Moyen-Orient : Le pouvoir de Baghdad resserre l’étau autour du Kurdistan

07/04/2024 mis à jour: 04:18
AFP
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Vengeance politique ou reprise en main ? En Irak, le pouvoir fédéral de Baghdad profite de la stabilité relative du pays pour revoir ses rapports et son emprise sur le Kurdistan autonome, experts et responsables politiques actant un tour de vis. 

Le bras de fer se joue aussi devant les tribunaux, avec plusieurs verdicts promulgués à Baghdad et décriés par Erbil, capitale d’un Kurdistan autonome depuis 1991 dans le nord de l’Irak, et traditionnellement soutenu par les Occidentaux. Contrôle du pétrole, versement des salaires des fonctionnaires, intervention dans les législatives régionales: depuis des décennies, les mêmes dossiers peu ou prou enveniment les relations entre le pouvoir fédéral et le Kurdistan. Cette fois-ci, Baghdad a la main haute. 

Les pressions visent directement le Parti démocratique du Kurdistan (PDK), aux manettes à Erbil, engagé dans une lutte intestine avec l’autre grande formation historique des Kurdes, l’Union patriotique du Kurdistan (UPK). «Je dois vous avertir des complots visant à démanteler par diverses tactiques le Kurdistan», accusait fin mars le Premier ministre de la région autonome Masrour Barzani – du PDK. Depuis deux décennies, alors que Baghdad se dépêtrait avec des conflits à répétition, le Kurdistan se présentait comme une oasis de stabilité économiquement prospère. Mais dans un pays aux immenses richesses pétrolières, à Baghdad ou à Erbil, les observateurs dénoncent corruption endémique, politiques publiques défaillantes et crises à répétition, au sein d’élites politiques quasi-inchangées depuis 20 ans.


«Erreurs» au Kurdistan


Les tensions actuelles surprennent d’autant plus qu’à son arrivée, l’actuel Premier ministre irakien, Mohamed Chia Al Soudani, soutenu par des partis pro-Iran, avait rétabli des rapports apaisés avec les politiciens Kurdes. Mais Baghdad et Erbil ont toujours entretenu des relations en dents de scie. «Les gouvernements successifs (à Baghdad) ont longtemps été absorbés par des crises et des contextes difficiles», indique un influent responsable politique, faisant allusion aux années de guerre, de lutte contre les terroristes du groupe Etat islamique (EI) et de manifestations anti-pouvoir. «Cela fait qu’ils ne se sont jamais penchés sur les erreurs commises par le Kurdistan», justifie-t-il sous anonymat. «Que ce soit pour les accords pétroliers, les exportations de pétrole, le système financier de la région, de nombreuses décisions illégales ont été prises et il est temps d’y remédier», estime-t-il. Fin février, la Cour suprême fédérale, plus haute instance judiciaire, sommait Baghdad de verser directement leurs salaires aux fonctionnaires du Kurdistan, sans passer par les autorités locales. De même, la justice irakienne a supprimé 11 sièges réservés aux minorités au sein du Parlement régional. Selon des observateurs, ces postes permettaient au PDK de sécuriser sa majorité parlementaire face à ses adversaires. Deux affaires initiées par... des avocats de Souleimaniyeh, ville kurde bastion de l’UPK. Rejetant ces verdicts, le PDK a annoncé son boycott des législatives locales prévues au Kurdistan en juin, faisant craindre un nouveau report du scrutin. 


Enfin, depuis un arbitrage international remporté par Baghdad il y a un an, les exportations pétrolières autrefois menées unilatéralement par Erbil - sans l’assentiment de Baghdad - ont été stoppées. Erbil avait fini par accepter de livrer son pétrole à Baghdad contre un pourcentage du budget fédéral. Mais des litiges continuent d’entraver la reprise des exportations. «Il y a chez certains acteurs politiques chiites une volonté de saper constitutionnellement le Kurdistan», estime le politologue Ihsan Al Chammari, précisant que la multiplication des plaintes «affaiblit le poids politique de la région, en particulier du PDK». Si autrefois «de nombreuses affaires étaient passées sous silence en contrepartie d’ententes» négociées entre partis pour «former un gouvernement» par exemple, désormais ces dossiers «interviennent dans le cadre d’une vengeance politique», ajoute-t-il. Malgré le «caractère politique» des décisions judiciaires, l’analyste estime qu’elles sont «constitutionnelles».

 Sabah Sobhi, parlementaire du PDK, accuse certaines forces politiques de vouloir transformer «le fédéralisme et la décentralisation administrative» d’Irak en un système «centralisé et autoritaire». Il fustige aussi les «désaccords au sein de la maison kurde» – le deuxième grand parti kurde, l’UPK, soutenant Baghdad. En mars, Bafel Talabani, président de l’UPK, dénonçait «les attaques diffamatoires contre la Cour suprême fédérale et les accusations visant ce tribunal indépendant et professionnel, ayant contribué à protéger le système politique en Irak».
 

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