Le resserrement de la politique monétaire américaine a des implications macroéconomiques négatives au niveau mondial, y compris en Algérie. La réouverture progressive de l’économie américaine à partir de mars 2021 a ouvert la voie à une résurgence de l’inflation qui a atteint des niveaux jamais enregistrés depuis 40 ans. Considérée pendant des mois comme conjoncturelle, cette remontée des prix a été accélérée par les chocs énergétiques et alimentaire déclenchés par la guerre en Ukraine, donnant lieu à une érosion du pouvoir d’achat des ménages, une formation de bulles spéculatives dans l’immobilier et le retournement des marchés financiers (y compris le segment des cryptomonnaies). Face au défi de l’inflation, les autorités américaines ont pris dès février 2022 une série de mesures structurelles, budgétaires et monétaires, y compris une hausse progressive du taux directeur qui a causé une appréciation du dollar. Ces deux derniers facteurs n’ont pas tardé à peser sur l’économie américaine et celles des autres pays, déjà fortement impactées par une série de chocs liés à la pandémie. Discutons de ces questions.
La montée de l’inflation aux États-Unis et dans le monde : un défi structurel qui prendra du temps à surmonter
États-Unis : Alors que les prix à la consommation baissaient de 50% entre 2018 (2,4%) et 2020 (1,2%) en raison d’une forte chute de la demande due à la fermeture de l’économie et au confinement, ils allaient brutalement remonter en 2021, passant de 1,4% en janvier à 2,6% en mars et terminant à 4,5% en décembre. Un quadruplement de l’inflation. Cette accélération de l’inflation allait continuer en 2022 puisqu’elle allait atteindre 8,2% en septembre 2022 en raison de trois facteurs : (1) la réouverture quasi complète de l’économie mondiale facilitée par de bonnes campagnes de vaccination ; (2) une forte demande globale de la part des consommateurs rendue possible par les épargnes accumulées pendant le confinement ($3200 milliards aux États-Unis et €750 milliards en Europe) et les dispositifs importants d’appui budgétaire, monétaire et social mis en place pour se prémunir contre les effets négatifs de la pandémie (les pays avancés ont dépensé 8% du PIB sous forme d’appuis budgétaire et 5% du PIB en appuis monétaires) ; (3) une offre globale limitée par une série de contraintes, y compris les tensions sur le marché du travail, les dysfonctionnements continus des chaînes de valeurs mondiales et des transports maritimes, la remontée des prix des produits de base et une pénurie de microprocesseurs ; et (4) les chocs énergétiques et alimentaire déclenchés par la guerre en Ukraine. Ces derniers facteurs allaient faire évoluer la perception sur la résurgence de l’inflation mondiale en tant que déséquilibre macroéconomique structurel et non conjoncturel demandant ainsi un traitement multidimensionnel.
Le reste du monde : Les mêmes causes causant les mêmes effets, les économies du reste du monde font également face à une accélération de l’inflation qui devrait atteindre 7,2% au niveau des pays avancés, 9,8 % pour les pays émergents, 13,8% pour le Moyen Orient et l’Asie centrale et 14,4% pour l’Afrique subsaharienne.
La lutte contre l’inflation aux États-Unis et dans le reste du monde ou le resserrement des conditions financières
Les instruments mis en place :
États-Unis : du 17 mars au 2 novembre 2022, la banque centrale des États-Unis (FED) a : (1) progressivement relevé ses taux d’intérêt à court terme (le taux cible des fonds fédéraux) de 0,25 % en mars, 0,50% en mai et 0,75% en juin, juillet, septembre et novembre, faisant passer les taux d’intérêt de 0% en janvier-février 2022 à 4% en novembre 2022 ; (2) entamé le démantèlement du dispositif d’assouplissement monétaire (injection de liquidité en échange d’achat de titres financiers pour alimenter l’économie en liquidités et maintenir l’activité économique pendant la pandémie) ; et (3) adopté des mesures structurelles pour réduire les coûts de production et des transports, y compris l’Inflation Reduction Act. Ces trois mesures visent à refroidir une économie en surchauffe, illustrée par une bulle immobilière (en train de se déflateur actuellement) et un marché du travail très serré à l’origine d’une seconde vague inflationniste par le biais d’une hausse des salaires et des profits des entreprises mais portent le risque d’un ralentissement de la croissance économique.
Le reste du monde : l’inflation a grimpé à 9,8% dans le monde conduisant 33 banques centrales à relever leurs taux d’intérêt en 2022 (ces derniers varient entre 14,3% en Russie et 2,5% pour la Chine). Seul le Japon maintient son taux d’intérêt à 0,1%, alors que le yen est en chute libre (20 % de dépréciation par rapport au dollar à fin octobre 2022) et l’inflation est à son plus haut niveau (3%). L’objectif de la Banque du Japon confronte à une déflation depuis 1990 est de prévenir tout risque de chute de la demande (déjà faible) et compromettre ainsi la reprise économique.
Un défi qui prendra du temps à surmonter.
L’économie mondiale est maintenant dans les premiers stades d’un cycle inflationniste qui survivra à l’atténuation des perturbations des chaînes d’approvisionnement et à la baisse des prix des matières premières pour plusieurs raisons : (1) la surchauffe déclenchée par la relance économique destinée à contrer la pandémie (10% du PIB mondial) ; (2) les anticipations de prix ; (3) la tension au niveau des marchés du travail qui ont d’ores déjà alimenté un cycle de hausse des salaires excédant la productivité (plus de 3 points de pourcentage dans les pays avancés) ; et (4) l’accroissement des marges de profit de nombreux producteurs au-delà des coûts.
Pour les décideurs, il est impératif de maintenir le cap sur la désinflation en dépit des coûts de cette dernière (chômage, recul de l’activité, montée de la pauvreté et creusement des inégalités sociales). En effet, les coûts d’une inaction sont encore plus élevés (pauvreté, exclusion sociale, absence de visibilité pour les investisseurs, etc.).
Le succès de la désinflation implique : (1) un refroidissement du marché du travail à condition d’atteindre un niveau de chômage de 7,5% (3,7% actuellement) ; et (2) une discipline budgétaire que de nombreux pays n’observent pas car leur priorité est de dépenser librement pour aider les ménages et les entreprises à faire face à la hausse des prix de l’énergie et des denrées alimentaires (fin octobre, plus de 110 pays qui ont pris de telles mesures). Une condition difficile à atteindre à ce jour.
La fin de la cible d’inflation de 2% et son relèvement à 4% pour donner de l’oxygène à la gestion macroéconomique. Du fait de l’absence de cohérence entre la politique monétaire (ciblant une inflation à 2%) et une politique budgétaire expansionniste (du fait des assistances significatives aux ménages et entreprises aux prises avec les effets des chocs externes), la question se pose de savoir si la cible d’inflation de 2% qui a dominé la pensée macroéconomique pendant des décades est appropriée dans le contexte actuel et si elle ne doit pas être relevée à 4% afin de donner de l’oxygène à la gestion macroéconomique. Pour surmonter les risques liés à un tel relèvement à 4% (gonflement d’une partie de la dette publique à long terme, rajout d’une prime de risque aux rendements obligataires, incertitude à long terme et frictions dans toute l’économie), de nombreux économistes américains proposent alors des réformes à long terme visant à rationaliser les dépenses de retraite et de santé et l’intégration d’un objectif global pour le niveau du PIB nominal.
Les conséquences de la politique monétaire restrictive des États-Unis
Le rôle central du dollar : est illustré par la détention par les banques centrales du monde de 59% de leurs réserves en dollars. En raison de la prépondérance du dollar au niveau de l’économie mondiale, la demande pour le billet vert est forte ce qui concourt à son appréciation. De ce fait, les changements dans la politique monétaire affectent considérablement le reste du monde.
Les implications de l’appréciation du dollar sont multiples. Notons les plus importantes, à savoir : (1) un alourdissement de la dette extérieure pour des dizaines de pays à revenu faible et intermédiaire ainsi que celle (libellée en dollars) des entreprises de ces pays entre les mains d’investisseurs étrangers. Même lorsque la dette extérieure est en monnaie locale, une baisse du taux de change local par rapport au dollar peut poser problème ; (2) les pertes sur les investissements étrangers des entreprises financières américaines ; (3) un renchérissement du coûts des importations lorsque les monnaies locales se déprécient alors que les prix mondiaux des produits de base sont libellés en dollars, alimentant davantage l’inflation ; (4) une augmentation des coûts de la part des banques centrales qui souhaitent limiter la dépréciation par le biais soit d’une hausse du taux d’intérêt (avec le risque de casser la croissance économique) ou soit par le biais d’une intervention sur le marché des changes (réduction des réserves de change et perte de dollars); et (5) un ralentissement du commerce international dans la mesure où les principales matières premières comme le pétrole sont achetées et vendues en dollars.
Comment faire face à l’appréciation du dollar américain ? La FED va poursuivre son programme anti-inflationniste de hausse des taux d’intérêt même s’il a un impact négatif sur le reste du monde. Face à cela, en dehors des swaps de lignes de crédits (trop modestes) et d’une intervention coordonnée des banques centrales (type Accord du Plaza de 1985 qui demande du temps à mettre en œuvre), il ne reste aux pays que de remonter leurs taux d’intérêt (avec le risque de ralentir la croissance) et/ou diversifier les réserves de change sur le long terme.
L’appréciation du dollar et son impact sur l’Algérie. Pour mieux apprécier les canaux de transmission d’une appréciation du taux de change dollar sur l’économie algérienne, notons tout d’abord ces éléments de base :
Une économie en retrait du reste du monde : au vu : (1) de multiples barrières non tarifaires, de restrictions et de barrières non tarifaires (mise en place d’un ensemble de tarifs entre 30 et 200% sur plus de 1000 produits) ; (2) une insertion internationale en panne ; et (3) une économie coupée du système financier international illustré par de flux insignifiants ($1 milliard) et un stock d’investissements directs étrangers modeste ($20,7 milliards concentrés essentiellement dans le secteur des hydrocarbures). Ceci devrait protéger des chocs extérieurs.
Une structure des échanges commerciaux : dominée par : (1) des importations importantes pour faire face à tous les besoins de la population (39,3% de biens dont 26,3% pour l’alimentation) et du pays (325,4% en biens d’équipements et 24,5% en biens intermédiaires) ; (2) une mono exportation (les hydrocarbures représentent 85% du total) ; et (3) une concentration des échanges avec l’Europe pour les achats (39,86% pour les importations et 64,97% pour les ventes). Les canaux de transmission des effets du dollar plus cher.
L’impact de l’appréciation du dollar sur l’économie algérienne. Notons d’un côté son effet positif sur : (1) la croissance économique (+ 2,3% en raison essentiellement de la hausse de l’activité pétrolière de 11%) ; (2) les finances publiques (+ 1 point de pourcentage du PIB en matière de recettes fiscales) ; (3) le compte courant de la balance des paiements (surplus en hausse de 3,3 points de pourcentage du PIB) ; et (4) les réserves internationales de change (hausse de $5,6 milliards). Quant aux effets négatifs, ils se manifestent au niveau : (1) du taux de change nominal moyen du dinar par rapport au dollar (1,4% de dépréciation entre fin décembre 2021 et fin août 2022) ; (2) la compétitivité extérieure (une perte de 5% à fin août 2022) ; et (3) l’inflation (contribution à concurrence de 0,5 % à l’accélération des prix à la consommation).