Un inédit de Georges Perec, Lieux, paraît vendredi, augmenté de toutes les choses que permet internet, 40 ans après la mort de ce romancier à l’imagination infinie. Imposant volume que cette œuvre de l’auteur de La Disparition, aux éditions du Seuil : 612 pages, une centaine d’illustrations couleur, 1,3 kg.
Lieux est pourtant inachevé. Le projet, ambitieux, consistait à décrire 24 endroits de sa ville natale, Paris, deux par mois, pendant 12 ans. Soit 288 textes à la fin. La moitié est rédigée à partir de constatations sur place («réel»), l’autre moitié écrite de mémoire, en s’appuyant sur des événements du passé («souvenir»). «Je pense qu’on y verra tout à la fois le vieillissement des lieux, le vieillissement de mon écriture, le vieillissement de mes souvenirs», expliquait Perec dans une lettre à son éditeur, Maurice Nadeau. L’écrivain se lance en janvier 1969, comptant avoir terminé en décembre 1980. Il s’y tient jusqu’en septembre 1975, ce qui donne 133 textes, jamais publiés. Pour lire Lieux, pas besoin de débourser 29 euros en librairie : le Seuil le rend accessible en ligne gratuitement et en intégralité.
En cliquant par exemple sur le texte 82, Jussieu, réel 4, on découvre que Perec est venu le 30 mai 1972 dans un café près de la faculté des sciences. Il décrit des «inscriptions à la bombe que l’on a rendues illisibles non pas en les grattant ou en les noircissant mais en détruisant l’intelligibilité de chaque signe». Ce sont, pense-t-il, des slogans peints sur les murs après la mort du militant maoïste Pierre Overney, trois mois auparavant. Par l’index : à K comme Bières Kronenbourg, le lecteur est renvoyé vers le texte 25, place d’Italie en janvier 1970. Perec retranscrit une publicité : «J’aime ma femme - Elle achète la - Kronenbourg - par 6».
Par des plans des quartiers décrits : en allant à Junot, le nom d’une avenue sur les coteaux de la butte Montmartre, le lecteur choisit par exemple le texte 107. L’auteur nous fait pénétrer «l’appartement des Chavranski», habité par un homme qui lisait des romans «peu après leur parution (services de presse fourgués à des libraires d’occasion)» et sa femme qui «faisait des bonnes pâtisseries». Un clic de plus et on apprend que Perec écrit tapisseries, «probablement par erreur».
Retranscrire et ordonner l’ensemble de ces fragments, parfois fragiles, a pris quatre ans. Georges Perec «écrivait sur des supports très variés : parfois très bien, d’autres fois, c’était difficile à déchiffrer, avec des abréviations», explique à l’AFP la coordinatrice du projet, la petite-cousine et ayant droit de l’écrivain, Sylvia Richardson.
Le choix de la gratuité est risqué commercialement, admet-elle. «L’idée est d’ouvrir Georges à beaucoup plus de lecteurs qu’avec un site payant. Le Seuil a été convaincu. Je leur suis reconnaissante de faire ce pari», ajoute cette mathématicienne.»