Insécurité alimentaire dans les pays arabes : Les solutions pour promouvoir une agriculture durable

13/02/2023 mis à jour: 10:07
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Avant la pandémie de la Covid-19, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et le Programme alimentaire mondial (PAM) estimaient déjà qu’au sein des pays arabes plus de 55 millions de personnes, sur une population de près de 457 millions, étaient sous-alimentées. A cause de cette pandémie, la guerre russo-ukrainienne et les violences et l’escalade des conflits dans certains pays arabes depuis quelques années, la faim a pris davantage de l’ampleur. Selon le Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la capitale nationale du Québec (Canada), l’insécurité alimentaire désigne une situation dans laquelle se trouve une personne, ou un groupe de personnes, quand la disponibilité d’aliments sains et nutritifs, ou la capacité d’acquérir des aliments personnellement satisfaisants par des moyens socialement acceptables, est limitée ou incertaine. Selon Oxfam International (2021), «après des décennies de baisse, l’insécurité alimentaire s’est aggravée depuis 2014, sous l’effet de la multiplication des conflits armés, des phénomènes climatiques extrêmes et des crises économiques à répétition. Elle résulte également de la défaillance structurelle d’un système agricole et alimentaire mondial profondément inégalitaire». Et aujourd’hui, l’insécurité alimentaire dans le monde, et notamment dans les pays arabes, est liée particulièrement au conflit russo-ukrainien du fait des facteurs suivants : (1) l’augmentation des prix des matières premières agricoles dites «Soft Commodites» (blé, maïs, orge, oléagineux, soja, tourne sol, etc.), (2) l’augmentation des prix du bétail à cause de l’accroissement des prix de leurs aliments, (3) l’augmentation des prix des produits laitiers du fait de l’envolée des prix de l’alimentation de l’élevage et les coûts de production liés aux énergies (pétrole et gaz). Au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, de nombreux pays arabes dépendent fortement des importations de céréales.

La Russie et l’Ukraine, deux grands pays exportateurs de céréales (30% du marché mondial), envoient près de la moitié du blé qu’ils produisent dans les pays du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord. L’Égypte, le Liban, la Libye, l’Algérie, les Émirats arabes unis et la Tunisie sont les principaux importateurs, bien que de nombreux autres pays arabes riches et pauvres dépendent considérablement de l’importation de céréales. Les populations sont fortement affectées par l’augmentation des prix des céréales, (par exemple, les prix du blé ont déjà augmenté de 80% depuis 2020). Alors que la sécurité alimentaire est déjà menacée à cause des changements climatiques (sécheresses et inondations qui affectent les productions agricoles des céréales et qui affectent des milliers d’agriculteurs de subsistance dans la famine), du stress hydrique (pénurie d’eau), des effets négatifs de la pandémie de la Covid-19 (interruption des chaînes d’approvisionnement mondiales des produits agricoles et augmentation des coûts de la logistiques de transport), et de la guerre russo-urainienne, les 23 pays arabes font désormais face (à des degrés différents) à une situation économique difficile pour certains, voire désastreuse pour d’autres, ce qui pénalise fortement la sécurité alimentaire de leurs populations. La question la plus discutée restera le prix du pain, que les pouvoirs publics au sein de ces pays ne doivent pas augmenter s’ils veulent éviter un mécontentement des populations et des tensions sociales. Selon le Programme alimentaire mondial, le conflit russo-ukrainien a entraîné dans les pays arabes une augmentation des prix des céréales et d’autres denrées alimentaires. Par exemple, en Palestine, le prix de la farine de blé a augmenté de 23,6%, des lentilles de 17,6%, et celui de l’huile de 26,3%. Cela a eu un effet important sur le pouvoir d’achat des personnes. Au Liban, les prix des denrées alimentaires ont augmenté aussi de plus de 1000 % au cours des trois dernières années, dans un contexte d’instabilité politique. La Tunisie n’a pas été épargnée elle aussi. Au mois de septembre 2022, les prix de l’alimentation ont augmenté de 13% sur une année. Cette hausse est liée principalement à l’augmentation des prix des volailles (+27%), des huiles alimentaires (+21%), des œufs (+25%) et des fruits (+18%). Il faut souligner tout de même que les causes indirectes de l’insécurité alimentaire au sein de certains pays en développement et pauvres, notamment ceux du monde arabe sont la dépendance de ces derniers aux importations de céréales.

Cette situation est le résultat de : (1) après la deuxième guerre mondiale, la production alimentaire dans les pays développés a été industrialisée à grande échelle à l’aide d’engrais chimiques et de pesticides, et les pays en développement, notamment les pays arabes, ont été incité à se spécialiser dans la production de certains produits agricoles destinés à l’exportation, et grâce à ces revenus ils ont pu importer des produits alimentaires. (2) Le secteur alimentaire est devenu profondément lié au secteur financier et les prix se déterminent désormais particulièrement par la spéculation au sein des bourses. Cela veut dire que les prix d’aujourd’hui dépendent du commerce et surtout de la météo de demain (ce qui détermine les volumes de production). Le problème est lié aussi au fait que le marché mondial est dominé par quatre entreprises multinationales, ADM, Bunge, Cargill et Drefus (The big four), qui contrôlent et monopolisent 70 à 90% du commerce mondial de céréales. Ainsi, les pays arabes de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient sont fortement dépendants des importations de produits agricoles. Par exemple, l’Egypte est le premier importateur mondial de céréales (80% de ses besoins), suivie de l’Algérie (70% de ses besoins), le Maroc (30% de ses besoins), la Tunisie (50% de ses besoins), pour ne citer qu’eux. En Syrie et au Yémen, une grande partie des populations ne peut plus se procurer les aliments de base à cause des conflits ces dernières années. La Tunisie affectée par la crise économique et la baisse de ses revenus liée à la pandémie de la Covid-19, cherche toujours à obtenir un autre plan de sauvetage du Fonds monétaire international (FMI) pour assurer ses besoins de denrées alimentaires importées de l’étranger. Selon un rapport de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (2020), la faim continue de s’aggraver dans les pays arabes et particulièrement au Liban, en Syrie et au Soudan.

Ce rapport  intitulé « Proche-Orient et Afrique du Nord : Aperçu régional de l’état de la sécurité alimentaire et la nutrition 2021», a souligné que le nombre de personnes souffrant de la faim dans cette région a atteint près de 70 millions en 2020. Et, près d’un tiers de la population de cette région (soit 141 millions de personnes) a connu une insécurité alimentaire modérée ou grave en 2020. Les autres causes de l’insécurité alimentaire dans les pays arabes sont multiples, mais les plus importantes sont certainement liées à l’urbanisation des terres agricoles, l’agriculture traditionnelle (peu productive et peu spécialisée, dont les revenus sont insuffisants), les changements climatiques qui affectent les productions agricoles, la croissance démographique et l’augmentation de la demande, la rareté dans certains pays arabes des ressources naturelles telles que l’eau et la terre, comme étant les moteurs essentiels du développement agricole.

La question, qui se pose maintenant, est la suivante : quelles sont les solutions pour promouvoir une agriculture durable et assurer une sécurité alimentaire dans les pays arabes dans le but de garantir une alimentation suffisante et nutritive de tous ? D’abord, au sein de chaque pays arabe, il faudrait engager des politiques qui rendent les systèmes agroalimentaires plus productifs, plus efficaces, plus résilients et plus inclusives. La FAO a bien insisté sur ces politiques en expliquant qu’il faudrait mobiliser d’importants investissements financiers, et qui devront porter sur les infrastructures lourdes, les infrastructures de la chaîne de valeur, la Recherche et Développement (R&D) agricole, l’innovation, les nouvelles technologies, mais aussi les infrastructures numériques.

La FAO souligne aussi qu’il faudrait développer la production d’engrais chimiques et des pesticides pour les agriculteurs afin de promouvoir une agriculture industrialisée à grande échelle, moderne et durable. Il est également important, à l’instar de la Russie dans les années 2000,  de soutenir les producteurs agricoles au sein de ces pays par des actions visant à soutenir la modernisation du matériel agricole, fournir des aides directes à la production, accorder des subventions aux intrants dans le but d’améliorer le rendement des terres, accorder des prêts bonifiés, promouvoir des IDE porteur de technologies modernes, soutien des prix, etc. Maintenant, au niveau de l’Union arabe et à court terme, afin de contrer l’inflation au niveau des marchés mondiaux de céréales et autres denrées alimentaires, il est nécessaire que les pays arabes mutualisent leurs importations, en adoptant une politique concertée qui leur permettra d’assurer de la complémentarité et avoir un fort pouvoir de négociation à l’international. Aussi, ces pays devront être solidaires entre eux afin que les pays pauvres puissent bénéficier de l’aide des pays riches.

A Moyen et long termes, il serait nécessaire de mettre des objectifs d’une Politique agricole commune (PAC) au sein de l’espace arabe, gérée et financée au sein de ces pays grâce à leurs ressources budgétaires. L’objectif étant de tisser un partenariat entre le secteur agricole et la société civile, mais aussi, entre les pays arabes et leurs agriculteurs, à l’instar de ce qui se passe au sein de l’Union européenne, un modèle de réussite reconnu au niveau mondial. A cet effet, il faudrait assurer un niveau de vie décent aux agriculteurs au sein de ces pays, coopérer en faveur la lutte contre le changement climatique et ses effets négatifs et gérer les ressources naturelles de manière durable et inclusive. Aussi, il serait essentiel de prémunir l’économie rurale au sein des pays arabes en encourageant l’emploi dans le secteur agricole et l’industrie agroalimentaire. Notamment dans un contexte où certains de ces pays ont une importante manne financière issue des revenus du secteur des hydrocarbures ainsi qu’une grande capacité d’investissement, à l’image des pays du Golfe, comme l’Arabie Saoudite et le Qatar ou encore l’Algérie. D’autres pays ont des ressources naturelles non négligeables, comme l’Egypte, en ce qui concerne l’eau, ou le Soudan qui possède des terres agricoles disponibles. Les pays arabes devraient également travailler conjointement afin de profiter des avantages de la zone de libre-échange arabe. A ce titre, il faut savoir que les échanges commerciaux au sein de la zone arabe ne dépassent pas les 7%, un taux observé parmi les plus faibles au monde, en comparaison avec celui de l’Europe (65%) ou encore du continent américain (prés de 50%).

Enfin, puisque nous vivons aujourd’hui dans l’économie de la connaissance et de l’innovation, il est assez indispensable pour les pays arabes d’exploiter la science, la technologie et l’innovation afin de garantir des systèmes alimentaires modernes, durables, inclusifs et résilients. Les technologies dans le secteur de l’agriculture, également connues sous le nom d’«agritech», ont fait ces dernières décennies de véritables progrès avec l’apparition d’engrais synthétiques, des pesticides sans oublier le développement de la mécanisation (ex : arrosage goûte-à-goûte) pour promouvoir la productivité dans ce secteur. En définitive, il ne serait plus question de continuer à soutenir l’agriculture traditionnelle, une agriculture qui est peu productive et peu spécialisée, dont les revenus sont toujours insuffisants. Dès lors, les pays arabes devront promouvoir le développement d’une agriculture moderne et durable  : une agriculture très productive utilisant des moyens modernes et assurant des revenus qui sont très élevés.

Dr Rédha Younes Bouacida
Professeur des universités en sciences économiques, FSESG, université de Skikda, Algérie, Réseau de recherche sur l’innovation (RRI), France
Association Tiers-Monde (ATM), France.

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