La peinture de Raja Seghir est un acte de résilience. Dans les regards altiers, mêlant résistance et défi face à l’occupant français, ses femmes en portraits, empruntées à des clichés dépoussiérés, renvoient à sa propre condition de femme émancipée d’une carrière d’architecte jonchée d’obstacles rédhibitoires et nauséabonds.
Pour elle désormais, la vie est ailleurs. Elle est dans les couleurs qu’elle aime mélanger, dans l’odeur apaisante des toiles, la droiture du chevalet et le mouvement complice des pinceaux. Autodidacte, mais perfectionniste, Raja Seghir est venue sur le tard à la peinture.
Son talent et sa passion sont restés à la tangente avant qu’une correction de la trajectoire ne vienne les remettre au bon endroit ; alignement qui a fait surgir son potentiel voilà tout juste trois ans à la faveur du confinement sanitaire.
Et ce n’est qu’en ce printemps 2022 qu’elle a décidé de faire son coming-out ; opération réussie puisque le vernissage organisé au palais Ahmed Bey à Constantine a été marqué par une assistance nombreuse et de qualité qui a clairement exprimé son adhésion devant une vingtaine de tableaux disposés sous le porche du premier jardin beylical. La luxuriance du palais a gagné en esprit et en énergie positive grâce au linéaire pictural et généreux offert aux visiteurs.
Une douce ode à la vie, à la légèreté et au partage. La ville qui panse encore ses blessures et reprend lentement une vie normale post-pandémie a indiscutablement besoin de thérapies réparatrices et d’énergies positives. Elle tend volontiers sa main aux honnêtes, et le projet artistique de Raja Seghir est résolument empreint de cette vertu, exempt de toute forme de condescendance.
Son art est figuratif. À l’exception de quelques tableaux de nature morte où la performance technique est priorisée, son art raconte les choses (diégèse) plutôt qu’il ne les montre (mimesis). Ses portraits de femmes algériennes comme ses paysages dédiés à la vieille ville de Constantine révèlent des histoires et décrivent des univers pour représenter leur résistance, leur sensibilité, leur essence derrière la simple réalité figurative.
Ramsa est sans doute le tableau qui exprime le plus fort cette posture esthétique. Ramsa est le nom d’une jeune fille immortalisée par un photographe lors du passage des anthropologues Germaine Tillion et Thérèse Rivière dans son village du versant sud des Aurès, Amentane.
Le hasard veut que Amentane soit aussi le village qui a vu naître, quelques années auparavant, l’illustre artiste figuratif Cherif Merzougui, dont les œuvres sont exposées au Musée national des beaux-arts d’Alger et au palais d’El Mouradia.
Sur ces traces, et aux antipodes des représentations orientalistes, le portrait signé Raja Seghir fait résonner l’être palpitant, altier et amoureux de cette «chaouia» (elle tombera amoureuse et épousera l’interprète de l’expédition).
L’artiste voue un intérêt particulier à ces femmes résilientes à mille lieues des appartements d’Alger. Une bonne partie de l’exposition leur est dédiée, en prévision peut-être d’un acte II, exclusivement réservé à cette thématique.
Au chapitre des préférences, l’artiste se consacre aussi à peindre sa ville Constantine avec un parti pris flagrant, mêlant admiration, nostalgie et révolte face aux blessures dont souffre la vieille ville. Un regard indigné, mais empli d’espoir, transmis dans la lumière qui règne sur ses peintures. Une lumière recherchée qui vise à sublimer la photographie et éclaire en tout cas un rapport à la vie où le trauma cède la place au salut.