Les cabanons marseillais, un art de vivre menacé

07/03/2023 mis à jour: 14:46
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Des cabanes traditionnelles sur la plage de la Verrerie à Marseille, le 9 janvier 2023

Les pieds dans le sable, ils font rêver avec leur imprenable vue sur mer : les cabanons de Marseille, symboles de cette grande ville du sud de la France, tentent de préserver un certain art de vivre sans trop penser aux menaces, réglementaires ou climatiques, qui pourraient les faire disparaître.  «Je sais bien qu’on est en sursis. Des roches de la falaise sont tombées, la plage est soumise à une érosion importante. Qu’est-ce qui peut se passer après?», s’interroge Eliane Peroux, propriétaire de cabanons à la Verrerie, une crique du sud de Marseille. En attendant, cette ex-pharmacienne savoure chaque jour sa chance : «On vit dehors. Le matin, on va se baigner quand il n’y a personne. Au petit-déjeuner, un voisin vous propose un café. On s’assoie pour discuter. Tout le monde a conscience de partager un privilège», dit-elle, comparant le coucher du soleil à «une messe» à laquelle communieraient cabanoniers et plagistes. «J’avais plus de chances de gagner à l’Euro Millions que de trouver un cabanon à vendre à Marseille», raconte Franck, un de ses voisins. Et pourtant, ce cuisinier parisien aux airs de surfeur américain s’est offert pour 200 000 euros sa «grotte» de Robinson de 23 m2, où il vit à l’année: «C’est cher, mais j’ai la plus grande piscine du monde». Et les prix montent. En février, une agence proposait un cabanon de 25 m2, «à réhabiliter entièrement», au célèbre Vallon des Auffes, au coeur de Marseille, pour 340 000 euros.  Bâtis de bric et de broc, le long du littoral, les premiers cabanons sont nés au XIXe siècle, sans permis de construire, à partir de hangars à bateau ou de cabanes de pêcheur. Sans eau ni électricité, ces habitats précaires, d’une pièce ou deux, se sont peu à peu transformés en lieux de villégiature pour les populations modestes dans les années 1930, avec les premiers congés payés. D’autres ont été «investis par des ouvriers employés d’usines qui ont accompagné l’essor industriel de la ville au XIXe siècle», rappelle l’historienne Judith Aziza. Ces petits paradis populaires s’opposaient alors aux bastides des riches Marseillais, plus en hauteur ou en retrait dans les terres.

Opération reconquête

Mais peu à peu, le cabanon s’est embourgeoisé. A la Verrerie, la trentaine de hangars à bateau d’origine bénéficie désormais de tout le confort moderne, climatisation en prime parfois. Et ceux qui sont loués l’été affichent complet, malgré l’envers du décor: bruit, insécurité et déchets laissés par la foule des vacanciers.  Il y a aussi l’entretien du site: comme ces 400 000 euros payés par les propriétaires, «pour consolider les terrasses et la falaise qui menaçait de s’effondrer», rappelle Mme Peroux. Trop proches de la mer, deux cabanons avaient déjà dû être rasés. Institution marseillaise magnifiée par les chansonniers, les cinéastes et les guides touristiques, le cabanon est le symbole d’un certain art de vivre, au soleil, près de la nature, entre baignades, siestes et vie communautaire. Mais un art de vivre menacé. Beaucoup de ces maisons de poupée avaient déjà disparu lors de la construction du port de Marseille, au nord, et de la corniche, au sud. Plus récemment, en 2010, l’Etat français a débuté une opération reconquête de son domaine maritime. Ont été démolis le cabanon d’une ex-députée ou des restaurants et boîtes de nuit, en contradiction avec la loi littorale. «Aucune partie du domaine public ne peut être définitivement attribuée à un particulier», rappelle la préfecture. Et «si une Autorisation d’occupation temporaire (AOT) n’est pas renouvelée, l’Etat peut procéder à des démolitions lorsque les habitations ne sont plus occupées ou si les frais de mise en conformité ne sont plus assurés par l’occupant». «L’Etat n’a jamais nié le caractère historique de ces cabanons. Son souci concerne la gestion des risques», explique Alain Ofcard, directeur adjoint à la Direction départementale des territoires et de la mer (DDTM). Selon lui, aucun cabanon servant d’habitation ne serait plus recensé sur le domaine public maritime à Marseille. Cette zone, qui prend en compte la distance parcourue par les plus hautes eaux dans des conditions non-exceptionnelles, pourrait cependant évoluer, avec le réchauffement climatique: montée des eaux et érosion des côtes vont mécaniquement faire entrer dans le domaine public des maisons aujourd’hui dans le domaine privé.

«Caractère historique»

Sur l’avenir des cabanons, la DDTM renvoie à une loi d’août 2021 qui prévoit le financement d’études par l’Etat et d’éventuelles limitations des constructions, voire des provisions d’argent pour des destructions futures. Une «non-transmibilité» des cabanons est également évoquée. A l’inverse, la création du Parc national des calanques, en 2012, s’est accompagnée d’un classement protecteur, au titre d’un «certain art de vivre», de quelque 300 cabanons. Mais là aussi, des cabanons vétustes ou dangereux et un restaurant bâti sur le domaine public maritime ont disparu sous les dents des pelleteuses. Face aux eaux cristallines de Sormiou, les 126 cabanons appartiennent pour l’essentiel à une société civile immobilière regroupant les descendants de l’ex-maîtresse des lieux, la poétesse Marie de Sormiou (1865-1958).  Environ «98% d’entre eux sont loués, sans eau ni électricité, aux mêmes familles, depuis des générations, pour quelque 3000 euros par an. L’ancien maire de Marseille, Jean-Claude Gaudin, a le sien, transmis par son père maçon», rapporte André Pacitto, président de l’association des calanquiers de Sormiou. A Morgiou, en revanche, les cabanons sont en pleine propriété. Et certains prix ont flambé, atteignant les 500 000 euros pour de petites surfaces qui, en location, s’arrachent l’été sur les plateformes en ligne.

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