Pr Noureddine Yassaa. Commissaire aux Energies renouvelables et à l’efficacité énergétique, membre du bureau du GIEC. : «Les tensions géopolitiques vont influer sur les négociations climatiques»

07/11/2022 mis à jour: 02:15
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Pr Noureddine Yassaa. Commissaire aux Energies renouvelables et à l’efficacité énergétique, membre du bureau du GIEC.

Qu’est-ce qui explique ce nouvel «échec» ? 

En effet, l’agrégation de l’ensemble des engagements pris dans les Contributions déterminées au niveau national (CDN), même ceux déjà révisés (près de 26 pays ont déjà révisé à la hausse leurs niveaux d’ambition) et en comptabilisant les engagements conditionnés à des aides et soutiens financiers, ne permet pas d’atteindre l’objectif de maintenir le réchauffement entre 1,5 °C et 2 °C avant la fin du siècle. Cet échec se traduit par le manque de volonté réelle des pays développés qui sont historiquement responsables de la crise climatique à assumer leur responsabilité et à honorer leurs engagements. Il faut dire aussi que depuis 2020, le monde a traversé des bouleversements profonds marqués d’abord par la crise sanitaire Covid-19 et ensuite le conflit russo-ukrainien et ses répercussions sur les sécurités énergétique et alimentaire. Face à l’inflation des prix des hydrocarbures, on constate que les pays les plus influents sur le plan climatique font machine arrière par rapport à la production de charbon afin de renforcer leur sécurité énergétique. Les incertitudes économiques mondiales ont beaucoup affecté l’agenda climatique et beaucoup d’économies sont en récession. Les montants colossaux, qui sont en train d’être dépensés dans le conflit armé, auraient dû être affectés à la question climatique pour aider les pays en développement à lutter contre le changement climatique, si des solutions pacifiques avaient été trouvées. Les catastrophes climatiques vécues ces derniers temps dans plusieurs pays telles les inondations au Pakistan, au Nigeria, la sécheresse dans la Corne de l’Afrique, les feux de forêt en Algérie sont des exemples édifiants de ce que peut engendrer l’inaction climatique. 

Selon le Secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres, «nous nous dirigeons vers une catastrophe mondiale». D’autres spécialistes assurent que même si tous les pays tiennent leurs engagements, la limite des 1,5°C ne sera jamais atteinte, selon vous, est-il désormais trop tard pour «sauver» la planète ? 

La science a montré, à travers les derniers rapports du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat sous l’égide de l’ONU dans lequel je suis membre), qu’à moins que des mesures urgentes soient prises, on risque d’atteindre le point de non-retour et de dépasser les limites d’adaptation pour faire face aux futurs risques des changements climatiques, notamment les événements climatiques extrêmes, tels que la sécheresse, les vagues de chaleur, les inondations. Mon avis personnel, pas celui du membre du Giec, et pour rester réaliste, la fenêtre d’opportunité demeure ouverte pour limiter la hausse de température à 2°C en 2100 et non à 1,5°C. Si on continue avec la trajectoire actuelle du réchauffement, l’objectif 1,5°C sera hors de portée

Après la Cop26, qualifiée de sommet de la dernière chance, la Cop27 se présente comme celle de la vérité sur les réelles intentions des pays pollueurs, notamment quant à leurs engagements.

Quel est votre avis à ce propos ?  

Après sept ans de l’adoption de l’Accord de Paris, on dit aussi que la COP27 est la session de mise en œuvre. Au fur et à mesure qu’on passe d’une COP à une autre, on se rapproche de la limite du réchauffement fixée par l’Accord de Paris, maintenant et pas à 2100. Le monde vit dans un dilemme très complexe : assurer la sécurité énergétique, la sécurité alimentaire, au même temps freiner le réchauffement planétaire. Les défis actuels et ceux de la COP27 sont comment aligner ces objectifs avec l’action climatique. Il n’est pas à écarter que les tensions géopolitiques de l’heure vont influer sur les négociations climatiques. Par ailleurs, les récents progrès technologiques, notamment dans les énergies propres, l’hydrogène vert et la mobilité propre et durable donnent de l’espoir quant à l’atteinte des objectifs climatiques à long terme. A ce titre, des changements radicaux doivent être opérés dans les mécanismes de transfert de technologie et dans l’accès aux dernières innovations. Certaines agences internationales prédisent que cette situation de conflit encourage l’accélération des transformations profondes dans plusieurs secteurs : énergie, transport, habitat, agriculture… Certaines puissances annoncent des investissements colossaux dans les énergies propres. On s’attend à d’importantes annonces lors de ce sommet.

La Cop 26 s’était conclue sans réelle avancée concrète. Etes-vous optimiste quant à un éventuel accord lors de cette nouvelle conférence ? 

Cette COP se tient en Egypte au nom de l’Afrique ; les pays africains vont peser au maximum pour faire avancer les négociations dans le volet adaptation aux risques climatiques et surtout la mobilisation des financements dans le cadre des engagements pris en 2009 et réitérés dans l’Accord de Paris en 2015. Les pays les plus vulnérables aux changements climatiques continueront à revendiquer leurs droits à l’indemnisation des dégâts climatiques. Ce sujet très délicat s’inscrit dans le registre pertes et préjudices. Il est difficile d’anticiper sur les livrables de ce Sommet, mais l’Egypte en tant que présidente de la COP va œuvrer pour arracher des avancées sur le dossier de l’adaptation et de la transition juste et équitable et inscrire des éléments positifs pour le continent africain dans la Déclaration de Sharm el Cheikh qui sanctionnera les travaux de ce Sommet. 

Selon vous, est-il encore utile d’organiser des sommets sur le climat alors que tous les engagements pris ne sont pas honorés ? 

Justement, la COP28 qui se tiendra en novembre 2023 à Dubaï aux Emirats arabes unis fera le bilan global «stock take». C’est une sorte d’évaluation globale de ce qui a été fait depuis l’adoption de l’Accord de Paris en 2015. Il faut dire que les sommets sur le climat sont des rendez-vous incontournables pour faire entendre les voix des pays, de la communauté scientifique, de la société civile, du monde des affaires. Ils représentent également des bonnes opportunités de coopération et de partenariat.   

Vous estimez que l’Algérie est doublement concernée par les décisions des négociations climatiques, pourquoi ? 

Effectivement, l’Algérie est doublement concernée par les décisions des négociations climatiques. D’une part, en raison de sa forte vulnérabilité aux risques climatiques : sécheresse, aridité, canicule, vague de chaleur, feux de forêt. Et toute inaction climatique se traduisant par des hausses supplémentaires de la température sur la surface de la terre risquerait d’exacerber notre vulnérabilité climatique et porter profondément préjudice à la sécurité humaine, hydrique et alimentaire, les infrastructures de base, les écosystèmes naturel et forestier. D’autre part, toute décision visant à taxer les hydrocarbures, pétrole et gaz, et réduire ses utilisations pourrait porter atteinte à l’économie nationale. C’est pour cette raison que l’Algérie défend le principe de la transition juste et équitable qui ne laisse personne pour compte.

L’ambassadrice britannique de la 26e Conférence du climat (COP26) pour l’Afrique et le Moyen-Orient, Janet Rogan, a salué les efforts consentis par l’Algérie dans le domaine environnemental pour faire face aux changements climatiques. Pensez-vous qu’on puisse encore aller plus loin dans nos efforts ? 

Les effets dévastateurs des changements climatiques sont perçus par tous les Algériens et à tous les niveaux. Les projections futures des impacts des changements climatiques, notamment dans notre région, sont très alarmantes. Le plan d’action du gouvernement pour la mise en œuvre du programme du président de la République prévoit un certain nombre de stratégies visant à lutter contre le changement climatique. A ce titre, un plan national et des plans locaux d’adaptation aux risques des changements climatiques et le renforcement de la résilience face à leurs effets sont en cours d’élaboration. Le barrage vert a été relancé et des usines de dessalement de l’eau de mer vont être multipliées pour faire face au stress hydrique. L’Algérie continuera à apporter sa contribution à l’effort global de réduction des émissions des gaz à effet de serre, notamment à travers une transition énergétique dont les piliers sont l’efficacité énergétique et le développement massif des énergies renouvelables, le développement de l’hydrogène propre et bas carbone, la mobilité propre et durable.


 

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