis l’indépendance peut être divisée comme suit :
• 1962–1969 : Priorité à la reconstruction et à la réduction des déséquilibres régionaux. La croissance moyenne est de 6,3%, tirée par l’investissement (26,2% du PIB). Le revenu par habitant passe de $172 à $303 tandis que le chômage reste élevé à 32%.
• 1970–1979 : Forte industrialisation avec un investissement moyen de 41,7% du PIB. La croissance est de 7,2% et le revenu par habitant bondit à $1783 dollars. Le chômage recule à 21%.
• 1980–1989 : Période marquée par un choc pétrolier et une tentative de correction des déséquilibres. La croissance ralentit à 2,5%, tandis que le revenu par habitant stagne. Le chômage baisse à 17,2 %.
• 1990–1999 : Transition difficile vers une économie de marché dans un contexte sécuritaire dégradé. La croissance reste très faible (1,6%), le revenu par habitant chute à $1588 et le chômage remonte à 26%.
• 2000–2019 : Reprise grâce à la stabilité et à la hausse des prix du pétrole. La croissance moyenne se situe à 3,9% (2000–2009) avec un taux d’investissement de 32,5% du PIB avant de chuter à 2,9% (2010–2019), malgré un investissement soutenu de 44,9% du PIB. Le chômage baisse de 18,7 % à fin 2009 à un niveau historiquement bas de 10,8% en 2019 ; le revenu par tête d’habitant enregistre une hausse de $1,765 en 2000 à $3,883 en 2009 avant de passer de $4,480 en 2010 à $4,114 en 2019 (après avoir enregistré un pic de $5,500 en 2013) en reflet du choc pétrolier. Le chômage baissait pour atteindre 18,7% et 10,8% à fin 2009 et fin 2019, respectivement (taux le plus bas depuis l’indépendance).
• 2020- 2024 : dans un contexte de chocs externes (dont la pandémie) la croissance moyenne remonte à 3.6% avec un investissement moyen de 36,5 du PIB.
Un modèle de croissance à bout de souffle et peu performant. En nous appuyant sur un modèle simple de comptabilité de la croissance, nous observons les résultats suivants : (1) l’Algérie a enregistré entre 2000 et 2024 une croissance annuelle moyenne du PIB réel de 3,0% ; (2) cette performance s’explique par une hausse annuelle moyenne du stock de capital de 4,5% et une progression de l’apport du travail de 1,5% ; et (3) en supposant une part du capital dans la production de 35% et celle du travail de 65%, les contributions respectives à la croissance du PIB sont estimées à 1,58 point de pourcentage pour le capital et 0,98 point pour le travail. La productivité totale des facteurs (PTF), calculée en résiduel, a crû de manière modeste, à 0,45% par an.
Ces résultats indiquent que l’accumulation du capital et la croissance du travail représentent la majeure partie de la croissance économique de l’Algérie, tandis qu’une croissance modeste de la PTF souligne les limites structurelles de l’économie en matière de productivité, d’innovation, de gouvernance et de diffusion technologique. Ils mettent en relief l’urgence de renforcer les réformes structurelles en faveur de la productivité, de l’innovation et de la gouvernance économique pour élever la croissance potentielle à moyen terme.
Les implications économiques et sociales du modèle actuel. Cette dynamique de croissance, bien que soutenue par un effort d’investissement significatif, reste modeste, instable et fortement dépendante de la volatilité des cours du pétrole. Le secteur hors hydrocarbures demeure insuffisamment développé, faute de diversification économique et d’attractivité pour les investissements directs étrangers.
Sur le plan social, la croissance observée n’a pas suffi à absorber l’augmentation rapide de la population active : le chômage, notamment celui des jeunes, reste élevé, tandis que l’informalité et la pauvreté persistent, en particulier dans les zones rurales.
En outre, plusieurs contraintes structurelles entravent la performance économique : faible productivité, prédominance des entreprises publiques peu efficientes, environnement des affaires complexe, déséquilibres macroéconomiques exacerbés par un double marché des changes profond et une forte dépendance vis-à-vis des recettes pétrolières. Malgré une amélioration de l’accès à l’éducation, un décalage persistant entre la formation et les besoins du marché contribue au sous-emploi des jeunes et des femmes.
Un investissement public peu efficient. L’inefficience de l’investissement public constitue un frein majeur à l’efficacité de la dépense et à la transformation structurelle de l’économie. Elle se manifeste par un multiplicateur de l’investissement faible — estimé à 0,4 — indiquant qu’à peine 40% de l’investissement se traduit en croissance effective.
La qualité des infrastructures, évaluée à 76%, révèle un déficit de 24% par rapport aux standards optimaux. Par ailleurs, les grands projets souffrent de surcoûts moyens de 30%, liés à des facteurs techniques et institutionnels, notamment les lenteurs administratives, les contraintes logistiques et la corruption. Les retards récurrents de livraison, avoisinant en moyenne 24 mois, entraînent des dépassements budgétaires additionnels de 10% pour les infrastructures physiques et jusqu’à 20% pour les projets de développement local. Ces inefficiences limitent l’impact transformateur de la dépense publique et affaiblissent la capacité de l’Etat à répondre aux défis du développement.
Libérer le potentiel de croissance est une priorité stratégique. Le maintien du statu quo économique en Algérie expose le pays à des risques croissants, tant sur le plan macroéconomique que social. La dynamique démographique, marquée par une population jeune en expansion rapide – avec une projection de 60 millions d’habitants à l’horizon 2050 – constitue un atout potentiel.
Toutefois, sans une croissance économique soutenue et inclusive, cette évolution risque d’aggraver le chômage, d’alourdir la pression sur les services publics et d’intensifier les tensions sociales.
Par ailleurs, la dépendance persistante aux hydrocarbures constitue une vulnérabilité structurelle majeure. Dans un contexte mondial de transition accélérée vers des énergies durables, la volatilité des prix du pétrole fragilise les finances publiques, réduit les marges budgétaires et limite la capacité de l’État à financer les investissements stratégiques ou à mener des politiques contracycliques efficaces. Dans ce contexte, libérer le potentiel de croissance apparaît comme un impératif stratégique.
Une accélération de la croissance permettrait de dynamiser l’emploi formel, notamment pour les jeunes, d’améliorer la productivité globale de l’économie et de réduire la dépendance aux hydrocarbures grâce à une diversification accrue. Elle renforcerait aussi la stabilité macroéconomique en élargissant l’assiette fiscale et en améliorant la qualité des finances publiques. Enfin, elle soutiendrait le niveau de vie par une hausse des revenus, une réduction des inégalités et une meilleure cohésion sociale, tout en renforçant la résilience de l’économie face aux chocs internes et externes. Une telle trajectoire est indispensable pour garantir un développement durable et inclusif à long terme.
Les grandes lignes d’une stratégie de libération du potentiel de croissance. Dans le contexte d’une vision 2025 et d’un pacte national de développement, trois axes se dégagent :
Axe 1 : Restaurer la stabilité macroéconomique : à travers une consolidation budgétaire progressive, centrée sur la qualité des dépenses publiques, l’unification du marché des changes ainsi que la modernisation du cadre monétaire. Ces mesures sont indispensables pour renforcer la confiance des investisseurs et favoriser une économie plus diversifiée et résiliente.
Axe 2 : Engager des réformes structurelles avec pour objectifs : (i) moderniser notre administration publique grâce à la numérisation, accroître la transparence et renforcer la redevabilité permettront d’améliorer l’efficacité des services publics ; (ii) réformer les entreprises publiques, ainsi que la gestion des marchés publics, pour stimuler l’innovation et la compétitivité ; (iii) réformer le marché du travail, développer la formation professionnelle et aligner les cursus éducatifs sur les besoins réels du marché ; (iv) favoriser la mobilité de la main-d’œuvre et l’inclusion des femmes pour contribuer à une meilleure intégration sociale et économique ; et (v) améliorer l’environnement des affaires à travers une simplification des procédures administratives, la garantie de la sécurité juridique des investisseurs et l’assurance d’une concurrence équitable : des leviers essentiels pour dynamiser l’entrepreneuriat et attirer les investissements privés.
Axe 3 : Dérouler des stratégies sectorielles innovantes et durables. La diversification de l’économie nationale repose aujourd’hui sur le développement des secteurs du numérique, de l’économie verte, de l’économie bleue et des nouvelles énergies. Ces domaines offrent des opportunités majeures pour créer de la valeur ajoutée, générer des emplois et assurer une croissance respectueuse de l’environnement. Pour réussir cette transition, il faudra faciliter l’accès au financement, améliorer nos infrastructures et mettre en place des incitations ciblées.
Par Abderahmi Bessaha
Expert international
