Le pétrolier italien Ibela était le premier navire à concrétiser, hier 17 juillet au port de Briga, la levée du blocus des ports pétroliers en Libye, annoncée depuis jeudi par le nouveau PDG de la Compagnie nationale libyenne de pétrole (CNLP), Farhat Ben Gdara, juste après sa nomination par le gouvernement de Abdelhamid Dbeyba.
La nomination de Ben Gdara, originaire de l’Est libyen, ne serait pas étrangère à la reprise de l’activité pétrolière. Les Emirats seraient vraisemblablement derrière cet accord entre les camps de Khalifa Haftar et Abdelhamid Dbeyba, comme l’a annoncé Mustapha Sanaallah, le PDG démis. L’Europe et les Etats-Unis sont les principaux bénéficiaires en pleine crise d’énergie. Ils ont donc fermé les yeux.
Le manque quotidien, depuis mi-avril, de 700 000 barils de pétrole libyen en pleine crise ukrainienne ne sert pas les intérêts de l’Europe et des Etats-Unis. «Il fallait impérativement trouver une solution, quitte à sacrifier le serviteur Mustapha Sanaallah, contesté par le camp de Khalifa Haftar», explique le politologue Ezzeddine Aguil, qui rappelle qu’une «gestion transparente et la répartition équitable des revenus pétroliers entre les régions libyennes étaient les conditions sine qua none du cessez-le-feu d’octobre 2020». Et comme les 18 mois suivant le cessez-le-feu rien n’a abouti en termes d’équité présumée, les tribus de l’Est et du Sud ont donc suivi le mot d’ordre de Haftar d’avril dernier de bloquer la production et l’exportation du pétrole. «C’était une occasion rêvée pour Haftar afin de faire pression sur les pays occidentaux dans le dossier libyen», ajoute le politologue.
Les Occidentaux ont misé beaucoup sur la récente rencontre de Genève, fin juin, entre les belligérants libyens, afin de trouver une solution politique entraînant le déblocage du dossier du pétrole. Peine perdue, le camp de l’Ouest n’a pas voulu accepter les conditions politiques de l’Est, détenteur des clés du dossier du pétrole. Il fallait donc détourner le dossier politique et trouver une solution alternative menant à la reprise de l’activité pétrolière, quitte à se débarrasser de Mustapha Sanaallah, l’homme des Britanniques à la tête de la CNLP, qui est en même temps la bête noire du clan de Haftar. Un arrangement a été trouvé autour de Farhat Ben Gdara, qui a vite annoncé que «la gestion des revenus du pétrole se fera dans la transparence», en niant être le fruit d’un deal politique.
Nouveaux joueurs
La personnalité de Youssef El Menfi, président nommé au dialogue politique libyen de Genève en février 2021, a surgi ces derniers mois suite à la montée des tensions entre les belligérants libyens.
Menfi n’a eu de cesse de vouloir réunir les belligérants libyens et de tenter de trouver un terrain d’entente entre eux. Il n’a cessé de dire qu’il revient au Conseil présidentiel de trouver des solutions à la crise politique et il a œuvré dans ce sens. Et si l’on se rappelle que, juste suite à sa nomination à Genève, il a fait un détour par Benghazi pour rencontrer Haftar, avant de venir à Tripoli, et qu’il est originaire de l’Est libyen, tout comme ce Farhat Ben Gdara, il serait facile de conclure que les tribus de l’Est libyen ont abattu un travail gigantesque, aussi bien dans le blocus du pétrole, que dans l’issue consensuelle de ce problème. Les mêmes tribus pourraient jouer un rôle important dans une éventuelle solution politique dans ce pays encore fortement tribal.
Les pays occidentaux ont préféré faire pression pour trouver une solution au blocus du pétrole. Les Emiratis ont joué les intermédiaire avec Haftar, étant ses bailleurs de fonds, ils pouvaient se permettre ce luxe. Pour la solution politique, le président du Conseil présidentiel, Mohamed Youssef El Menfi, est en train de jouer le jeu pour éviter une nouvelle phase intermédiaire. Pauvre Libye !
Tunis
De notre correspondant Mourad Sellami