Suite aux graves accusations de corruption d’eurodéputés par le Maroc, en échange de leur asservissement pour défendre, auprès du Parlement européen, l’occupation marocaine du Sahara occidental, le Parlement marocain a annoncé, dimanche, la tenue d’une réunion conjointe en séance plénière de ses deux Chambres pour examiner «les dernières positions du Parlement européen sur le Maroc». Depuis l’éclatement du scandale, à la mi-décembre, lorsque la police belge avait annoncé des soupçons de corruption au Parlement européen et procédé à la détention provisoire des premiers eurodéputés impliqués, dont le cerveau de la bande, l’ex-eurodéputé Pier Antonio Panzeri, les autorités marocaines se sont murées dans un silence total. La seule réaction officielle est venue, sous la forme d’une déclaration du ministre des Affaires étrangères marocain, Nasser Bourita, qui a saisi l’occasion de la visite, à Rabat, du chef de la diplomatie de l’Union européenne, Josep Borell, début du mois courant, pour dénoncer des «calculs visant à nuire au partenariat entre le Maroc et l’Union européenne». Ce à quoi le chef de la diplomatie de l’UE a répondu, solennellement, «qu’il n’y aurait pas d’impunité pour la corruption». Le même Bourita s’est fendu d’une seconde déclaration dans laquelle il soulignait, sur un ton suspect de bravade, que son pays «ne saurait être effrayé ou intimidé» par les attaques dont il est l’objet. Habituellement prolixe, prompt à dégainer à la moindre attaque contre son pays, le chef de la diplomatie marocaine s’est fait très discret, face à la gestion de ce scandale qui a fait l’effet d’un séisme dans l’establishment du makhzen. Si les autorités marocaines ont entrepris de ne pas aller au combat politique et médiatique pour répondre aux graves accusations ciblant le pays, ce n’est certainement pas l’envie qui leur manquait, mais plutôt des arguments et des preuves de leur innocence que détiennent, pour leur malheur, les limiers de la police belge, les juges du tribunal belge et le parquet européen qui s’est saisi, lui aussi, du dossier après la levée de l’immunité parlementaire des eurodéputés ripoux.
Les magistrats marocains …dénoncent
Plusieurs jours sont passés depuis l’intervention du ministre des Affaires étrangères marocain sans qu’il se passe rien, au niveau de la communication institutionnelle marocaine, jusqu’à cette annonce, bien tardive de la programmation prévue pour hier d’une réunion en séance plénière du Parlement marocain. L’événement a coïncidé avec la réaction du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire (CSPJ) marocain qui a rendu public, samedi dernier, un communiqué dans lequel il condamne, pince-sans-rire, «les accusations et les allégations graves portant atteinte à l’indépendance du pouvoir judiciaire marocain». On l’aura compris, les magistrats marocains ciblent, à travers leur communiqué, la résolution adoptée la semaine dernière par les eurodéputés sur les violations des Droits de l’homme et de la liberté de la presse, les emprisonnements et la torture à l’encontre des militants opposants au régime et des journalistes. On ne sait rien encore de ce qui a filtré de la réunion d’urgence convoquée par le Parlement marocain. Mais, à l’évidence, il ne faudrait pas s’attendre à autre chose que de voir les parlementaires marocains, emboîter le pas à la diplomatie du makhzen qui s’est exprimée, du bout des lèvres, faute de preuves solides de nature à convaincre que le Maroc est victime d’une cabale comme on le prétend. Quel poids, autorité ou influence ont les parlementaires marocains pour influer sur le cours des événements, influencer les députés europeéns et stopper la révolte qui s’est emparée du Parlement de Strasbourg, suite au scandale du Marocogate ? Aucun. La motion qui en sortira ne pourra pas empêcher l’enquête judiciaire de suivre son cours et le voile de l’impunité dont s’est drapé, pendant des années le Maroc, avec des complicités d’institutions étrangères, se déchirer et déboucher sur la mise à nu du régime du makhzen. Un déballage, inédit, des dossiers noirs du royaume marocain, longtemps couverts par la raison d’Etat et les intérêts des puissances étrangères alliées du Maroc, commence à sortir des cartons des archives classifiées des institutions étrangères, comme on l’a vu avec la résolution votée, cette semaine, par le Parlement européen sur les questions des violations Droits de l’homme et de la liberté de la presse au Maroc. Le scandale du Marocogate pourrait bien, si les politiques ne s’en mêlent pas au niveau de l’institution européenne, pour sauver le makhzen, parce que c’est une affaire d’Etat, les ramifications mènent inéluctablement les enquêteurs, selon les premiers éléments des investigations, vers des hommes forts du makhzen, fidèles parmi les fidèles du Roi, à l’instar du chef des services de renseignement marocains de la Direction générale des études et de la documentation (DGED), Yassine Mansouri, de l’ambassadeur du Maroc en Pologne, Abderrahim Atmoun, présenté par les juges belges comme étant l’argentier du réseau de corruption des eurodéputés. Les révélations fracassantes faites par le quotidien allemand Der Spiegel, hier, confirment la thèse selon laquelle il s’agit, bel et bien, d’une affaire de corruption institutionnelle impliquant politiquement et pénalement la responsabilité pleine et entière du makhzen. «L’implication de la DGED est un détail politiquement sensible. Si elle était fondée, cela signifierait que les tentacules du scandale s’étendraient aux plus hauts niveaux de l’Etat marocain», pointe l’article cosigné par cinq journalistes du quotidien allemand. Autrement dit, il s’agit bien d’une corruption d’Etat qui doit être traitée judiciairement comme telle, en imposant des sanctions exemplaires, comme cela s’est produit avec d’autres Etats mis au ban des nations, sous le coup de sanctions internationales pour d’autres délits. La corruption institutionnelle est une forme de terrorisme d’Etat .
«Il n’aura pas d’impunité pour la corruption», avait juré le chef de la diplomatie européenne lors de son séjour à Rabat «au tout début du scandale du Marocogate». Wait and see