Ankara a haussé le ton hier dans un litige qui l’oppose à la France sur le statut des écoles françaises en Turquie, dont les élèves turcs risquent d’être privés d’accès au grand dam des parents à six semaines de la rentrée, rapporte l’AFP, citant des sources officielles.
La France «ne daigne pas nous prendre comme interlocuteur», a accusé hier le ministre de l’Education, Yusuf Tekin, lors d’un déplacement à Erzurum (est), dénonçant en termes virulents «l’arrogance » de la France. «Nous ne sommes pas comme les pays que vous avez colonisés. Nous sommes un Etat souverain. Vous devez donc agir selon nos conditions si vous voulez enseigner ici», a poursuivi le ministre.
Dans un courrier adressé vendredi aux parents d’élèves, l’ambassade de France à Ankara les avait informé du risque de voir, dès la rentrée, les élèves turcs privés de scolarité dans les établissements français d’Istanbul et Ankara, dont ils constituent pourtant l’écrasante majorité des élèves.
Au cœur du désaccord, une exigence rémanente de «réciprocité» de la part d’Ankara, qui demande à pouvoir ouvrir en France des écoles turques reconnues par l’Etat français. «Qu’on donne un statut légitime à ces écoles (françaises, ndlr).
En contrepartie, nous aurons certaines demandes pour les citoyens turcs en France», a ainsi souligné le ministre hier. «Mais les autorités françaises bloquent les demandes de nos citoyens en France concernant les cours de langue et de civilisation turques et agissent à leur guise ici (...). Si elles acceptent nos conditions, alors elles pourront continuer.
Sinon, c’est à elles de voir», a-t-il mis en garde. De son côté, l’ambassade de France espère sortir de l’impasse en parvenant à un accord : «Ces écoles ont énormément apporté à la relation bilatérale franco-turque depuis des décennies. Nous sommes plus déterminés que jamais à poursuivre les négociations avec la ferme intention de les voir aboutir», a réagi l’ambassadrice de France à Ankara, Isabelle Dumont.
Mais le ministre turc a affirmé que l’admission des élèves turcs dans les écoles françaises, initialement créées pour les enfants des employés des missions diplomatiques, était illégale en Turquie. «Il faut conclure un accord bilatéral (...) et le problème sera résolu, mais ils n’en veulent pas», a-t-il affirmé.
Incertitude
Les négociations, engagées depuis le début de l’année, sont toujours en cours, mais faute d’accord d’ici la rentrée scolaire ces écoles ne pourront plus accepter de nouveaux élèves turcs – même si ceux qui y sont déjà inscrits pourront continuer leur scolarité, a précisé le ministre.
A terme, l’interdiction d’admettre des citoyens turcs réduirait drastiquement le nombre d’élèves de ces établissements et les mettrait en péril. Une incertitude qui plonge les parents d’élèves des deux écoles françaises (Pierre Loti à Istanbul et Charles de Gaulle à Ankara) dans une inquiétude que la promesse du ministre concernant la poursuite de la scolarité des enfants déjà inscrits ne suffit pas à calmer.
L’incertitude est d’autant plus marquée que le gouvernement turc a demandé que les programmes scolaires suivis par les établissements français «se rapprochent» de ceux suivis dans les écoles turques «pour quelques matières», selon une source proche du dossier qui s’étonne du durcissement soudain des autorités qui ont «haussé le ton et mis la pression».
Les programmes turcs sont de plus en plus axés sur les «valeurs traditionnelles», au détriment notamment des langues étrangères et des cours de science, dénonce l’opposition. Le président turc Recep Tayyip Erdogan a présenté, début juin, un nouveau programme scolaire vantant la famille et l’ordre moral, malgré la contestation des syndicats d’enseignants qui lui reprochent d’islamiser l’éducation.
Des cours en option «sur le Saint Coran, la vie du Prophète», ainsi que d’autres cours sur l’islam seront aussi proposés, a-t-il dit, provoquant la fureur des syndicats d’enseignants qui dénoncent un programme «réactionnaire» et «contraire à la laïcité, la science et l’enseignement démocratique».
Par ailleurs, Le président Erdogan a annoncé hier la fin imminente de l’opération «griffe-verrou» des forces armées turques contre les Kurdes du PKK, dans le nord de l’Irak et de la Syrie. «Nous compléterons très bientôt le verrouillage de la zone d’opération dans le nord de l’Irak», a déclaré le chef de l’Etat, affirmant que «des coups sérieux ont été portés à l’organisation terroriste» du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK).
«Nous compléterons les points manquants de la ceinture de sécurité le long de notre frontière sud en Syrie», a-t-il également annoncé: «Nous sommes déterminés à éliminer toute structure susceptible de constituer une menace pour notre pays le long des frontières avec l’Irak et la Syrie.» La Turquie a lancé l’opération «griffe-verrou» en avril 2022 pour sécuriser sa frontière avec le nord de l’Irak, d’où elle accusait le PKK de lancer des attaques contre le territoire turc.