Les yeux rougis, les traits tirés sous son voile, Fidan Turan semble perdue dans sa rue jonchée de gravats, incapable d’imaginer l’avenir : quitter Antakya, où tout n’est plus que ruines, ou rester malgré tout ? A première vue, son immeuble semble avoir mieux résisté que les bâtiments voisins à l’effroyable séisme qui a ravagé le sud de la Turquie.
La porte en métal a tenu, les fenêtres aussi, dont certaines sont encore bordées de jardinières. Les climatiseurs s’accrochent encore à la façade lézardées. Mais tout le Sud du pays, où près de 20 000 personnes sont mortes (plus 3000 autres en Syrie voisine) craint une nouvelle secousse assassine. Et Fidan Turan raconte simplement sa «souffrance», tout en pointant du doigt le cocon familial, au 4e étage, dont elle ignore si elle le retrouvera un jour. «Quand je vois les immeubles détruits, les corps, ce n’est pas dans un an ou deux que je me projette, c’est demain que je n’arrive pas à imaginer», souffle la sexagénaire, une larme à la paupière. «On a perdu soixante personnes de notre famille. Soixante. Que puis-je dire ? C’est la volonté de Dieu.» La maison familiale, au village, elle aussi s’est effondrée. «Où peut-on aller ? On n’a plus nulle part», murmure-t-elle, la voix brisée. Alors «on allume des feux dans le jardin, le temps guérit de tout, on est redevable d’être vivant».
Dans la rue, sur des bancs
Son fils, Inayet Turan, qui l’aide à descendre quelques affaires de l’appartement familial a le regard dur derrière ses lunettes bleues. Lui s’imagine rester dans sa ville «si c’est bien reconstruit», car «c’est possible de reconstruire, l’Etat a le pouvoir de le faire», affirme-t-il. Mais «des centaines de gens sont dans la rue, dorment sur des bancs, dans des parcs. Il faut trouver une solution», poursuit ce psychologue de 35 ans, dont le visage est tour à tour traversé par l’accablement et la colère. Croisé dans une rue du sud de la ville, un purificateur d’eau dans les bras, Mustafa Kaya escorte sa femme qui tire une valise à roulettes et leur fille. Installé dans une tente depuis lundi, il a récupéré quelques affaires stockées dans l’entrée de leur maison sans oser s’aventurer plus loin par crainte d’un nouvel éboulement. «On ne sait pas où l’on sera dans un mois ou un an. On fera ce que dit le gouvernement et ce que Dieu permet...J’ai un frère à Istanbul : on verra si on va chez lui, mais je ne sais même pas comment nous irons», avance-t-il. Plus démunie encore, Hatice Süslü, 55 ans, fait partie de ces rescapés dont les possessions se résument désormais à une tente entourée de nombreuses autres dans un jardin public. Certains ont apporté des matelas. Beaucoup, enroulés dans des couvertures, se réchauffent devant de petits braseros dans le froid du matin. «Je ne sais pas du tout ce que l’on va faire, on attend encore quelques jours pour décider. On ne sait pas ce qu’on va devenir», remarque-t-elle. Et de soupirer : «Ceux qui sont morts sont libérés, mais ceux qui sont restés... que vont-ils devenir ?» «Il n’y a rien à dire. La vie est finie.» Mehmet Ali Tuver, l’un de ses compagnons d’infortune, est moins fataliste. Ce vendeur de chaussures de 35 ans, entouré d’enfants lorsque l’AFP l’interroge, a réussi à réquisitionner un cabanon public qu’il a entouré de bâches en plastique pour le protéger du froid. «On est sur nos terres, on attend ici pour l’instant», tranche-t-il. «Tout le monde cherche à fuir quelque part mais ici, c’est chez nous, on ne peut pas l’abandonner.» Fetva Askar, 61 ans, native d’Antakya où elle a toujours vécu, est plus circonspecte. Sans ressources, son mari désormais sans travail, elle dit n’avoir «pas les moyens» de partir même si son appartement est devenu «inhabitable». Mais, «j’attends aussi qu’on sorte mes frères (des décombres)», glisse-t-elle. «On ne peut pas partir sans les retrouver et les enterrer.»