Pôle mondial des arts et de la finance, New York lève le voile sur son trafic international d’antiquités, des centaines d’oeuvres pillées ces dernières décennies en Asie, en Europe et au Moyen-Orient et que la justice saisit chez des collectionneurs et dans des musées prestigieux, comme le Metropolitan Museum of Art.
«L’ampleur des saisies et des restitutions d’antiquités impliquant musées, galeries d’art, maisons d’enchères, collections privées à New York et originaires de plus de 12 pays ne fait pas l’ombre d’un doute: New York est l’une des plaques tournantes (du trafic) illicite d’antiquités sur la planète», accuse Christos Tsirogiannis, archéologue et historien de l’art à l’université d’Aarhus au Danemark.
Ce chercheur et son confrère David Gill, professeur à la Kent Law School britannique, ont partagé avec l’AFP une infime partie de leurs enquêtes sur les réseaux internationaux de trafic d’œuvres d’art anciennes. Leurs travaux en font des experts auprès de la justice de New York. Car dans la capitale culturelle et économique des Etats-Unis, royaume de musées grandioses comme le Metropolitan Museum of Art (Met) et des richissimes sociétés d’enchères Christie’s et Sotheby’s, le parquet de Manhattan mène tambour battant depuis 2017 une campagne de restitutions d’oeuvres d’art: des pièces de l’Antiquité grecque, romaine, byzantine ou de Mésopotamie, Chine, Inde et Asie du sud-est pillées dans une vingtaine de pays entre les années 1970 et 1990.
Et le rythme s’accélère depuis deux ans. Sous l’égide du procureur Alvin Bragg, en poste depuis 2022, plus de 950 pièces d’une valeur de 165 millions de dollars ont été rendues à 19 pays, dont le Cambodge, la Chine, l’Inde, le Pakistan, l’Egypte, l’Irak, la Grèce, la Turquie ou l’Italie. Lors d’une cérémonie le 9 mai au consulat général de Chine à New York, M. Bragg a restitué à Pékin deux sculptures funéraires en pierre du VIIe siècle évaluées à 3,5 millions de dollars.
Ces oeuvres avaient été «sciées» sur des tombes dans les années 1990, exportées et vendues illégalement, puis «prêtées au Met, de 1998 à 2023, par Shelby White, une collectionneuse de Manhattan», a révélé le parquet new-yorkais, fort d’une unité spéciale de policiers et de magistrats. Shelby White, 85 ans, est une milliardaire philanthrope, administratrice et donatrice du Met, chez qui nombre d’oeuvres d’art volées ont été saisies en juin 2021 et avril 2022. Tout en la «remerciant pour sa coopération», le magistrat Bragg a annoncé début mai avoir «bouclé cette année une enquête pénale sur des antiquités acquises par Mme White, conclue par la saisie de 89 oeuvres de dix pays d’une valeur totale de 69 millions de dollars».
«Rien à déclarer»
L’AFP n’est pas parvenue à entrer en contact avec cette discrète femme d’affaires qui s’était contentée de dire fin 2022 au journal Art Newspaper n’avoir «vraiment rien à déclarer». Mais pour MM. Tsirogiannis et Gill, ses acquisitions, avec son mari Leon Levy (mort en 2003), furent «mal avisées», surtout celles amassées après la Convention de l’Unesco de 1970 contre le trafic illicite de biens culturels.
De fait, pointe M. Tsirogiannis, «jusqu’en 2008, Mme White avait rendu dix oeuvres à l’Italie et deux à la Grèce; elle aurait donc dû avoir de sérieux doutes sur l’origine et le statut du reste (de sa collection) et les vérifier des années avant les dernières saisies» de 2021 et 2022. M. Gill cite aussi l’unique déclaration publique connue de Shelby White, en 2007, selon laquelle quand «on achète un objet aux enchères chez Sotheby’s, Christie’s ou à un marchand d’art sur Madison Avenue, on ne pense pas faire quelque chose de mal. Acheter des antiquités est légal».
Pillage en Irak
Dernière restitution en date, le 19 mai, la justice new-yorkaise a rendu à l’Irak un éléphant en calcaire de la période mésopotamienne et un buffle en albâtre de la civilisation sumérienne «volés durant la (première) Guerre du Golfe et passés en contrebande à New York à la fin des années 1990». Le buffle a été «saisi dans la collection privée de Shelby White», a dénoncé M. Bragg, s’engageant à ce que «New York ne devienne pas un sanctuaire pour les objets culturels anciens volés».
D’autres marchands d’art ont été confondus par la justice. Le collectionneur Michael Steinhardt, qui avait une galerie à son nom au Met, a dû restituer 180 antiquités d’une valeur de 70 millions de dollars, aux termes d’un accord judiciaire à l’amiable en 2021. Le marchand d’art de Manhattan, l’Indien et Américain Subhash Kapoor, a été condamné en novembre à dix ans de prison en Inde, aboutissement d’une décennie d’enquête internationale.
En septembre, M. Bragg a aussi rendu à l’Egypte 16 pièces, dont cinq saisies au Met, volet d’une double enquête à New York et à Paris où l’ancien président du Louvre Jean-Luc Martinez est inculpé. Sans se prononcer sur le cas Martinez - soupçonné d’avoir ignoré des avertissements sur de possibles faux certificats d’origine de ces oeuvres, ce qu’il conteste - la présidente du Louvre Laurence des Cars a répondu à l’AFP, lors d’une visite mi-mai à New York, que «les grands musées devaient connaître les histoires de leurs collections» et que «l’histoire des collections du Met n’était pas celle du Louvre».
Sous pression, le directeur du Met, Max Hollein, vient d’annoncer la création d’une commission de chercheurs pour «examiner» la «provenance» de certaines pièces de l’extraordinaire collection de son musée (1,5 million d’œuvres) afin, en cas de vol et pillage, de les «restituer» aux pays d’origine.