Les discriminations : Obstacles à la réalisation effective d’une égalité entre hommes et femmes (1re partie)

12/09/2022 mis à jour: 05:43
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Les femmes algériennes depuis l’indépendance aspirent à l’instauration d’une égalité avec les hommes ainsi qu’à l’exercice de leurs droits fondamentaux. Elles ont placé la question de l’abrogation des lois discriminatoires à leur égard au cœur de leur combat et revendications.
 

Les femmes algériennes citoyennes, jouissant de droits égaux mais partiels malgré l’article 35 et 37 de la Constitution sont à l’avant-garde du vaste effort de mobilisation de la société en faveur d’une modification de certaines dispositions discriminatoires inscrites de longue date dans certaines lois, telles que le code de la famille. Le rapport mondial humain de 2020 a classé l’Algérie à la 91e place selon l’indice de développement humain, avec un score de 0,748, sur 189 pays. 

D’ailleurs, parmi les objectifs de développement que l’Algérie s’est engagée à réaliser figure la promotion de l’égalité des sexes. Soixante ans après l’indépendance notre pays est encore considéré comme un pays en développement. En ratifiant en 1996 la convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, l’Algérie s’est engagée à revoir sa législation et sa pratique sociale et administrative empreinte d’inégalités. 

Elle a de ce fait initié un processus de ratification des conventions internationales dès 2004, notamment celles concernant les droits politiques des femmes et la traite des femmes, accompagné de modifications significatives du code de la famille, du code pénal, du code de la nationalité et de la Constitution. Néanmoins, bien que le code pénal en 2014 ait incriminé et défini la discrimination, bien que la Constitution de 2020 en son article 40 «protège la femme contre toutes formes de violence en tous lieux et en toute circonstance dans l’espace public, dans la sphère professionnelle et dans la sphère privée», des inégalités subsistent encore en dépit des réformes politiques et législatives entreprises par l’Algérie.
 

CADRE JURIDIQUE POUR L’ÉGALITÉ ET LES DROITS FONDAMENTAUX DES FEMMES
 

La Constitution consacre la primauté du droit international dans l’ordre juridique interne et requiert que les lois nationales soient mises en conformité avec les obligations juridiques internationales du pays, (art 154). La hiérarchie des normes internationales est donc consacrée. 

Les institutions de la République ont pour finalité d’assurer l’égalité en droits et en devoirs de tous les citoyens et citoyennes en supprimant les obstacles qui entravent l’épanouissement de la personne humaine et empêchent la participation effective de tous à la vie politique, économique, sociale et culturelle. Il reconnaît l’égalité des citoyens devant la loi sans que puisse prévaloir aucune discrimination pour cause de naissance, de race, de sexe, d’opinion ou de tout autre condition ou circonstance personnelle ou sociale. 

Différents pactes et conventions ont été ratifiés, parmi  eux les deux pactes de 1966 relatifs aux droits sociaux économiques et aux droits civils et politiques, la Cedaw, la convention sur les droits politiques des femmes en 2005 et le protocole de Maputo en 2016. En impulsant le processus de modification des lois, l’Algérie a levé la réserve portée sur l’article 9 de la Cedaw relative à l’attribution de la nationalité par la femme. La levée des réserves sur les articles 15 et 16, annoncée en 2012 devant le comité à Genève par monsieur Driss Eldjazairi tarde à se concrétiser.
 

1) INSUFFISANCE ET LACUNES DANS LA PROTECTION JURIDIQUE DES FEMMES
 

S’il y a lieu de se réjouir des réformes du code de la famille, du code de la nationalité, du code pénal (harcèlement sexuel, violence conjugale et domestique pénalisés), de la constitution en son article 35 consacrant les droits politiques des femmes, de la loi organique de 2012 permettant une meilleure représentativité des femmes en politique en adéquation avec l’article 31bis devenu article 59 dans la constitution de 2021, il faut reconnaitre que les droits politiques ont été diminués, le quota institué en 2012 a été abrogé par la loi électorale de 2021 consacrant la parité dans les listes électorales. En 2012, à la faveur des quotas, 147 femmes ont été élues députées, contre 126 en 2017. En 2021 seules 31 femmes ont été élues.  Le quota est une mesure temporaire qui aide à la construction de l’égalité, la parité en est l’aboutissement.
 

Il convient de noter la persistance dans la législation et sa mise en œuvre de certaines dispositions et pratiques discriminatoires qui perpétuent et consolident les inégalités et la discrimination à l’égard des femmes algériennes.
 

CODE DE LA FAMILLE
 

Il faut noter que le code de la famille modifié en 2005 régit le mariage, le divorce, les effets du divorce, la garde et la tutelle des enfants, la filiation et l’héritage. Ce texte déclaré injuste et discriminatoire a pour source principale le droit musulman et les techniques juridiques modernes. Construit sur une hiérarchisation des sexes il a esquissé un modèle de famille traditionnelle dans lequel la femme devait obéissance au mari chef de famille, dans lequel la femme n’avait pas de capacité juridique du fait qu’elle ne pouvait pas conclure elle-même son mariage, son tuteur le concluait à sa place, dans lequel elle était considérée simplement comme un objet et non pas comme un sujet de droit. 

Il faut noter que les modifications ont été faites sur la base des principes d’égalité et de justice. Sans avoir trop bouleversé l’architecture traditionnelle de la famille, le législateur a redonné force au consentement mutuel dans le mariage réduisant le rôle du tuteur à un simple troisième témoin, a consacré l’égalité dans l’âge au mariage, dans les rapports entre époux dans la gestion du ménage, a supprimé le mariage par procuration, le devoir d’obéissance et la notion de chef de famille, a réglementé avec plus de restriction la polygamie confiée dorénavant au contrôle judiciaire. 

En cas de divorce la tutelle de l’enfant est confiée à la mère. Les nouveaux amendements ont introduit un nouveau régime matrimonial « la communauté aux acquêts afin de protéger les biens acquis des deux conjoints pendant le mariage. Rappelant la possibilité de conclure le mariage devant un notaire ou l’officier d’état civil, le législateur en 2005 a prévu que les deux conjoints peuvent stipuler dans le contrat de mariage ou, dans un contrat authentique ultérieur, toute clause qu’il juge utile, notamment en ce qui concerne la polygamie et le travail de l’épouse (Art. 19 code de la famille).
 

Toutefois, des dispositions discriminatoires subsistent encore et le nouvel esprit progressiste de la loi est ignoré.
 

Présence du tuteur lors de la conclusion du mariage d’une femme majeure
 

La présence obligatoire du tuteur pour la femme majeure lors de la conclusion du contrat de mariage, fusse-t-il considéré comme troisième témoin, le code de l’état civil n’en prévoit que deux sans distinction de sexe, réduit sa capacité juridique alors que le code civil prévoit en son article 40 que toute personne ayant atteint l’âge de la majorité (19 ans) jouit et exerce ses droits civils. 
 

La polygamie
 

La polygamie, bien que soumise à des restrictions, à une autorisation de la première et deuxième épouse et à un contrôle judiciaire est pratiquée sans que cette procédure ne soit respectée du fait que le code autorise encore les mariages en la forme coutumière que les conjoints peuvent valider par voie judiciaire à n’importe quel moment de leur relation. La validation peut se faire bien après une séparation ou après le décès de l’un des conjoints. Il faut juste que deux témoins attestent que la cérémonie religieuse a eu lieu. Ce mariage coutumier permet à l’homme d’être polygame sans passer par la procédure mise en place par l’article 8 du code de la famille et sans que les deux épouses, première et deuxième ne sachent que l’époux est polygame. Bien des situations ont démontré que c’est au décès de l’époux que les deux femmes et enfants se découvrent.
 

Le Divorce
 

Le divorce est la dissolution du mariage, il intervient par le biais de la volonté de l’époux, par consentement mutuel des deux époux ou à la demande de l’épouse dans la limite des cas prévus aux articles 53 et 54 du code de la famille. L’article 53 prévoit 10 cas de demande de divorce par l’épouse difficilement réalisables à cause de l’impossibilité pour cette dernière d’apporter la preuve de ces situations ou motifs de divorce. La production d’un jugement pénal est exigée pour prouver l’abandon de famille, pour absence de l’époux de plus d’un an, pour violation de l’article 8 (polygamie), pour infirmité empêchant la réalisation du but visé par le mariage. 

Mais comment prouver le désaccord persistant, comment prouver que l’époux refuse de partager la couche de l’épouse pendant plus de quatre mois. C’est pourquoi la femme demande le divorce par Khôl moyennant compensation financière sans l’accord du mari car il est le corollaire de la répudiation dénommée par le législateur, divorce par volonté du mari.
 

Effets du Divorce 
 

Pour ce qui est des effets du divorce, bien entendu il s’agit de la garde et de la tutelle des enfants mais aussi de l’attribution du domicile conjugal pour l’exercice de la garde. (A suivre)

 

Par Maitre Nadia Ait-Zai 

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