Le duo formé par Amar Amarni et Jasmina Petrovic est en quelque sorte une preuve supplémentaire qu’il existe réellement un fonds musical commun aux peuples du bassin méditerranéen.
Eux mêmes le revendiquent pour l’avoir mis en pratique à travers leur projet La spirale du temps, un album datant de 2022 qu’ils sont venus présenter à Oran à l’Institut Cervantès, sur invitation de celui-ci. Des moments d’échanges intenses mêlant tradition et modernité avec des langues multiples qui se fondent dans les mélodies pour ne former qu’un seul langage, celui de la voix humaine qui se suffit à elle-même quand il s’agit de transmettre les émotions.
Sur scène, juste deux tambourins et une guitare électroacoustique suffisent, et on aurait même parfois préféré que celle-ci ne soit pas amplifiée (la salle s’y prête) pour justement apprécier le naturel qui caractérise cette formation. La chanteuse, d’origine croate, a une solide formation musicale vocale notamment classique acquise en Allemagne et en Espagne.
Dans le spectacle, s’il s’agissait seulement de reprises, même habillées différemment ou interprété dans d’autres langues que celles d’origine (ils sont tous les deux polyglottes), le charme aurait été rompu. Heureusement que non, et les artistes ont bien fait d’éviter le piège en allant puiser dans leurs propres ressources ou alors dans les fin fonds de la tradition musicale.
C’est le cas pour la chanson d’ouverture, mais surtout pour tout un pan des chants des Balkans magnifiés par la voix de Jasmina Petrovic. Celle-ci a même, pour joindre l’acte à la parole, exécuté quelque pas de danses spécifiques à cette région du monde. Avec le port d’une robe habituelle dans une partie de la Kabylie, le résultat n’est pas dénué de charme, car il sort du cliché d’une danse galvaudée.
C’est une manière de reconnaitre que, comme c’est souvent le cas en Algérie, ce sont au départ les femmes qui ont préservé des pans entiers du chant traditionnel. En allant chercher des fusions (toute proportion gardée) avec des styles autres que ceux en vogue, le duo se met ici à contre courant de la mode mais c’est justement là où réside l’intérêt.
«Instruments occasionnels»
C’est certain pour la chanteuse habituée à multiplier les explorations des genres, mais c’est peut-être aussi lié à l’esprit bohémien du guitariste-chanteur qui est en même temps artiste plasticien et qui a été aussi musicien de rue, une pratique plus propice à l’échange.
Parmi les reprises, le choix s’est par exemple porté sur la belle chanson Aya Lkhir Inou d’Idir (1949-2020) et son rapport évident au sacré avec la célébration des naissances considérées jadis comme le réel mystère de la vie et intensément pensé comme tel. L’interprétation incluant l’espagnol a été depuis longtemps mise en ligne en hommage par le duo et dans une posture de plénitude évoquant justement ces temps immémoriaux.
L’ajout de tintements réguliers via des coupes métalliques amplifie ce sentiment du temps qui avance inexorablement en se régénérant. C’est sans doute de là que viendrait même l’intitulé du projet. En tout cas, racontés sur scène, ces «instruments occasionnels» ont été chinés dans une brocante et n’ont donc rien de particulier, mais l’effet dans son contexte et ramenés sur scène reste intéressant.
L’évocation du passé passe aussi par les mythes et les légendes, et c’est le cas avec l’interprétation de leur propre chanson dédiée à la reine ou la «rose» (tel qu’elle est aussi qualifiée dans le texte) du désert Tin Hinan. C’est, parait-il, la chanteuse qui en a eu l’idée après avoir été, lors d’un voyage à Tamanrasset, subjuguée par les paysages et la population du Grand Sud algérien.
Ailleurs, à l’instar de ce qu’a expérimenté Radio Tarifa, le duo a également interprété un morceau du patrimoine «andalou» intitulé Lamma Bada et chanté en langue espagnole. Un autre est puisé du genre chaâbi avec une composition de Mahboub Bati (1919-2000) pour Boudjemaâ el Ankis (1927 2015). «Matoub Lounes (1956-1668) en a proposé une version, et nous nous proposons une autre», explique le chanteur.
La reprise du titre Je pense à toi, du duo malien Amadou et Mariam, est sans doute un clin d’œil à cette formation, mais sûrement aussi un moyen de captiver l’attention du public par ce succès international que tout le monde peut fredonner.
Un temps pour l’écoute et un temps pour l’ambiance, et le répertoire du duo ne déroge pas à la règle. Les capacités vocales de Jasmina Petrovic sont remarquables avec, en plus, une tendance à l’interprétation, visible dans l’expression de son visage qui rehausse sa profondeur de chant. Parfois en alternance, d’autres à l’unisson, mais en harmonie, certains morceaux chantés sont accompagnés uniquement aux tambourins mais restent tout aussi captivants.
Une complémentarité certaine pour cette rencontre musicale qu’on aurait pensée improbable au début. Comme dans tous les cas de figure où le public se trouve face à des propositions inédites pour lui, il faut toujours un temps d’adaptation mais au final la magie peut très bien opérer.