La décision de la CIJ attendue demain à La Haye : Les Emirats accusés par le Soudan de complicité de génocide

04/05/2025 mis à jour: 10:54
2109

La Cour internationale de justice (CIJ) rendra demain sa décision relative à la demande du Soudan de mesures conservatoires contre les Emirats arabes unis, pour avoir violé la convention de lutte et de prévention contre le génocide, en soutenant le groupe armé des Masalit au Soudan, en particulier au Darfour occidental, et à leur milice rebelle des FSR,  accusés de génocide. 

Très attendu, le délibéré de la Cour intervient moins d’un mois après l’audience du 10 avril dernier au cours de laquelle les deux parties ont exposé leurs arguments aux magistrats de cette haute juridiction de l’Onu, basée à La Haye (Pays-Bas). 

Dans sa requête du 6 mars dernier, le Soudan avait déposé une requête introductive d’instance contre les Emirats pour «manquements à la Convention sur le génocide», l’accusant de «soutien» à des groupes armés rebelles, dont «les FSR et des milices qui leur sont associées» à  l’origine «d’actes de génocide, meurtres, expropriations, viols, déplacements forcés, violations de propriété privée, dégradations de biens publics et violations de droits de l’homme». 

Dans sa requête, le Soudan affirme que «la perpétration (de tous ces actes) a été rendue possible par le soutien direct apporté par les Emirats arabes unis à la milice rebelle des FSR et aux groupes qui lui sont associés». La requête du Soudan concerne aussi «les actes adoptés, tolérés et pris par le gouvernement des Émirats en rapport avec le génocide contre le groupe Masalit en République du Soudan depuis au moins 2023. Les actes et omissions des Emirats dénoncés par le Soudan sont de nature génocidaire, car ils visent à provoquer la destruction d’une partie substantielle du groupe Masalit». 

Pour le Soudan, «il est prouvé, par tous types de preuves, que les rebelles RSF, avec le soutien illimité des Emirats, ont perpétré un génocide, des déplacements forcés et des meurtres». Le Soudan affirme avoir présenté sa requête  «afin d’établir la responsabilité des Emirats pour violations de la Convention sur le génocide  et de demander l’indication de mesures conservatoires pour assurer la protection urgente et la plus complète possible de la population civile soudanaise qui continue de courir un risque grave et immédiat de poursuite et de nouveaux actes de génocide». 

Khartoum accuse  les Emirats d’avoir  «violé leurs obligations en vertu de l’article premier de la Convention sur le génocide, ainsi que d’autres obligations fondamentales en vertu de la Convention sur le génocide, notamment en tentant de commettre un génocide ; en complotant en vue de commettre un génocide ; en incitant au génocide; complicité de génocide; et manquement à prévenir et punir le génocide. 

Depuis au moins 2023, un génocide se déroule en République du Soudan». Tout en rappelant que «les RSF et les milices qui leur sont alliées commettent un génocide contre le groupe Masalit, notamment au Darfour occidental», il explique que «les membres du groupe Masalit, un peuple résidant principalement dans la région du Darfour occidental de la République du Soudan, sont des Noirs africains qui parlent des dialectes de la langue masalit». 

«Les Émirats ont recruté des milliers de mercenaires du Sahel»

Selon le gouvernement soudanais, «des milliers de Masalit de toute la République du Soudan, et en particulier du Darfour occidental, ont été tués dans le cadre de ce génocide aux mains des milices rebelles des RSF. L’intention de la milice rebelle des RSF était de détruire le groupe Masalit en tout ou en partie. La zone de Dar Masalit se trouve à 2000 kilomètres de Khartoum. En 2023, lorsque la rébellion a éclaté en République du Soudan et a atteint Dar Masalit, une semaine après son éruption à Khartoum, les Masalit ont été systématiquement pris pour cible, en raison de leur appartenance ethnique et de la couleur de leur peau. Tous les points d’entrée de la ville la plus importante de la région, El Geneina, ont été fermés, la milice rebelle des FSR ayant assiégé la ville pendant 58 jours. 

Des personnes ont été brûlées vives. Les milices rebelles se sont livrées à des exécutions extrajudiciaires, à des nettoyages ethniques, à des déplacements forcés de civils, à des viols et à des incendies de villages. Les FSR et les milices alliées ont systématiquement assassiné des hommes et des garçons, y compris des nourrissons, sur une base ethnique. Elles ont délibérément ciblé des femmes et des filles de certains groupes ethniques pour les violer et autres formes de violence sexuelle brutale, pris pour cible des civils en fuite, assassiné des innocents qui fuyaient le conflit et empêché les civils restants d’accéder à des fournitures vitales. Après avoir fait irruption dans la ville d’Al Hilaliya, une ville de l’Etat de Gezira, la milice rebelle des FSR a ouvert le feu et tué 357 civils, dont 212 femmes, filles et enfants, empoisonné l’eau potable et empêché l’accès aux médicaments». 

Le Soudan accuse les Emirats d’«alimenter» la rébellion et  de «soutenir la milice qui a commis le crime de génocide au Darfour occidental» et affirme qu’ils «envoient leurs propres agents en République du Soudan afin de diriger les forces rebelles des FSR dans la mise en œuvre du génocide», ajoutant qu’une «grande partie des communications politiques et des opérations des FSR rebelles sont gérées aux Emirats arabes unis. Ils ont fourni aux forces rebelles des FSR un soutien financier important». 

Les Emirats sont aussi accusés d’avoir «recruté et formé des milliers de mercenaires, originaires du Sahel, des pays voisins et même de Colombie,  qu’ils ont envoyés en République du Soudan afin d’aider la milice rebelle RSF à perpétrer le génocide et continue d’envoyer d’importantes cargaisons d’armes, de munitions et d’équipements militaires, notamment des drones de combat, à la milice rebelle RSF et des experts  qui forment des membres de la milice au maniement de drones de combat».  

Les Emirats sont accusés de complicité concernant le génocide des Masalit  en dirigeant la milice rebelle RSF et en lui fournissant un soutien financier, politique et militaire important. Et d’ajouter que «la relation de la milice rebelle RSF avec le gouvernement des Emirats est tellement fondée sur la dépendance et le contrôle qu’il serait juste, à des fins juridiques, de l’assimiler à un organe du gouvernement des Emirats, ou comme agissant pour le compte de ce gouvernement». 

Selon lui, le fait que «les Emirats aient choisi d’agir par l’intermédiaire de la milice rebelle RSF ne peut pas leur permettre d’échapper à leur responsabilité internationale en vertu de la Convention sur le génocide». 

Il demande à la Cour de «tenir une audience d’urgence, d’indiquer des mesures provisoires pour mettre fin aux violations perpétrées par la milice rebelle RSF, d’ordonner toutes les mesures de précaution nécessaires pour mettre fin aux violations décrites ci-dessus, et d’obliger les Emirats à cesser leur soutien à la milice rebelle RSF». 

Le Soudan rappelle qu’il a «à plusieurs reprises et de manière urgente» émis ses «préoccupations et ses dénonciations» contre les Emirats pour leur «soutien continu à la milice rebelle RSF», qui, d’après lui, «a été la principale raison de toutes les violations et de tous les actes commis contre la population civile soudanaise» et «conduit au déplacement forcé de la population civile soudanaise de ses foyers, au meurtre, au vol de biens, à des conditions équivalant à de la torture physique et psychologique, et à d’autres conditions horribles». Salima Tlemçani

 

 

 

La défense des Émirats n’a pas répondu au fond de l’affaire

Le Soudan a présenté de nombreuses déclarations à l’Assemblée générale de l’Onu condamnant «l’ingérence et l’implication» des Emirats dans les affaires souveraines intérieures de la République du Soudan, en présentant «des documents justificatifs qui prouvent le soutien» émirati à la milice rebelle RSF.  En plus de sa requête, le Soudan  demande à la CIJ d’indiquer des mesures conservatoires contre les Emirats  afin qu’ils «se conforment à leurs obligations au regard de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide et  prennent toutes les mesures en leur pouvoir pour prévenir la commission  à l’encontre des Masalit, de tout acte entrant dans le champ d’application(…),la convention, en particulier : le meurtre de membres du groupe, l’atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe, la soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle,  l’imposition de mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ». Le 10 avril dernier, des audiences publiques consacrées à cette  demande ont été tenues au Palais de La Paix, à La Haye. Les deux délégations conduites, du côté soudanais par  le ministre (par intérim) de la Justice s,   Muawia Osman Mohamed Khair, et émirati, par l’ambassadrice auprès du Royaume des Pays-Bas, Mme Ameira Al Hefeiti, ont pris toute la journée pour présenter leurs arguments. Le Soudan a réitéré sa position contre le soutien des Emirats aux groupes armés rebelles qui commettent des génocides et ses demandes de mesures conservatoires.  
Les Emirats ont axé leur défense essentiellement sur la procédure en la forme. Ses nombreux représentants qui se sont succédé pour les défendre devant la haute juridiction, lors de l’audience publique du 10 avril dernier, ont demandé  le «rejet» de la demande soudanaise qui, selon eux,  «doit être rayée du rôle», sur la base de l’article IX de la Convention sur le génocide. Cette clause compromissoire qui fait l’objet de réserve de nombreux Etats, dont les Emirats,  concerne «la soumission des différends survenant entre les parties contractantes relatifs à l’interprétation, à l’application ou à l’exécution de la Convention, à la Cour internationale de justice, à la demande de l’une des parties au différend». La défense des Emirats n’a,  à aucun moment,  répondu au fond de l’affaire, c’est-à-dire les accusations de «complicité dans le génocide» au Soudan, par leur «soutien   politique, financier et militaire aux groupes armés, notamment les FSR».  S. T.
 

Copyright 2025 . All Rights Reserved.