Les fusillés d’Ouled Boumerdes

27/05/2025 mis à jour: 02:04
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Le 25 mai 1956, au col de Bouzegza, le général Massu surveille un groupe de 17 prisonniers arrêtés après une embuscade à Palestro - Photo : D. R.

Notre Guerre de Libération a été jalonnée, durant 7 années, de batailles mémorables, d’évènements politiques et militaires marquants et bien sûr de drames et souffrances que le peuple a endurés.

Par Omar Kanoune (*)

Le 18 mai 1956, la région de Palestro fut le théâtre d’une embuscade tendue à une section de l’armée française par un commando de l’ALN commandé par Ali Khodja à proximité du douar Ouled Djerrah. Bilan : sur les 21 soldats de la section, 18 ont été tués, 2 portés disparus et un seul survivant. Après avoir récupéré l’armement, le commando s’est évanoui dans les maquis de cette région montagneuse, connue pour avoir abrité le commandement de la wilaya 4 (algérois) avec, à sa tête, le colonel Ouamrane, et peu après, le colonel Si M’hamed Bougara, secondé par le commandant Si Lakhdar (Mokrani Said) l’enfant de Palestro (Lakhdaria après l’indépendance) devenu par sa bravoure et ses faits d’armes une véritable légende.

Il est tombé au champ d’honneur au cours d’une bataille près de Sour El Goulaine en 1958. Quant à Ali Khodja, tombé au champ d’honneur en octobre 1956, il a laissé son nom au commando de la wilaya 4 qui a infligé bien des défaites aux paras de Bigeard, notamment lors de la bataille de Bouzegza avec le commandant Azzedine que Dieu lui prête longue vie.

L’embuscade de Palestro a provoqué un choc énorme sur l’opinion française en métropole comparable à la révolte du 20 Août 1955 de Skikda (ex-Philippeville). Deux jours après la découverte des soldats tués, la répression, qui s’est abattue sur la population, fut terrible, à commencer par le douar des Ouled Djerrah, rasé, et ses habitants (hommes) qui n’ont pu s’enfuir, exécutés sur place. Les rafles, ratissages et bombardements se sont succédé de Béni Khalfoun, à l’Est, jusqu’à Bouzegza, à l’Ouest, et Ouled Boumerdes Meraiel, au Nord.

Selon les historiens, le bilan de cette répression a dépassé 200 morts parmi la population civile. Ouled Boumerdes est un douar qui doit sa réputation à sa zaouia, nichée sur un versant de la montagne et son école coranique connue dans toute la région d’Alger bien avant la période coloniale. Beaucoup de jeunes étudiants ont fréquenté cette école dans leur parcours vers la médersa de Constantine. J’ai eu l’occasion de faire connaissance, en 1975, de l’érudit de Djelfa, le regretté imam Attia Messaoudi qui m’avait raconté son séjour dans cette école dans les années 1920.

Ce 20 mai 1956, par une belle matinée de printemps, ce hameau s’est retrouvé encerclé par des dizaines de véhicules militaires et des chars ainsi que des hélicoptères qui rodaient au-dessus des crêtes environnantes. Les hommes habitant la région ont compris que la seule solution d’avoir la vie sauve était de se réfugier dans les maquis et autres caches plus ou moins sûres. Malheureusement, seize jeunes hommes n’ont pas eu cette chance et ont été pris dans la rafle. Rassemblés sur un terrain au milieu des oliviers, quinze furent assassinés froidement l’un après l’autre, après avoir subi brimades et tortures.

Parmi eux, M’hamed Boumerdassi, un paysan d’une trentaine d’années, échappa miraculeusement à la mort, mais il s’en tira tout de même avec une paralysie des membres inférieurs. Le croyant mort, les soldats ne l’ont pas achevé. Bien après, on rencontrait souvent M’hamed toujours de bonne humeur, juché sur son âne, son éternel compagnon. Le dernier jeune homme assistait courageusement à l’exécution de ses compagnons. Il s’agit de Mohamed Boumerdassi, surnommé par ses amis Mohamo. Le soldat, qui était chargé de l’assassiner, entreprit de le soumettre auparavant à une épreuve de torture : il lui découpa un morceau de son oreille et voulut le lui faire avaler.

Mohamed, qui n’avait plus rien à perdre, se jeta sur le soldat afin de le neutraliser et s’élança pour fuir. Sous le feu des mitraillettes, il se mit à slalomer entre les oliviers et dévala la pente afin d’atteindre l’oued et chercher une cachette sûre. A la tombée de la nuit, il reçut les soins nécessaires auprès des siens. Il ne tarda pas à rejoindre les maquis de la wilaya 4 pour venger ses compagnons et participer à la lutte armée pour l’indépendance de son pays qu’il aura la chance de savourer au milieu des siens, jusqu’à son décès le 7 novembre 2019.

En présence d’une foule nombreuse, il a été inhumé à côté de ses compagnons martyrs à proximité de l’endroit témoin de ce crime de guerre. Les habitants d’Ouled Boumerdes furent déplacés par la suite aux abords du camp militaire nouvellement installé près du village Méraiel à 3 kilomètres de Tidjelabine (ex-Bellefontaine), comme des milliers d’autres villages à travers le pays. Au lendemain de l’indépendance, beaucoup de familles ne revinrent pas sur leurs terres préférant s’établir en ville, notamment dans les environs de Boumerdes (ex-Rocher Noir) qui hérita du nom de ce douar et qui fut la capitale de l’Algérie durant 3 mois après le cessez-le-feu. Gloire à nos valeureux chouhadas.

O. K.
(*) Ingénieur retraité

NB : L’embuscade de Palestro a fait l’objet d’un livre de l’écrivaine journaliste Raphaëlle Branche, analysant de façon remarquable cet événement en rapport avec l’histoire coloniale de cette région. Le récit de ce livre a donné lieu à un excellent film documentaire historique diffusé à plusieurs reprises par la chaîne ARTE (disponible sur YouTube).

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