Quésia Ferreira se fraye un chemin parmi détritus et fils électriques. Dans cette favela de Rio de Janeiro, l’infirmière va à la rencontre de sans-abris accrocs au crack perdus au fin fond de la «Cité merveilleuse».
Cette jeune femme de 28 ans fait partie d’une des 13 équipes du programme municipal Consultorio na Rua (Cabinet médical de rue), qui organise des rondes au chevet des SDF, une population en croissance constante ces dernières années dans la deuxième ville la plus peuplée du pays. Médecins, infirmiers, assistants sociaux, psychologues, les équipes s’aventurent dans les endroits qui semblent les plus inaccessibles.
Au cours du premier semestre, elles ont réalisé pas moins de 20.000 consultations. «Ce programme nous permet d’amener la santé publique à une population qui n’arrive pas à se déplacer», explique l’infirmière, chargée d’un grand sac à dos rempli de médicaments.
Elle apporte également dans ses rondes une glacière isotherme pour transporter des vaccins contre le Covid-19 et la grippe. Certains de ses patients ne se souviennent même plus de leur nom ni de leur prénom. Torse nu, une pipe de crack à la main, un homme de 41 ans raconte son destin tragique d’ingénieur trilingue qui a sombré dans la drogue après avoir longtemps parcouru le monde pour travailler dans des plateformes pétrolières off-shore. «Je suis dans la rue depuis cinq ans. Je buvais beaucoup quand je travaillais en mer.
Un jour, après avoir quitté la plateforme, j’ai cherché l’endroit le plus proche où je pouvais me procurer du crack, et je n’en suis jamais revenu», confie-t-il, préférant ne pas révéler son identité. «Quand le crack entre dans ta vie, il n’y a pas moyen d’en sortir», lâche-t-il dans son campement de fortune près de la favela de Jacarezinho. Dans un autre quartier populaire de Rio, les consommateurs de crack sont à l’abri des regards, sous un pont, près d’un égout à ciel ouvert, un ruisseau pollué où sont déversées les eaux usées.
Ce site recouvert d’immondices est surnommé «la grotte» par les professionnels de santé, et «Baghdad» par certains de ses habitants. Une des femmes qui le fréquentent a dû quitter son domicile après avoir été victime de violences conjugales. Elle est devenue toxicomane par la suite. Souriante, des lunettes aux montures dorées sur le nez, elle reçoit avec une chaleureuse accolade chacun des membres de l’équipe du Consultorio na Rua. «Ils sont tout pour nous.
Après Dieu, ce sont eux qui s’occupent de nous», dit cette trentenaire dont le nom n’a pas été cité pour raisons de sécurité. Pour Yasmine Nascimento, médecin de 33 ans, soigner les sans-abris est une vocation. «Pour moi, la médecine est un échange. Avec le ‘‘Consultorio na Rua’’, j’arrive à créer un lien avec les patients», dit-elle. Sur les 6,2 millions d’habitants de Rio, près de 8000 personnes vivaient dans la rue en 2022, selon les chiffres de la mairie, une hausse de 8,5% en deux ans.