Sommet de l’Alliance atlantique nord en Espagne : Madrid veut convaincre l’Otan de regarder aussi vers le Sud

28/06/2022 mis à jour: 18:56
AFP
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Photo : D. R.

Avec le conflit en Ukraine, sur le flanc oriental de l’Alliance, Madrid aura du mal à convaincre ses partenaires de l’importance de ce flanc sud.

Hôte du sommet de l’Otan, l’Espagne veut convaincre l’Alliance atlantique de l’importance stratégique des menaces sur son flanc sud, mais avec la guerre en Ukraine, la priorité est clairement ailleurs pour ses partenaires, selon de nombreux analystes.

Ce sommet, qui se tient du 28 au 30 juin dans la capitale espagnole, doit notamment adopter le nouveau «concept stratégique» de l’Otan, qui marquera la première révision de sa feuille de route depuis 2010.

Une occasion rêvée pour Madrid de pousser pour une «vision à 360°» en y incluant les menaces non conventionnelles comme le terrorisme ou «l’utilisation politique des ressources énergétiques et de l’immigration illégale» venant du Sud, a souligné, mercredi dernier, le ministre espagnol des Affaires étrangères. «Les menaces viennent autant du flanc sud que du flanc est», a insisté José Manuel Albarès lors d’une conférence de presse. «Nous avons cette guerre en Europe, mais la situation en Afrique est réellement inquiétante», a renchéri sa collègue de la Défense, Margarita Robles, faisant notamment référence aux groupes jihadistes actifs dans le Sahel.

Située à quelques kilomètres des côtes africaines, l’Espagne est devenue l’une des principales portes d’entrée de l’immigration illégale en Europe, comme l’a encore prouvé vendredi une tentative massive d’entrée dans son enclave de Melilla, située sur la côte nord du Maroc. Plus de 10 000 migrants avaient pénétré en mai 2021 dans son autre enclave de Ceuta, mettant alors à profit un relâchement des contrôles marocains.

En pleine brouille diplomatique avec Rabat à propos du Sahara occidental, Madrid avait dénoncé un «chantage» et une «agression». Si l’Espagne vient de se réconcilier avec le Maroc au prix d’un revirement sur cette région du Sahara, elle s’est brouillée depuis avec l’Algérie – soutien des indépendantistes sahraouis – qui menace d’augmenter le prix du gaz qu’elle lui vend.

L’Ukraine change «la donne»

Mais avec le conflit en Ukraine, sur le flanc oriental de l’Alliance, Madrid aura du mal à convaincre ses partenaires de l’importance de ce flanc sud. Ce sera «une tâche ardue», déclare à l’AFP Sinan Ulgen, expert du centre d’études Carnegie Europe à Bruxelles. Selon cet ancien diplomate turc, «la guerre en Ukraine a changé la donne», car «la menace de la Russie est devenue la principale inquiétude pour la plupart des pays» de l’Otan.

«Le centre d’intérêt principal est aujourd’hui le flanc oriental», même si «nous prêtons également attention au flanc sud», a déclaré, à l’AFP à Washington, John Kirby, qui coordonne la communication de la Maison-Blanche sur les questions de sécurité nationale et de stratégie.

Dans un entretien samedi au quotidien espagnol El Pais, le secrétaire général de l’Otan, Jens Stoltenberg, a indiqué que l’Alliance allait «renforcer (sa) coopération avec les pays du Sud», mentionnant la Mauritanie. Mais la priorité stratégique du président américain, Joe Biden, est la Chine, qui devrait être mentionnée pour la première fois dans le «concept stratégique» issu du sommet de Madrid.

«Menaces russes» en Afrique

Pour tenter de convaincre ses partenaires de l’importance du flanc sud, Madrid agite la menace russe en Afrique et a même laissé entendre que Moscou était derrière sa dispute avec Alger.«Malheureusement, les menaces venant du Sud sont de plus en plus des menaces russes venues du Sud», a insisté mercredi M. Albares, dont le gouvernement dénonce la présence croissante de mercenaires russes du groupe Wagner au Mali ou en Centrafrique.

Madrid craint en particulier que l’instabilité dans cette partie du continent africain n’entraîne une augmentation de l’immigration clandestine vers l’Europe, et en premier lieu vers l’Espagne.

Selon Sinan Ulgen, un autre écueil pour Madrid vient du fait que d’autres membres de l’Alliance impliqués en Afrique, comme la France, l’Italie ou la Turquie, ont des objectifs différents, rendant difficile une stratégie commune pour l’Otan. «C’est la raison fondamentale pour laquelle il n’y a pas un appel plus fort pour que l’Otan joue un plus grand rôle» sur son flanc sud, dit-il.

Par ailleurs, de nombreux responsables américains estiment que l’Otan devrait se focaliser sur la notion de défense territoriale et non sur les «menaces hybrides», c’est-à-dire non conventionnelles, souligne Angel Saz, directeur du Centre pour l’économie globale et la géopolitique de l’école de commerce espagnole Esade. «La seule menace territoriale est la Russie. Le Sahel peut déstabiliser l’Europe, mais il ne va pas conquérir l’Espagne ou l’Italie», résume-t-il.

Les membres de l’Otan vont porter à plus de 300 000 militaires leurs forces à haut niveau de préparation

Les dirigeants de l’Otan vont décider au sommet de Madrid mercredi de transformer leur Force de réaction et de porter «bien au-dessus» de 300 000 hommes les troupes à haut niveau de préparation pour faire face à la menace russe, a annoncé hier le secrétaire général de l’Alliance. «Je pense que les alliés vont dire clairement à Madrid qu’ils considèrent la Russie comme la menace la plus importante et la plus directe pour notre sécurité», a déclaré le Norvégien Jens Stoltenberg lors de la présentation des enjeux du sommet. «Ce sommet sera un tournant et plusieurs décisions importantes vont être prises», a-t-il affirmé.

«Nous allons renforcer nos groupements tactiques dans la partie orientale de l’Alliance, jusqu’au niveau de la brigade», a-t-il précisé. Huit groupements tactiques ont été créés. Ils sont basés en Lituanie, en Estonie, en Lettonie, en Pologne, en Roumanie, en Hongrie, en Slovaquie et en Bulgarie. Ils seront renforcés par des unités «pré-désignées» dans d’autres pays de l’Alliance appelées à intervenir dans ces pays où des armements lourds auront été prépositionnés, a-t-il expliqué.

L’Alliance va également «transformer sa Force de réaction», forte de 40 000 soldats, et va porter le nombre de ses forces à haut niveau de préparation «bien au-dessus» de 300 000 militaires, a-t-il ajouté. «L’ensemble de ces mesures constitue le plus grand remaniement de notre défense collective et de notre présence depuis la guerre froide. Et pour ce faire, nous devons investir davantage», a-t-il averti.

Les Alliés se sont engagés à consacrer 2% de leur PIB à leurs dépenses de défense en 2024, mais neuf seulement des 30 membres ont atteint cet objectif en 2022 (Grèce, Etats-Unis, Pologne, Lituanie, Estonie, Royaume-Uni, Lettonie, Croatie et Slovaquie).

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