«Les influenceurs vont avoir un rôle prépondérant dans la construction de la légitimité des créateurs», explique à l’AFP Delphine Dion, professeure à l’ESSEC Business School.
Jadis snobés par le milieu fermé de la mode, les influenceurs sont désormais courtisés à la manière des plus grandes célébrités, en particulier par les talents émergents qui comptent sur eux, pour asseoir leur nom. Ils sont présents en masse, cette semaine, à la Fashion Week de Londres.
La fine fleur de TikTok et d’Instagram se pressait ainsi, dimanche, au défilé de Masha Popova. La jeune créatrice ukrainienne, diplômée de la prestigieuse école Central Saint Martins en 2020, comptait parmi ses invités la superstar de TikTok, Abby Roberts, suivie par plus de 16 millions de personnes, et sa soeur Charlotte Roberts qui compte près de 9 millions de followers.
Emma Winder, créatrice de contenu sur Instagram, TikTok et YouTube, était présente aussi. «J’étais au premier rang avec six autres influenceurs, donc je pense qu’on s’en sort bien», a-t-elle confié à l’AFP, après le défilé. «Les influenceurs vont avoir un rôle prépondérant dans la construction de la légitimité des créateurs», explique à l’AFP Delphine Dion, professeure à l’ESSEC Business School. «C’est grâce à eux que de nombreux créateurs vont réussir à percer».
Avant-garde
Pour être un influenceur mode qui compte, il faut d’abord être «adoubé par les grands noms» de l’industrie, explique-t-elle. Vient ensuite le moment de se distinguer, de dénicher des pépites pour asseoir sa légitimité d’influenceur «aux goûts extrêmement pointus, qui va permettre de faire émerger des nouveaux acteurs de la mode».
«C’est exactement comme les dynamiques d’avant-garde que l’on peut trouver dans l’art», affirme Mme Dion, «l’idée d’aller chercher ce qui est beaucoup plus niche pour montrer que l’on est encore plus à la mode que les autres». Le phénomène est particulièrement visible sur des scènes, comme la Fashion week de Londres, connue pour la place qu’elle laisse aux talents émergents. La nouvelle génération de créateurs comme Masha Popova, Di Petsa, Chet Lo, Feben, ou Yuhan Wang, ont été vus portés par les influenceurs en vogue et des stars comme Zendaya, Billie Eilish, Hailey Bieber ou Kylie Jenner.
«Réaction immédiate»
La dynamique est gagnante-gagnante. Pour les influenceurs, il est désormais beau coup plus «cool» de porter des vêtements de jeunes designers plutôt qu’une marque luxe «pour montrer qu’on a beaucoup d’argent», explique à l’AFP Elizabeth Stiles, consultante pour les marques de mode.
Et pour les créateurs, «il est plus rapide de faire grandir sa marque avec les réseaux sociaux vu leur fonctionnement», poursuit-elle. Lorsqu’un influenceur poste un contenu, «vous obtenez une réaction immédiate» de sa communauté quand cela prend plus de temps pour un article de presse, ajoute Mme Stiles. Les créateurs de contenus sur les réseaux sociaux peuvent bénéficier d’un bon taux d’engagement qui mesure le degré d’interaction de leurs publications avec leur communauté.
Un influenceur au fort taux d’engagement postant une photo, habillé par un jeune label, est plus susceptible de générer des ventes pour la marque. «En Chine, où les phénomènes d’imitation sociale sont beaucoup plus développés, c’est quelque chose de faramineux», poursuit Delphine Dion.
Un phénomène qui date
La concurrence entre les magazines spécialisés mode et les anciens blogueurs mode, aujourd’hui influenceurs sur TikTok, Instagram ou YouTube, n’est pas nouvelle. La journaliste britannique Susie Lau, qui écrit notamment pour le magazine britannique Pop et The Business of Fashion, est suivie par quelque 700 000 personnes sur Instagram, a commencé en lançant son blog mode «Style Bubble» en 2006.
Dans une tribune publiée dans Grazia en 2017 titrée «Tout le monde devrait être le bienvenu dans la mode», elle disait regretter «les connotations négatives du rôle d’un blogueur de mode. Ou des créateurs de contenu numérique. Ou des influenceurs». En février 2023, elle fustigeait encore dans un post Instagram «le culot de la plupart des médias imprimés en 2023 pour se moquer des influenceurs dans le sous-texte de leurs critiques».