C’est une petite douceur dont les mamans zimbabwéennes ont le secret. Elle vient de Grande-Bretagne, l’ancienne puissance coloniale, mais la tradition a survécu à l’indépendance pour s’intégrer dans le paysage de ce coin d’Afrique australe : le «scone», tendre gourmandise. Petit pain mollet, qui se doit d’être dense et aéré à la fois, il accompagne le thé de l’après-midi à Oxford. Servi avec crème fouettée et confiture de fraises.
A Harare, c’est plutôt un petit-déjeuner rassasiant mais il se mange à toute heure. Des décennies après le départ des Anglais, beaucoup en oublient jusqu’à son origine. «On adore les scones ici. Ils ne sont plus britanniques, ils sont complètement à nous», raconte à l’AFP Nyari Mashayamombe, 42 ans, croisée dans un restaurant de Belgravia, quartier chic comme celui du même nom à Londres. «C’est une de ces belles traditions qui devient un échange interculturel», estime cette femme aux cheveux rouges, militante des droits des femmes, dans le jardin parsemé de parasols. «Ici ils coûtent jusqu’à six dollars mais ça vaut le coup.»
Quelques kilomètres plus loin sur le marché agité de Mbare, plus vieux township de la capitale, les scones sont introuvables dès la mi-journée. «On les vend le matin, ça part très vite», remarque un jeune homme à qui il reste quelques pains sur un tréteau. Dans la principale boulangerie du quartier aux bâtiments défraîchis, ils sont vendus dès l’aube.
Quatre pour un dollar américain. Au pied du four à pain, dans un vacarme terrible qui monte encore d’un cran quand les boulangers se mettent à se chamailler football, un jeune homme dort sur le dos, un coude contre le front. Chaque jour, quelque 200 scones sont produits dans ce local surchauffé en parpaings bruts, éclairé de deux ampoules pendues à un fil, qui offre aussi brioches et beignets, raconte à l’AFP l’un de ses vendeurs, Patrick Guranungo. Tawanda Mutyakureva arrive vers 05h00. Son poste fait moins de deux mètres carrés, son plan de travail est situé au niveau de ses genoux. Le boulanger de 26 ans en chemisette se penche pour verser sa pâte, l’étale au rouleau et découpe des formes à l’emporte-pièce. Il travaille vite, enchaîne les fournées. Dans une atmosphère humide aux odeurs de sueur et de levain, sa compagne, leur fils enveloppé sur son dos, l’assiste. Elle beurre les plaques, les débarrasse. Des revendeurs viennent acheter les scones par dix ou vingt pour les placer dans des épiceries un peu plus loin. Une mère de famille passe une tête pour acheter du pain.
Les scones, elle les fait elle-même pour ses trois enfants. «Oui régulièrement. Pas forcément pour fêter quelque chose, juste comme ça pour leur faire plaisir», confie Memory Mutero, 46 ans, d’un sourire attendri. La recette est simple: farine, sel, levure, sucre, beurre et lait. Au Bottom Drawer, salon de thé bourgeois de la capitale, la cheffe Veronica Makonese, 46 ans, goûte un scone ramené du township.
Elle est formelle : «C’est fait avec de l’eau.» Cette femme aux joues rondes, coiffée d’un fichu blanc, fait son propre babeurre, en laissant du lait à température ambiante. Pour l’acidité. Et pas de margarine ici, moins chère, mais du vrai beurre. Pour le goût et le moelleux. Sa patronne, Sarah Macmillan, une Zimbawéenne blanche de 53 ans, se souvient avec nostalgie des scones de son enfance, achetés auprès de deux enseignes rivales du centre de Harare aujourd’hui disparues. «Je voulais en faire ici qui soient aussi bons», confie-t-elle à l’AFP. Leur succès dans le pays, outre leur gourmandise, s’explique facilement : «Ça cale et c’est abordable.»