Plusieurs civils, dont des enfants, ont été tués hier dans des frappes imputées à l’armée malienne à Kidal, possible préfiguration de la bataille à venir pour ce bastion de la rébellion touareg et enjeu majeur de souveraineté pour l’Etat central, rapporte l’AFP citant des sources locales.
Le Cadre stratégique permanent (CSP), une alliance de groupes armés à dominante touareg, a fait état dans un communiqué de 14 morts, dont huit enfants regroupés devant une école et six notables, tués, selon le CSP, par des drones de fabrication turque de l’armée malienne.
Des résidents et des témoins s’exprimant pour la plupart sous le couvert de l’anonymat pour leur sécurité ont parlé de six, sept ou neuf morts, sans disposer pour chacun d’eux d’une vue d’ensemble. «Six personnes, dont des enfants, ont été tués par des frappes aériennes de l’armée malienne. A l’hôpital, nous avons des blessés», a ainsi déclaré un agent de santé.
L’armée a indiqué samedi sur les réseaux sociaux avoir «neutralisé» la veille avec ses moyens aériens un certain nombre de cibles qui préparaient des opérations à l’intérieur du camp récemment évacué par la Mission de l’ONU (Minusma).
Les actes de guerre d’hier, les premiers meurtriers à Kidal depuis que la rébellion touareg a repris les hostilités avec l’Etat en août, confirment les craintes d’une confrontation à laquelle les quelques dizaines de milliers d’habitants de la ville, foyer historique des insurrections indépendantistes et carrefour sur la route de l’Algérie, se préparent depuis quelque temps.
L’insoumission de Kidal et de sa région, où l’armée a subi d’humiliantes défaites entre 2012 et 2014, est un vieux motif d’irritation à Bamako. Les colonels qui ont pris la tête du pays par la force en 2020 ont fait de la restauration de la souveraineté territoriale leur mantra.
Or, Kidal est contrôlée par les rebelles qui, après s’être soulevés en 2012, ont accepté de cesser le feu en 2014, mais viennent de reprendre les armes. Le soulèvement indépendantiste de 2012 a coïncidé avec l’entrée en action de groupes islamistes radicaux. Les djihadistes n’ont jamais cessé de combattre l’Etat central et toute présence étrangère, plongeant le Mali dans une crise sécuritaire, politique et humaine, qui s’est propagée au Burkina Faso et au Niger voisins.
Le Nord est à nouveau le théâtre, depuis août, d’une escalade entre les acteurs présents (armée régulière, rebelles, djihadistes). Le retrait de la Mission de l’ONU, poussée vers la sortie par la junte, a déclenché une course pour le contrôle du territoire, les autorités centrales réclamant la restitution des camps, les rebelles s’y opposant et les djihadistes tâchant d’en profiter pour affermir leur emprise.
L’évacuation par la Minusma de son camp de Kidal s’annonçait comme la plus inflammable. Anticipant le départ de la Minusma, un important convoi de l’armée est parti le 2 octobre en direction de Kidal. Mais la Mission de l’ONU, contrainte par la dégradation sécuritaire, a accéléré son retrait et a quitté la semaine passée son camp de Kidal. La rébellion séparatiste en a aussitôt pris le contrôle, devançant l’armée.
La précipitation du désengagement de la Minusma a irrité la junte, qui voulait faire concorder ce départ avec l’arrivée sur place de l’armée. Les entraves mises par la junte à l’évacuation ont forcé la Minusma à détruire une partie de son matériel faute de pouvoir l’emporter, a dit la Mission. Mais elle en a aussi laissé sur place.
La Turquie interpellée
Un résident ayant travaillé pour la Minusma a indiqué que parmi les victimes d’hier, figuraient des habitants qui s’étaient regroupés devant le camp pour récupérer du matériel. Le CSP a assuré, pour sa part, qu’une des frappes de drone a atteint un groupe d’enfants devant une école proche du camp. Il a dit demander aux autorités turques «de revoir leur politique de vente de drones à la junte» et au groupe paramilitaire russe Wagner avec lequel elle coopère, selon le CSP.
La Minusma, dont les effectifs ont tourné autour de 15 000 soldats et policiers et dont plus de 180 membres ont été tués dans des actes hostiles, est censée être partie d’ici au 31 décembre. Depuis juillet, elle a retiré du Mali près de 6000 membres du personnel civil et en uniforme.