Les gardes forestiers espagnols tirent la sonnette d’alarme sur le manque de moyens pour lutter contre les flammes. «Nous allons avoir de plus en plus d’incendies et des incendies de plus en plus importants», mais la plupart des pompiers locaux «ne sont pas des professionnels et n’ont pas une formation adéquate», dénoncent-ils, en écho aux manifestations organisées par les pompiers l’été dernier dans la région.
Déambulant entre les troncs calcinés de la Sierra de la Culebra, théâtre des pires incendies de l’été dernier dans le pays, Pablo Martín Pinto est formel.
Ces gigantesques incendies, attisés par le changement climatique, sont apparus en Espagne «pour y rester». «Nous sommes passés d’une période de grands incendies forestiers à une période de méga-incendies en Espagne», comme il en existe déjà ailleurs, comme aux Etats-Unis ou en Australie, affirme ce professeur, spécialiste des incendies forestiers à l’université de Valladolid (nord de l’Espagne).
Signe inquiétant, un feu, plutôt typique de la saison estivale selon les pompiers, s’est déclaré jeudi dans la région de Valence (est), détruisant jusqu’ici près de 4000 ha.
Un tel incendie «si tôt (dans l’année) est une preuve de plus de l’urgence climatique que vit l’humanité et qui affecte tout particulièrement des pays comme le nôtre», a souligné vendredi le Premier ministre espagnol, Pedro Sanchez.
En 2022, l’Espagne a été le pays le plus touché d’Europe par les feux de forêt, avec plus de 300 000 hectares brûlés, soit près de 40% de la superficie calcinée dans l’UE, selon le Système européen d’information sur les feux de forêt (EFFIS).
Et si 2023 connaît de nouveau «un été avec des températures ne descendant pas en-dessous des 35 degrés durant 20 jours et une absence de précipitations durant quatre mois, la végétation sera prête à brûler» comme l’été dernier, pronostique Martín Pinto.
Les deux incendies ayant frappé en juin et juillet de l’an dernier la Sierra de la Culebra, dans la région de Castille-et-León (nord-ouest), ont réduit en cendres plus de 65 000 ha à eux seuls.
Quatre personnes y ont été tuées par les flammes, dont Ángel Martín, un habitant du village de Tabara, mort trois mois plus tard des suites de ses brûlures. Tentant désespérément d’arracher avec son tracteur la végétation d’une bande de terrain pour créer un pare-feu, il avait été rattrapé par les flammes, des images captées par une vidéo qui restent dans les mémoires en Espagne.
«Terre abandonnée»
En ce mois de mars, les machines tournent à plein régime près de Tabara pour couper les arbres pas totalement calcinés et revendre le bois.
A cause de cet incendie, la petite localité a perdu 80 000 euros de revenus annuels, tirés de la vente du bois, explique son maire Antonio Juarez. Plus de champignons non plus, ni de gibier.
«Aucune personne vivante aujourd’hui ne verra de ses yeux» la forêt renaître», se désole-t-il, en soulignant que cet incendie accentue la décadence de cette zone rurale, victime de dépeuplement. «Nous sommes une terre abandonnée», dit-il.
Selon l’ONU, la vie de plus de 1,6 milliard de personnes dans le monde dépend des forêts, dont la surface sur la planète recule de 10 millions d’hectares chaque année. En Espagne, au contraire, la surface forestière a progressé de 1,5% depuis 2009, selon des statistiques officielles.
Mais parallèlement, l’activité agricole et l’élevage sont en repli. Il y a donc «une diminution de la surface non arborée et cultivée» au profit de la surface arborée, qui n’est pas toujours entretenue, selon le ministère de l’Environnement.
«Entretenir» les forêts
Alors qu’au contraire, «il faut entretenir les forêts pour réduire les broussailles propices au déclenchement des incendies et en profiter pour générer des revenus économiques», insiste José Angel Arranz Sanz, directeur des politiques forestières de Castille-et-León.
«Nous devons apprendre au maximum de ce que nous avons vécu» dans la Sierra de la Culebra, souligne pour sa part le professeur Martín Pinto, et créer des forêts plus résistantes grâce à une alternance de zones arborées, de zones dédiées à l’élevage et de fourrés. «Soit un paysage plus mélangé, car si les masses (forestières) sont continues, la capacité de freiner le feu est très limitée», ajoute-t-il.
Garde forestier et délégué syndical, Jorge de Dios tire la sonnette d’alarme sur le manque de moyens pour lutter contre les flammes.
«Nous allons avoir de plus en plus d’incendies et des incendies de plus en plus importants», mais la plupart des pompiers locaux «ne sont pas des professionnels et n’ont pas une formation adéquate», dénonce-t-il, en écho aux manifestations organisées par les pompiers l’été dernier dans la région.
«Les incendies doivent être tout en haut de l’agenda politique et la prévention doit intervenir bien avant que la chaleur et les feux n’arrivent via une gestion (des forêts) adaptée à cette nouvelle réalité», a jugé samedi Mónica Parrilla, porte-parole de Greenpeace Espagne dans un communiqué.