Pr Youcef Khenchoul. Spécialiste en chirurgie générale au CHU de Constantine : «Le facteur qui stoppe réellement les greffes d’organes est culturel»

12/07/2022 mis à jour: 05:06
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Photo : D. R.

- En dépit des moyens déployés et l’important arsenal juridique, l’Algérie reste en retard en matière de greffe d’organes. Où réside exactement le blocage ?

En fait c’est multifactoriel. Il y a plusieurs causes, dont la première est un défaut de gestion de la transplantation, qui a toujours été l’affaire de quelqu’un. La première greffe rénale en Algérie avait eu lieu en 1986, commençant à s’arrêter progressivement. Puis il y avait la reprise de l’activité à Constantine avec l’arrivée du Pr Bendjabellah, formé pendant 4 ans à Strasbourg, réalisant le premier prélèvement d’un donneur cadavérique en 2002.

C’était énorme. On faisait la transplantation d’un donneur vivant et d’un donneur cadavérique. Malheureusement, après les changements des ministres de la Santé, il n’y avait pas de continuité. La transplantation n’était jamais un projet d’Etat, mais une affaire d’une personne ou deux. Jusqu’à présent, l’Etat n’a pas compris que ce n’est pas difficile à réaliser, car on l’avait déjà fait. Je ne vais pas dire qu’il n’y a pas une volonté.

On a créé l’ANG (Agence nationale des greffes) en plaçant à sa tête une personne compétente, en relançant la greffe rénale un peu partout en Algérie. Mais, cette agence a besoin de plus de soutien politique et financier pour réorganiser ce domaine.

La deuxième cause du blocage est liée aux infrastructures qui n’étaient pas à la hauteur et non adaptées à des normes précises. La transplantation est une intervention qui doit être bien réfléchie, préparée surtout pour un donneur vivant, où le risque existe toujours. Par contre, il ne faut pas aussi exagérer. Par exemple et avec la bonne volonté, l’équipe de Batna est la plus active et la plus efficace avec les chiffres enregistrés.

D’ailleurs, ils ont reçu récemment des propositions de jumelage avec la Mauritanie, qui veut suivre le modèle algérien dans la greffe rénale. Cependant, il ne faut pas fonctionner avec l’esprit de l’arbre qui cache la forêt. Il faut que ça se généralise à l’échelle nationale. Ce qui est aussi le but de l’Agence nationale des greffes.

- En plus des convictions religieuses, est-ce que les failles de certains textes juridiques n’entravent pas l’avancement des greffes ?

Au début, on croyait qu’il y avait des facteurs qui bloquaient la transplantation, notamment la législation et la religion. Mais de façon très claire, on a montré que le législateur était très souple et a beaucoup aidé. Je ne suis pas expert, mais sur terrain, la législation mise en place était à la hauteur dans ce sens. C’est pareil pour le côté religieux, qui a autorisé la greffe en 1986 avec la fatwa de cheikh Ahmed Hamani. Le facteur qui stoppe réellement est culturel, où les gens sont plus réticents.

Le corps humain est sacré. Cette conviction n’est pas unique à la société algérienne, mais au Japon aussi et en Corée du Sud. Mais eux, ils ont évolué côté du donneur vivant et par la suite du donneur cadavérique à travers la sensibilisation. C’est ce qu’on doit faire par tous les moyens, dont les médias et les mosquées. Il faut encourager les donneurs en état de mort encéphalique.

Car, on peut prélever le foie, les deux reins, les deux poumons, le cœur, les vaisseaux, les cornées et les os. Le cadavre peut donner beaucoup d’avantages, à condition de respecter la législation et les étapes de l’intervention. Le deuxième facteur est la qualité des services au sein des hôpitaux. Il faut améliorer les services d’accueil, car la majorité concernée par un don cadavérique sont les victimes des accidents de la route, ayant un traumatisme crânien grave atteignant la mort encéphalique, mais avec un cœur battant.

Avec des conditions d’accueil catastrophiques, en l’absence d’un scanner, d’échographie, d’une bonne prise en charge, en tant que parent, je serais en colère. L’équipe médicale n’osera pas demander, tellement la prise en charge était catastrophique. Le troisième volet qu’il faut soulever est celui de la formation des équipes médicales et paramédicales, dans des structures spécialisées dans les transplantations.

Il faut profiter de l’expérience des anciens, puis établir dans le futur une liste de garde des médecins greffeurs. Il faut que la tutelle s’engage. Pour notre part, on a inclus un nouveau module à Constantine pour les étudiants en 4e année de médecine sur la vulnérabilité de la transplantation d’organes qui est un traitement et qui se faisait en Algérie et se fait toujours. 

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