Des médicaments essentiels mais abandonnés car peu rentables, et des pénuries qui s’aggravent: les fabricants de génériques s’inquiètent d’un modèle économique qui s’essouffle et leur semble peu compatible avec la souveraineté sanitaire.
Pour lutter contre les problèmes d’approvisionnement, le français Biogaran (le laboratoire génériques du groupe Servier) a décidé d’augmenter ses stocks de sécurité minimale de médicaments, passant de 3 mois à 3,5, voire 4 mois sur l’ensemble de ses 900 références. C’est plus que ce qu’exigent les autorités sanitaires françaises, qui fixent à deux mois les stocks pour les médicaments d’intérêt thérapeutique majeur (MITM) - voire quatre mois dans de rares cas. «Nous avons pris cette décision car il est de plus en plus difficile de prévoir la demande, et nous anticipons une année 2023 complexe, à mesure que les fabricants ont des difficultés à recevoir des intrants» (composants: ndlr), explique à l’AFP Jérôme Wirotius, le directeur général de Biogaran. Mais les stocks ne représentent qu’une partie du problème. Les industriels pointent en effet du doigt le prix peu élevé des molécules dites matures, dont le brevet est tombé dans le domaine public, et qui ont souvent été délaissées par les grands laboratoires au profit de médicaments beaucoup plus onéreux. Si le phénomène est mondial, les tarifs fixés par les autorités sanitaires en France sont, disent-ils, particulièrement faibles. Ainsi, une boîte d’antibiotique est vendue quelques euros: bien loin des traitements payés par l’Assurance maladie de dizaines de milliers d’euros, ou pouvant dépasser le million d’euros dans le cas de thérapies géniques. «Un flacon d’amoxicilline pédiatrique est vendu 76 centimes d’euros: avec l’inflation, pour chaque flacon vendu, nous perdons de l’argent», précise Jérôme Wirotius. Selon une étude récente de l’association française des fabricants de génériques, le Gemme, la France serait même le pays le moins profitable pour le secteur pharmaceutique des principaux marchés européens (derrière la Grande-Bretagne, l’Espagne ou l’Allemagne notamment).
Exporter
Face à cela, «l’Etat gère les pénuries», s’irrite Alexandre Williams, le PDG du laboratoire de façonnage pharmaceutique Inpharmasci. «Mais en amont, il y a ce problème de prix», juge-t-il. «S’ils veulent survivre, les fabricants français doivent exporter». L’entrepreneur cite notamment le cas d’un médicament qu’il produit comme sous-traitant. Celui-ci, vendu environ 5 euros en France, se monnaie 50 fois plus cher aux Etats-Unis. «Certains laboratoires internationaux vont prendre la décision de privilégier d’autres pays face aux prix faibles en France», abonde Jérôme Wirotius, de Biogaran, qui vend la quasi intégralité de ses médicaments sur le marché français. En Allemagne, où le problème de pénuries se pose aussi, le gouvernement a récemment décidé de remonter le prix de certaines molécules. Au total, 180 médicaments seront concernés durant trois mois. Une solution temporaire à laquelle est favorable le dirigeant de Biogaran, qui a alerté l’Etat et envoyé une liste de 160 molécules essentielles fabriquées en France et «pour lesquelles nous sommes passés en marge négative», alors que l’inflation alimente les coûts de production. Les industriels français réclament aussi de ne plus être soumis à «la clause de sauvegarde», un mécanisme de taxe qui concerne aussi bien les médicaments innovants très chers que ceux vendus quelques centimes d’euros. Et qui pourrait, jugent-ils, nuire fortement à la souveraineté sanitaire. Si cette clause de sauvegarde a été maintenue dans le dernier Budget de la sécurité sociale, le gouvernement a toutefois investi - depuis la pandémie - dans la relocalisation de médicaments, avec des soutiens à de nombreuses entreprises pharmaceutiques, notamment pour rapatrier le principe actif du paracétamol. «On doit être dans une logique d’anticipation plutôt que de réaction», estime David Simonnet, PDG du groupe de principes actifs Axyntis, qui a bénéficié d’un financement de l’Etat pour rapatrier les principes actifs de la noradrénaline et l’adrénaline. «Mais une fois qu’il a été décidé de re-fabriquer une molécule, cela prend deux à trois ans», rappelle-t-il, soulignant lui aussi l’importance d’un soutien des pouvoirs publics.