Sous le mandat de M. Modi, de multiples films ont diffusé des messages de division renforçant des préjugés émis par des dirigeants politiques.
Sorti en mai, The Kerala Story est un de ces films indiens qui vilipendent les musulmans et disséminent de l’infox à leur sujet, faisant craindre que l’industrie de Bollywood ne devienne un instrument de propagande en amont des élections de l’an prochain.
«Inspiré de nombreuses histoires vraies» fait d’emblée valoir la bande-annonce du film anti-musulman sur d’«innocentes filles, piégées, victimes d’un trafic destiné à en faire des terroristes». La fiction en hindi, qui raconte l’histoire d’une hindoue qui se convertit à l’Islam puis se radicalise, est le deuxième film en hindi le plus rentable de 2023.
Ses détracteurs estiment que ce film, comme d’autres récemment sortis, colporte des mensonges pour monter les communautés les unes contre les autres, dans la perspective des élections nationales en 2024. «Je suggérerais à tous les partis politiques de profiter de mon film (...) qu’ils l’utilisent à leurs fins politiques», répond à l’AFP le réalisateur Sudipto Sen interrogé sur sa propre couleur politique.
La plus grande démocratie du monde a une longue histoire de censure cinématographique, mais nombre de critiques s’inquiètent de voir Bollywood produire de plus en plus de films, teintés d’idéologie nationaliste hindoue, prônée par le parti du Premier ministre Narendra Modi.
Les Indiens raffolent de cinéma, un média inégalé pour s’adresser aux masses populaires, rappelle le journaliste et auteur Nilanjan Mukhopadhyay.
Sous le mandat de M. Modi, de multiples films ont diffusé des messages de division renforçant des préjugés diffusés par des dirigeants politiques, souligne-t-il auprès de l’AFP. «Comme eux, ces films instillent la haine au sein de la population (...) montée contre les minorités religieuses», ajoute-t-il.
La sortie de The Kerala Story en mai a coïncidé avec des élections dans l’Etat méridional du Karnataka. Les résultats, vivement contestés par le parti Bharatiya Janata (BJP) de M. Modi, ont déclenché des heurts dans cet Etat où une personne a été tuée.
M. Modi s’est appuyé sur le film lors d’un meeting, tout en accusant le Congrès, principal parti d’opposition, de «soutenir les tendances terroristes».
Selon ses détracteurs, le film à petit budget joue sur le soi-disant love jihad, ces infox racontant que des musulmans séduisent des hindoues pour les rallier à la cause terroriste islamiste.
La production est revenue depuis sur la fausse affirmation que 32 000 femmes hindoues et chrétiennes du Kerala avaient été recrutées par le groupe jihadiste Etat islamique.
«Plan de communication»
Les membres du BJP avaient organisé des projections gratuites du film qui, selon le porte-parole du parti, Gopal Krishna Agarwal, entrait dans le cadre d’un «plan de communication». «Comment communiquer son idéologie ?
Comment communiquer sur la vie et l’histoire de son leader et son activité ? C’est notre façon de procéder (...) Les équipes du parti le font individuellement», a expliqué M. Agarwal à l’AFP. Pour promouvoir le film, les gouvernements de deux Etats dirigés par le BJP ont réduit les taxes sur les billets.
Selon le réalisateur, son film a touché une corde sensible en Inde abritant l’une des plus grandes populations musulmanes au monde, environ 14% de 1,4 milliard d’habitants.
«Je crois au pouvoir de la vérité, la vérité que nous avons dite dans le film, et c’est ce que les gens veulent voir», affirme-t-il à l’AFP. Son film rompt avec les comédies musicales traditionnelles de Bollywood, suivant une récente tendance.
Désormais, des studios de Bollywood sortent des films policiers, de guerre et d’espionnage, exaltant le nationalisme de héros généralement hindous luttant contre des ennemis en dehors ou au sein même de l’Inde.
«Le cinéma a toujours été utilisé comme propagande, Hollywood ne le fait-il pas ?», rappelle le réalisateur Sudhir Mishra, citant les Rambo avec Sylvester Stallone, «je pense vraiment que l’on attaque et accuse Bollywood». The Accidental Prime Minister, un biopic critique de Manmohan Singh, prédécesseur et rival de M. Modi, a été lancé quelques mois seulement avant les élections de 2019.
Et la sortie de l’hagiographie PM Narendra Modi a vu sa sortie retardée par la Commission électorale jusqu’après le scrutin. A l’inverse, le prochain film Godhra revient sur l’histoire réelle de l’incendie d’un train en 2002 dans lequel 59 pèlerins hindous ont péri.
Le drame avait déclenché des émeutes interconfessionnelles qui ont fait plus de 1000 morts, pour la plupart musulmans.
La bande-annonce du film suggère qu’il s’agissait d’une conspiration. Un récent documentaire de la BBC sur le rôle joué par M. Modi dans ces violences a été bloqué dans le pays et qualifié de «propagande hostile et (ramassis) d’ordures anti-indienne».