Une lourde sanction a été infligée hier, par le tribunal correctionnel de Bir Mourad Raïs, près la cour d’Alger, à l’ancien directeur général du protocole de la présidence de la République, Mohamed Bouakkaz, après avoir été reconnu coupable d’«abus de fonction» et d’«enrichissement illicite».
En entrant dans la salle d’audience, en cette fin de matinée d’hier, il ne s’attendait pas à être condamné à une peine de 5 ans de prison ferme, assortie d’une amende de 600 000 DA et du paiement, au titre de dédommagement, d’un montant d’un million de dinars au Trésor public.
Dès le prononcé de la décision, il fixe du regard le juge pendant de longues minutes, avant de lancer : «Avez-vous dit 5 ans de prison ?» Le magistrat : «Oui, vous êtes condamné à 5 ans de prison et vous avez 10 jours pour faire appel.» «Pourquoi ? Pourquoi ? Je n’au rien fait…» hurle Bouakkaz, avant de s’effondrer dans les bras d’un de ses avocats.
Dans la salle, de nombreux membres de sa famille, affolés, se mettent debout sans se soucier des appels au calme des policiers. Les sanglots et les cris brisent le silence, alors que Bouakkaz se relève en hurlant plusieurs fois : «Je n’ai rien fait. Pourquoi ?» avant de s’affaisser au sol.
Ses sanglots résonnent fort dans la salle, pendant que son épouse pleure à chaudes larmes et sa mère, visiblement inquiète, tente de se frayer un passage parmi l’assistance pour le voir. Très pesantes, l’émotion et la tension semblent interminables. Très émus, les avocats de Bouakkaz semblent perdus. Ils n’arrivent pas à calmer leur mandant ni à décrire leur «déception».
Pendant une dizaine de minutes, les sanglots roques et forts de Bouakkaz, entrecoupés par des «Mon Dieu pourquoi ?» n’ont pas cessé. Ils ont suscité de l’émoi et de la compassion. Bouakkaz quitte difficilement la salle en état de choc. Visiblement, il ne s’attendait certainement pas à une condamnation.
Lors de son procès, le 9 avril, il a nié en bloc toutes les accusations dirigées contre lui, tout en mettant en avant son «parcours irréprochable» et sa carrière professionnelle «jalonnée de succès».
Composé des Mes Allegue, Chama et Behabyles, son collectif de défense a basé sa plaidoirie particulièrement sur «les nombreuses violations de la procédure lors de l’enquête préliminaire et durant l’instruction» mais aussi sur la «liste des biens» sur lesquels reposent les accusations. «Est-il raisonnable de poursuivre une personne pour enrichissement illicite sans déterminer avec précision l’origine et la valeur financière de sa richesse ?» s’est demandée la défense.
Elle a rappelé que le prévenu occupait le poste de directeur général du protocole à la présidence de la République de 2020 à juin 2024, avant de lancer : «Comment peut-il être poursuivi pour les biens qu’il possédait, c’est-à-dire une résidence ne dépassant pas 80 m2, une vieille voiture et la carcasse d’un immeuble inachevé dans la région de Kharrouba, dans un douar à Boudouaou, acquis entre 2007 et 2018 ?»
Elle a également fait savoir que «le seul montant cité dans le dossier est celui de dix millions de dinars, soit un milliard de centimes. Une somme qui équivaut à la moitié du salaire mensuel d’un joueur de football».
Pour la défense, Mohamed Bouakkaz «occupe un poste sensible et de haut niveau pour lequel il perçoit un salaire mensuel estimé à 350 000 DA, hors primes, et perçoit, dans le cadre de ses missions à l’étranger, des frais annuels en devises variant entre 20 000 et 40 000 euros. Vous pouvez calculer ce qu’il a gagné au cours des cinq années et le convertir en monnaie nationale».
«Toutes les enquêtes d’habilitation en faveur de Bouakkaz»
Sur les biens cités dans le dossier, la défense a évoqué des «erreurs». «Il ne s’agit pas de villas et d’immeubles de luxe dans des quartiers chics de la capitale, mais plutôt d’une résidence de trois pièces dans la région de Sebala, quartier situé à la périphérie de la capitale, dans ce qu’on appelait auparavant ''El Fahs'' ou ''lahwache'', qu’il a acquise, au même titre que de nombreux agents et cadres de la wilaya d’Alger, dans le cadre du programme des œuvres sociales et avec un financement soutenu par la Caisse nationale du logement et l’FNPOS», ont souligné les avocats de Bouakkaz, en précisant : «Il a payé la valeur sur une période de 10 années complètes en mensualités, totalisant la somme de 1,6 million de dinars.
Cette résidence a été comptabilisée dans le dossier comme trois résidences parce qu’elle était mentionnée à trois reprises dans le dossier avec des adresses différentes. D’abord à El Haouche et à Sebala, puis à Draria. Or, la résidence de Bouakkaz se trouve dans l’un des haouch du quartier de Sebala, dans la commune de Draria. Parmi les documents saisis, figure un acte de propriété d’un appartement situé à Fouka appartenant à la belle-sœur du prévenu, mais ce bien a été déclaré comme étant celui du prévenu.»
Les avocats ont par ailleurs expliqué au juge que Bouakkaz «a vendu» sa première maison pour «pouvoir en acheter une autre dans un endroit plus adapté, avec une plus grande superficie et de nouveaux voisins». Il ont réfuté «l’accumulation des biens en une seule fois» et expliqué qu’il a, plutôt, «recouru à des prêts immobiliers auprès des banques pour financer sa nouvelle maison. Il lui est également arrivé de vendre sa voiture et les bijoux personnels de sa femme pour effectuer le paiement de certaines échéances. Tous les documents prouvant ces transactions sont dans le dossier».
Mieux encore, la défense s’est demandée s’il «était raisonnable de regrouper les biens financiers de son épouse, bénéficiaire d’un contrat de donation de sa mère, résidant en Grande-Bretagne, pour une résidence qui était, à l’origine, la résidence familiale dans laquelle cette mère de 70 ans est née ?» Puis elle a affirmé que le dernier bien acquis par le prévenu «concerne un logement LPL (NDLR : Logement promotionnel libre), type pavillon situé à Chevalley, à Alger, dont il a payé la moitié de la somme et l’autre moitié réglée avec l’argent emprunté par son épouse auprès de ses parents et de ses frères».
Selon les avocats, Bouakkaz est accusé d’avoir obtenu des montres de valeur comme cadeaux, qu’il a vendues. «Or, ces montres n’existent pas physiquement et nous ne savons pas qui les lui a offertes en cadeau et qui les a achetées à Bouakkaz», a déclaré la défense.
Sur le dénommé Merzak Rouijali, l’homme par qui l’affaire a éclaté et qui était l’ami du prévenu, les avocats ont rappelé que ce témoin, absent à l’audience, «est revenu sur toutes ses déclarations devant le juge», avant d’évoquer les affaires pour lesquelles il a été jugé, condamné et détenu. «Après sa sortie de prison, il devient comme par magie le chauffeur personnel et le confident du responsable de circonscription administrative de Chéraga, et un an après, il se retrouve propriétaire de deux cliniques dentaires et personne ne se souciait de l’origine de sa richesse.»
Selon la défense, Mohamed Bouakkaz «est un haut fonctionnaire de l’Etat, qui a été nommé à des postes sensibles au cours de ses 23 années de service. Il a fait l’objet d’enquêtes administratives et sécuritaires menées par les autorités compétentes, dont les conclusions ont toutes été en sa faveur». Elle a déclaré en conclusion que «les poursuites engagées contre lui dans cette affaire placent tous les organismes qui ont précédemment enquêté sur lui sous le coup de soupçons et de critiques», avant de clamer l'innocence de son mandant et réclamer la relaxe.
Mais la procureure s’est contentée de lire, sans lever la tête, en quelques secondes, sa demande : «Une peine maximale de 10 ans de prison ferme assortie d’une amende d’un million de dinars», alors que le représentant du Trésor public a réclamé la somme de 5 millions de dinars comme dédommagement. Salima Tlemçani