Point de vue - France-Algérie : retombées du Rassemblement national au pouvoir

03/07/2024 mis à jour: 06:19
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Par Mohammed El-Korso
Historien

La Déclaration d’Alger signée le 27 août 2022 par les présidents algérien, Abdelmadjid Tebboune, et français, Emmanuel Macron, avait pour ambition de s’attaquer à la racine de ce mal qui plombe les relations entre les deux pays : le contentieux historique des 132 années de colonisation ponctuées par des actes que les études historiques et juridiques ont classés dans la rubrique «crimes de guerre et crimes contre l’humanité».

Non pas que cette préoccupation majeure, «devoir de mémoire» pour les uns, «question mémorielle» pour les autres, ne figurait pas dans les agendas des précédents présidents algériens, mais c’est son approche qui a connu pour ainsi dire une révolution du fait même de la dépolitisation de son traitement en amont.

Ce qui a paru au début, à certains membres de la Commission algérienne Histoire et Mémoire, comme une fuite en avant ou même encore une patate chaude refilée par les politiques à ceux qui composèrent la Commission algérienne Histoire et Mémoire, s’est avérée au fil du temps la manière la plus efficiente mais surtout la plus apaisée pour aborder de manière scientifique et responsable une question des plus clivantes héritée de l’ère coloniale.

Déminer le passé

De par son statut, la Commission mixte algéro-française Histoire et Mémoire se veut être une force de propositions, un facilitateur et un incitateur de dialogue au plus haut niveau des deux Etats. Les travaux de cette commission se sont déroulés – jusqu’à présent – dans un climat de mutuelle compréhension avec la volonté partagée de trouver des solutions, de dépasser les entraves juridico-politiques.

Pour faire simple, de déminer le passé. La déclaration commune signée à l’issue de la cinquième rencontre, tenue à Alger les 20-24 mai, montre le chemin. Des indicateurs laissent supposer que la formule finale qui la caractérise a eu l’aval de l’Elysée : «… que les biens qui peuvent retrouver leur terre d'origine puissent l'être le plus rapidement possible.»

Elle résume, si besoin était, les avancées en matière mémorielle depuis l’installation des deux commissions fin 2022. Malheureusement, c’était sans compter avec le «chaos politique» (Le Monde diplomatique n° 844, juillet 2024, p. 1) d’une France plus que jamais déchirée. D’une France au bord «d’une déflagration politique… La possibilité de (l’) accession (de l’extrême droite) au pouvoir est synonyme d’une guerre civile assurée», avertit Macron. (https://fr.hespress.com/374931-la-france-entre-guerre-civile-et-faillite-economique.html)

Quel avenir pour les relations France-Algérie ?

La réaction-déclaration d 30 mai du président Les Républicains, Eric Ciotti : «… il faut tout reprendre, les biens et le mal : criminels, délinquants, clandestins, OQTF.» (https://www.ouest-france.fr/monde/algerie/message-de-service-a-lalgerie-vive-polemique-apres-un-tweet-du-parti-les-republicains-b72dab18-1f24-11ef-b868-127b2923bc1b) en réponse à la liste présentée par la commission algérienne à la partie française en vue de la restitution des biens spoliés durant l’occupation, le succès historique remporté par le Rassemblement national aux élections européennes du 9 juin, suivi le soir même du tsunami provoqué par la dissolution de l’Assemblée nationale française par le président Macron, les résultats du premier tour qui placent le tandem Jordan Bardella-Eric Ciotti en tête des élections législatives, tout cela ne présage rien de bon pour la suite de la Commission mixte mais plus encore pour les relations entre une France nationaliste et revancharde et l’Algérie, cet Eden perdu.

Il faudra s’attendre à un bouleversement jamais envisagé des relations entre les deux pays au cas où le succès du 30 juin se confirme le 7 juillet, à commencer par la visite d’Etat du président Tebboune en France. Outre le fait que le futur gouvernement Jordan Bardella, s’il venait à siéger à Matignon, opposera son veto, il fera tout pour que cette visite n’ait pas lieu, et s’il consent qu’elle ait lieu, ce sera pour faire converger ses troupes sur le parcours officiel et autant dire qu’il régnera à Paris un climat insurrectionnel.

De son côté, et sans préjuger de l’avenir, il est impensable dans l’état actuel des choses de voir le président Tebboune (même en cas d’une visite d’Etat transformée d’amitié entre l’Algérie et la France) accueilli, aux côtés du président Macron, par un chef d’Exécutif issu de l’extrême droite ayant rejoint dès l’âge de 16 ans le Front national du tristement célèbre Jean-Marie Le Pen.

Faut-il rappeler, comme le fait Le Monde diplomatique, cité plus haut, que ce parti devenu Rassemblement national a été fondé, en 1972, par un «groupuscule des partisans de Vichy et de l’Algérie française». C’est alors que le présent se conjuguera au passé.

Dans un article relatant les reports de la visite d’Etat du président Tebboune en France, intitulé «Pourquoi est-il si difficile de faire venir un président algérien à Paris», Timothée Vilars du Nouvel Observateur soulignait dans la livraison du 8 mai 2023 que seulement «trois visites en soixante(-deux) ans d’indépendance : une telle rareté peut surprendre, alors que dans le sens inverse, tous les présidents français de la Ve  République se sont rendus à Alger – souvent dès les premiers mois de leur mandat, et la plupart à plusieurs reprises». Et de poursuivre : «C’est justement à cause de leur rareté que les visites à Paris de présidents algériens ont pris les dimensions de moments historiques dramatisés.»

Les visites d’Etat ne valent que par leurs résultats. Les deux seules visites d’Etat des présidents Chadli Bendjedid (7-10 novembre 1983) et Bouteflika (14-19 juin 2000) sont passées à la trappe. Si la France a engrangé un gros pactole() à l’issue de la visite du président Chadli, elle n’a en retour rien reçu de substantiel lors de la visite d’Etat du président Bouteflika. Avec son légendaire franc-parler, le président Bouteflika avait déclaré sur France 2 :«J’ai été bien reçu… Je repars les mains vides…

La page noire» qu’il espérait tourner lors de cette visite d’Etat pour «surmonter les traumatismes causés au peuple algérien par l’Etat colonial français» (https://www.lesechos.fr/2000/06/abdelaziz-bouteflika-estime-repartir-de-paris-les-mains-vides-746369) sera plus que jamais le point de fracture entre un pays qui ambitionne à plus d’émancipation et une France qui aura renoué avec le néofascisme porté par l’OAS en Algérie entre 1961 et 1962.

  • (1)- Une «commande de 5 800 camions Renault et de 2 Airbus est décidée par le président Chadli Bendjedid. La France est redevenue le premier client et le premier fournisseur de l'Algérie : le montant des échanges est passé de 25 milliards de francs en 1981 à 45 milliards en 1983». https://www.universalis.fr/evenement/7-10-novembre-1983-premiere-visite-a-paris-du-president-chadli-bendjedid
     
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