Par Hamdi Boualem
Professeur d’université et membre du Probiom-Réseau algérien de protection de la biodiversité marine
L’Algérie est confrontée à un défi environnemental de grande ampleur en raison de l’utilisation généralisée des sacs en plastique. Avec une consommation annuelle estimée à plus de 34 milliards d’unités, le pays figure parmi les plus grands consommateurs de plastique. Cette situation, exacerbée par un manque de sensibilisation et des difficultés dans la gestion des déchets, représente un enjeu majeur pour l’environnement, la santé publique et l’économie. La mise en place de mesures adaptées et efficaces apparaît essentielle pour limiter les impacts à long terme et préserver les ressources pour les générations futures.
La situation actuelle en Algérie, un constat alarmant
Saviez-vous qu’en Algérie, chaque personne utilise en moyenne 2 sacs en plastique par jour ? Cela représente un chiffre vertigineux de plus de 34 milliards de sacs jetés chaque année ! Dans les marchés, la distribution de sacs en plastique atteint des niveaux préoccupants : un sac par produit acheté, parfois même en double pour «renforcer» les emballages.
Imaginez : une simple table de vente de légumes dans un marché de quartier peut distribuer jusqu’à 2000 sacs par jour, tandis qu’une supérette en utilise jusqu’à 50 000 ! Même pour un achat minuscule, comme une petite boîte d’allumettes, le commerçant l’enveloppe systématiquement dans un sac en plastique.
Cette habitude, souvent perçue comme un geste de marketing, cache en réalité une culture du gaspillage profondément ancrée et un manque criant de conscience écologique. Et si vous pensiez que ces sacs sont «gratuits», détrompez-vous ! Leur coût est en réalité inclus dans le prix de la marchandise, ce qui signifie que c’est le citoyen qui les paie, souvent sans même s’en rendre compte. Le hic ? Ces sacs en plastique sont distribués à volonté, sans limite, et finissent par envahir nos foyers, nos rues et notre environnement.
Une pollution visible et inquiétante
Notre dépendance inconsciente aux sacs en plastique a des retombées désastreuses sur l’environnement, affectant tous ses compartiments. La consommation excessive de ces sacs génère des quantités impressionnantes de déchets, qui finissent par envahir les espaces naturels et urbains. On les retrouve partout : accrochés aux arbres, éparpillés sur les plages, entassés dans les montagnes et les décharges sauvages. Cette omniprésence pose de graves problèmes environnementaux et sanitaires.
Les regards d’eaux pluviales, souvent obstrués par des amas de sacs en plastique, provoquent des inondations lors des précipitations, aggravant les risques pour les populations et les infrastructures. Par ailleurs, cette pollution visuelle témoigne d’une gestion des déchets défaillante et d’un manque de responsabilité collective face à l’urgence écologique. Les conséquences de cette dépendance au plastique sont donc multiples, allant de la dégradation des paysages à des impacts plus graves sur la santé publique et l’équilibre des écosystèmes.
Les raisons de l’explosion des sacs en plastique
L’usage massif des sacs en plastique s’est ancré dans les habitudes des Algériens, favorisé par un laxisme généralisé face à ce fléau. Autrefois, jusqu’aux années 1980, leur utilisation était rare, car ils étaient payants et les citoyens privilégiaient les gros sacs réutilisables ou les couffins. Mais avec leur gratuité et la prolifération des usines clandestines, leur consommation excessive est devenue la norme.
Ces petits ateliers informels, faciles à installer et peu coûteux, constituent un problème majeur. Ils opèrent hors du cadre légal, sans respecter les normes environnementales ou sanitaires, produisant des sacs noirs de mauvaise qualité, généralement sur du plastique recyclé, qui polluent durablement les sols, les cours d’eau et nos côtes. Leur faible coût de revient les rend extrêmement accessibles aux commerçants et aux vendeurs informels, accentuant leur diffusion. Cette situation rend également tout investissement dans des sacs biodégradables impossible, car les coûts de production les rendent moins compétitifs. L’absence totale de traçabilité aggrave encore le problème.
Ces sacs sont écoulés sans facture ni documentation, compliquant la régulation. De plus, faute de statistiques fiables sur le nombre d’ateliers clandestins et le volume de sacs produits, il est difficile d’évaluer précisément l’ampleur du phénomène et de mettre en place des politiques efficaces pour y remédier.
Les autorités peinent à contrôler ce secteur informel. La clandestinité des usines, souvent installées dans des zones reculées, complique les inspections et les fermetures. Par ailleurs, certaines complicités actives ou passives locales freinent les efforts de régulation, permettant à ces unités de production de prospérer en toute impunité.
Des macrodéchets aux nanodéchets : la dangereuse métamorphose de la pollution plastique
Imaginez un monde où un simple sac en plastique, abandonné dans la nature, se transforme en une menace invisible mais omniprésente. Ce n’est pas de la science-fiction, mais bien la réalité de notre époque. Les déchets plastiques, autrefois considérés comme un problème visuel et local, se sont mués en une crise globale, passant des macrodéchets que l’on peut voir à l’œil nu aux nanodéchets, infiniment petits mais incroyablement nocifs. Les sacs plastiques, légers et résistants, ne connaissent aucune limite. Emportés par les vents et les courants des oueds et marins, ils voyagent à travers différentes zones et quittent même les frontières du pays.
Ces déchets, dispersés dans divers compartiments des écosystèmes, se concentrent dans des zones où ils causent des ravages insoupçonnés. Des milliers d’animaux, terrestres comme marins, en payent le prix fort. Vaches, moutons, chèvres, chameaux, mais aussi tortues, poissons et oiseaux marins succombent, étouffés, étranglés ou asphyxiés par ces sacs. La biodiversité, déjà fragile, est irrémédiablement impactée, menaçant l’équilibre de nos écosystèmes.
Les conséquences de cette pollution ne s’arrêtent pas là. Les risques alimentaires, sanitaires et économiques sont colossaux. Les microplastiques, issus de la fragmentation progressive des déchets sous l’effet des UV, des micro-organismes et des conditions environnementales, contaminent l’air que nous respirons, l’eau que nous buvons et les sols qui nourrissent nos cultures.
Ces particules, parfois invisibles à l’œil nu, sont transportées sur de longues distances, retombant même avec les pluies sous forme de «pluies plastiques». Un sac en plastique, par exemple, peut persister dans l’environnement pendant des centaines d’années, se fragmentant en morceaux de plus en plus petits, jusqu’à devenir des nanoplastiques, capables de pénétrer les organismes vivants et de s’infiltrer dans la chaîne alimentaire. Ces particules contaminent les réserves d’eau, les sols et les écosystèmes.
Les dangers immédiats et futurs
Les micro et nanoplastiques, invisibles à l’œil nu, s’infiltrent dans les sols et sont absorbés par les racines des plantes. Cette contamination se propage ensuite aux fruits et légumes que nous consommons, rendant la chaîne alimentaire irréversiblement polluée. Chaque bouchée que nous prenons pourrait contenir des particules de plastique. Les animaux, qu’ils soient terrestres ou marins, sont les premières victimes de cette pollution. En ingérant ces particules, ils souffrent de blocages intestinaux, d’infections et de morts prématurées.
Les images d’oiseaux marins ou de poissons étouffés par le plastique ne sont que la partie visible de l’iceberg. Les écosystèmes, déjà fragilisés par le changement climatique, sont gravement perturbés par cette pollution omniprésente. La disparition d’espèces, la destruction d’habitats naturels et le déséquilibre des chaînes alimentaires menacent l’équilibre de notre planète. Les microplastiques ne se contentent pas de polluer l’environnement ; ils envahissent nos assiettes. Présents dans les aliments et l’eau potable, ils représentent un risque sérieux pour la santé humaine.
Chaque mois, nous ingérons en moyenne 20 grammes de microplastiques, l’équivalent d’une carte de crédit. Ces particules ont été retrouvées dans des organes vitaux comme le cerveau, le sang, l’utérus, le foie et les muscles. Une invasion silencieuse qui nous concerne tous. Les conséquences sur la santé sont alarmantes : cancers, troubles hormonaux, maladies respiratoires et bien d’autres problèmes sont liés à l’accumulation de ces particules dans notre organisme. Une crise sanitaire majeure se profile à l’horizon.
Les produits agricoles contaminés par des microplastiques pourraient être interdits à l’exportation, frappant de plein fouet l’économie algérienne. Les agriculteurs, déjà confrontés à de nombreux défis, verraient leurs revenus s’effondrer. Les maladies liées à la pollution plastique vont exploser, entraînant une augmentation des dépenses de santé publique. Les systèmes de santé, déjà sous pression, pourraient être submergés par cette nouvelle crise.
Un héritage toxique pour les générations futures
Les milliards de sacs en plastique enfouis dans les sols se fragmenteront en microplastiques et nanoplastiques, contaminant durablement l’environnement, les ressources en eau et les écosystèmes. Cette pollution persistante compromettra la biodiversité, la fertilité des terres et la santé publique, exposant les générations futures à un cadre de vie dégradé et à des maladies émergentes liées aux polluants plastiques. L’accumulation de microplastiques dans l’eau potable et l’alimentation constitue une menace directe pour la santé humaine, augmentant le risque de maladies chroniques et de perturbations hormonales.
A cela s’ajoute un impact économique majeur : une mauvaise gestion des déchets plastiques pourrait ternir l’image de l’Algérie sur la scène internationale, dissuadant les touristes, les investissements étrangers et compromettant les accords commerciaux avec des pays appliquant des normes environnementales strictes. Pour préserver son avenir, il est impératif que l’Algérie adopte des politiques strictes de réduction des plastiques, de recyclage et d’éducation environnementale afin d’éviter une catastrophe écologique et sanitaire irréversible.
De la puissance économique à la responsabilité écologique : L’Algérie doit agir !
Les dangers des micro et nanoplastiques sont une menace tangible pour notre environnement, notre santé et notre économie. L’Algérie, troisième puissance économique africaine derrière l’Afrique du Sud et l’Egypte, affiche des ambitions de modernisation, mais demeure à la traîne sur le plan écologique.
Tandis que 34 pays africains ont interdit les sacs en plastique, l’Algérie persiste dans une consommation excessive et destructrice, en décalage avec les exigences du développement durable. Des nations comme le Rwanda et le Kenya ont pris des mesures radicales, transformant leurs territoires en modèles écologiques, tandis qu’en Algérie, les sacs en plastique envahissent rues, marchés, campagnes et littoraux, aggravant la pollution des sols et de la Méditerranée.
Le respect de l’environnement est une nécessité politique, sanitaire et économique. Un pays ne peut prétendre à un développement harmonieux sans une gestion efficace de ses déchets. L’Algérie doit amorcer une transition vers une économie verte, où les déchets sont réduits, recyclés et valorisés. L’État doit encourager les entreprises à abandonner la production de sacs en plastique au profit d’emballages biodégradables et de solutions innovantes.
Cette transformation ne repose pas uniquement sur des décisions politiques, mais aussi sur une évolution culturelle et éducative. Dès l’école, les enfants doivent être sensibilisés à l’impact environnemental des déchets plastiques. Les mosquées, en tant que lieux de rassemblement et d’influence, pourraient également jouer un rôle clé dans cette prise de conscience.
L’interdiction des sacs en plastique ne serait pas seulement un progrès écologique, mais un symbole d’engagement en faveur du développement durable. L’Algérie ne peut rester en marge des avancées environnementales africaines et mondiales. Le changement est possible et nécessaire, à condition d’adopter une vision ambitieuse et des mesures concrètes. Il est impératif d’appliquer strictement l’interdiction des sacs en plastique non biodégradables, de promouvoir des alternatives durables et de lancer des campagnes de sensibilisation massives.
A moyen et long termes, une meilleure gestion des déchets, un soutien aux initiatives citoyennes et une coopération internationale permettront de renforcer cette dynamique. L’inaction face à cette catastrophe écologique serait une erreur lourde de conséquences. Protéger notre environnement, c’est garantir un avenir sain et prospère aux générations futures. Comme le dit un proverbe africain : «La terre n’est pas un héritage de nos parents, mais un prêt de nos enfants.» Il est temps d’agir avec responsabilité et détermination. H. B.