Professeur Abdelkrim Chelghoum. Directeur de recherche à l’USTHB : «L’Algérie n’est pas suffisamment préparée pour affronter un méga-séisme»

08/02/2023 mis à jour: 17:17
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Professeur Abdelkrim Chelghoum. Directeur de recherche à l’USTHB

Le sud-est de la Turquie et le nord de la Syrie ont été frappés, lundi, par un séisme dévastateur de forte amplitude. Il n’y a pas encore assez de recul pour l’expert que vous êtes afin d’analyser les causes de l’ampleur des dégâts occasionnés en termes de perte de vies humaines et d’effondrement du bâti. Pouvez-vous, à chaud, nous livrer quelques pistes de réflexion scientifique et technique au vu des images et des informations qui ont circulé dans les médias sur ces drames ?

En effet, cette région a toujours été soumise à une activité sismique intense, à cause de la confrontation des trois plaques tectoniques coulissantes, à savoir la plaque anatolienne, africaine et arabique. La rupture d’un segment au niveau de la faille sud-est anatolienne a engendré ce séisme majeur de 7,8 sur l’échelle de Richter et dont l’hypocentre est localisé à 15 m de profondeur, d’où le caractère dévastateur de ce phénomène. De prime abord, au vu du constat des bâtiments et ouvrages d’art effondrés, on peut conclure que les règles minimales des constructions parasismiques sont inexistantes in situ. C’est exactement la même pathologie observée lors du séisme de Boumerdès du 21 mai 2003.

Notre pays est interpellé, bien évidemment, par cette actualité tragique au regard du risque sismique élevé auquel il est exposé. L’Algérie a été secouée par une série de séismes, dont certains, par leur amplitude, comme ceux de Chlef en 1980 et de Boumerdès en 2003, ont provoqué des traumatismes toujours vivaces dans les esprits. Les images des morts et des destructions causés par les séismes en Turquie et en Syrie ont ravivé les inquiétudes des Algériens. A-t-on tiré les leçons du passé ? Vingt ans après le séisme ravageur de Boumerdès, peut-on dire que l’Algérie est aujourd’hui dans de meilleures dispositions pour parer à un séisme de forte intensité ?

Je dois préciser qu’aujourd’hui, l’Algérie n’est nullement préparée pour affronter un méga-séisme pour les raisons suivantes : d’abord, le corpus des règles parasismiques est resté figé depuis 2003, aucune actualisation n’a été engagée par les pouvoirs publics, et ce, malgré les multiples défaillances techniques identifiées sur les constructions endommagées lors des séismes de Béjaïa, Mila, Médéa, etc. Ajoutés à cela, les plans d’occupation des sol (POS) sont sélectionnés aléatoirement et administrativement sans aucune étude d’impact des risques encourus.

Notre vulnérabilité par rapport à la riposte au risque sismique vient-elle de l’inadéquation du cadre juridique régissant le bâti avec les réalités de la menace sismique dans notre pays ? Du laxisme de l’administration dans l’application de la réglementation en matière de respect des normes de construction parasismique ? Faut-il faire plus dans la répression, comme cela s’est produit dans le cadre de la lutte contre la spéculation sur les biens de consommation de base, criminalisée désormais par la loi ? Une mesure qui a donné des résultats probants...

La vulnérabilité de nos sites réside dans la non-application de la loi 04 20 relative à la gestion des risques majeurs, d’une part, et une réglementation parasismique très superficielle directement plagiée sur les codes américain, européen et japonais, occultant les caractéristiques géologiques, géodynamiques et géotechniques de notre région, d’autre part. Concernant la criminalisation de cet aspect de la construction, il faudrait d’abord affiner et actualiser le code d’urbanisme et les DTR (livres de génie civil) relatifs à tous les corps d’Etat. C’est la carence majeure dans le domaine de la construction, en général.

Vous n’avez pas eu de cesse d’alerter sur la nécessité d’être plus «agressif», plus présent sur le terrain en mettant en œuvre, sans délai, les recommandations sans cesse renouvelées des experts sur la prévention et la gestion des risques majeurs, dont les séismes. Avez-vous le sentiment de ne pas être écoutés ? Où cela bloque ?

Comme vous le savez depuis la promulgation de la loi 04-20 du 25 décembre 2004 et l’élaboration de l’addenda RPA 2003 (règles parasismiques algériennes), tout est resté figé, une loi sans textes d’application est une lettre morte, ce qui a permis d’engager des constructions colossales à travers le territoire national sur des terrains non aedificandi, aux abords des failles sismiques, dans des oueds, mitoyens à des installations pétrochimiques, etc. entre 2003 et 2019. Il faudrait penser aujourd’hui à développer des mesures de protection de ces infrastructures contre les risques concomitants encourus dans ces zones.

Des informations avaient circulé dans la presse nationale il y a quelque temps sur la cartographie zonale du risque sismique en Algérie avec les points chauds, notamment la capitale, qui serait située sur une faille, source de beaucoup d’inquiétude. Confirmez-vous l’existence de cette étude ? Dans l’affirmative, a-t-on ouvert les chantiers de confortement du bâti et des ouvrages d’art ? Le problème d’Alger est complexe, par son tissu de vieux bâti et la densité de la population. La solution la plus rationnelle est-elle dans la délocalisation de la capitale ?

En effet, il faut élaborer un maillage de tout le littoral algérien, d’est à l’ouest, avec une carte de séismicité actualisée, incorporant tous les nouveaux paramètres techniques enregistrés lors des secousses modérées à fortes. Plusieurs études ont été engagées sur des zones limitées, comme premier jet, mais vite abandonnées. Effectivement, le vieux bâti représente la priorité des priorités dans la stratégie de prévention et d’anticipation du risque sismique. Il est urgent de démarrer une opération d’expertise fine et détaillée de ce tissu urbain, ce qui aboutira à des conclusions claires sur sa résilience vis-à-vis d’un séisme majeur, le cas échéant, à savoir, la démolition, la réhabilitation et/ou le confortement en profondeur.  

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