Très contesté tout au long de l’année 2023, à cause de la réforme controversée de la justice initiée par son gouvernement, et menacé lui et son épouse par des poursuites judiciaires pour corruption, le Premier ministre israélien a sauté sur l’occasion, en octobre dernier, pour retourner la situation à son avantage.
La guerre contre Ghaza se poursuit selon les plans et les objectifs d’un seul homme, Benyamin Netanyahu. Personne ni rien ne semble en mesure, depuis plus de huit mois, d’infléchir la détermination du Premier ministre israélien, certes porté par une coalition d’ultranationalistes, à prolonger et étendre indéfiniment les massacres contre les populations et la dévastation de toutes les conditions de vie dans l’enclave palestinienne.
L’homme dont tout le monde s’accorde à relever l’intérêt personnel à voir durer le plus longtemps possible le conflit, a compris que l’impuissance avérée des institutions veillant théoriquement au respect du droit international et du droit humanitaire, lui garantissait l’impunité.
Il a compris également que les relations stratégiques avec la puissance américaine et le rôle dévolu par Washington à Israël, depuis sa création, comme «poste» avancé diplomatique et militaire au Proche et Moyen-Orient lui assurent un appui inconditionnel des Etats-Unis, quels que soient les épisodes de désaccords et de tension.
Sur le flanc européen, la convocation de la responsabilité historique du Vieux Continent dans la shoah continue également à structurer ce statut de privilégié dont bénéficie l’Etat hébreu, indépendamment de la couleur politique de ceux qui gouvernent à Tel-Aviv.
Benyamin Netanyahu, dont le mandat a été très contesté tout au long de l’année 2023, à cause de la réforme controversée de la justice initiée par son gouvernement, et menacé lui et son épouse par des poursuites judiciaires pour corruption, a sauté sur l’occasion en octobre dernier, pour retourner la situation à son avantage, du moins pour changer l’ordre des priorités, dans une société aux certitudes sécuritaires et existentielles ébranlées par les attaques des brigades d’El Qassam.
Très vite la surenchère verbale s’est accompagnée d’une débauche de feu jamais égalée contre un territoire, avec des massacres délibérés et indiscriminés sur les populations ghazaouies. Il y a quelques mois, Josep Borrell, haut représentant européen aux Affaires étrangères, a déclaré que les dégâts subis à Ghaza ne peuvent trouver de seuil de comparaison qu’avec les dégâts qu’ont fait subir les bombardements alliés aux villes allemandes à la fin de la Deuxième Guerre mondiale.
Pousser loin les limites de l’horreur et de la barbarie, mais aussi s’affranchir de toutes les règles éthiques et diplomatiques, semble être le credo à la primature israélienne. En interne également, la dissolution du cabinet de guerre la semaine dernière après les grandes dissensions qui l’ont miné durant de longs mois, consacre la résolution du Premier ministre à aller au bout de sa logique et finalement sa certitude qu’il n’a point besoin de consensus ou de compromis pour mener ses projets.
Washington sous l’emprise de Tel-Aviv
Mais la démonstration la plus probante de la certitude de Benyamin Netanyahu qu’il peut tout se permettre aujourd’hui est sa gestion des relations avec Washington. Depuis au moins décembre dernier, l’homme indispose régulièrement la Maison-Blanche et la personne du président Joe Biden particulièrement, pourtant pro israélien déclaré.
Les derniers écarts en date remontent à quelques jours seulement, lorsque Benyamin Netanyahu s’est plaint des lenteurs, voire de la rétention des livraisons d’armes à partir des Etats-Unis. Des propos reçus avec beaucoup de désappointement à Washington.
«Profondément décevants et certainement offensants pour nous, étant donné l’ampleur du soutien que nous avons fourni et que nous continuerons à fournir. Aucun autre pays ne fait plus pour aider Israël à se défendre contre la menace du Hamas et contre les autres menaces régionales», a ainsi répondu John Kirby, porte-parole du Conseil de sécurité nationale.
Le Premier ministre israélien ne s’arrête pas là. Dimanche dernier, il s’est fendu d’une proposition de «pause dans les combats» en échange de la libération de quelques «otages» aux mains du Hamas, qu’il sait pourtant irréalisable et ne pouvant avoir le consentement d’aucune partie.
Cette sortie a, bien entendu, étonné à Washington dont la diplomatie se dépense depuis trois semaines pour arracher un accord de cessez-le-feu sous le parrainage direct de Joe Biden. L’administration américaine et ses alliés occidentaux se sont donné le mot pour faire pression sur le mouvement Hamas, désigné comme le seul obstacle à la conclusion d’un accord, réservant ainsi le beau rôle au gouvernement israélien.
Or, les récents propos de Benyamin Netanyahu confirment bien que Tel-Aviv ne joue pas franc jeu et se moque royalement des desseins diplomatiques ou tactiques de ses alliés. La diplomatie américaine se déclare déçue, soulignant que la position israélienne est de nature à conforter l’aile dure du mouvement palestinien, d’autant qu’elle prévoit explicitement une prolongation de la durée de la guerre.
Dans une déclaration diffusée avant-hier, le Hamas a naturellement souligné que les propos de Netanyahu «sont une confirmation claire de son rejet de la récente Résolution du Conseil de sécurité et des propositions du président américain Joe Biden», renouvelant son appel à la «nécessité absolue» d’aller vers un accord sur un cessez-le-feu permanent, comprenant «un retrait total de l’armée d’occupation de la bande de Ghaza». Le lendemain de ces déclarations, soit hier, dix membres de la famille d’Ismail Haniyeh, le leader du Hamas, ont été tués dans des frappes contre un camp de réfugiés à Ghaza.
«Netanyahu représente vraiment le plus grand danger pour Israël», soutient un ancien agent du Shin Bet, agence de renseignement intérieur au sein de l’entité sioniste, dans une interview accordée hier à l’AFP.
L’ancien espion converti dans l’opposition au Premier ministre exprime un point de vue largement répandu, selon lequel Netanyahu est prêt à malmener les relations stratégiques avec les Etats-Unis, et poursuivre la guerre contre vents et marées pour préserver sa carrière. Yair Lapid, chef de l’opposition , a redit à peu prés la même chose hier, et la même chose est suggérée par de nombreux dirigeants occidentaux, à commencer par Joe Biden. Personne cependant ne semble suffisamment motivé pour aller au-delà du constat et agir.