Le dernier Maure de Francie de Mustapha Bouchareb : Lalla Fadhma N’soumer et Jeanne d’Arc… revisitées

16/07/2024 mis à jour: 21:49
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Mustapha Bouchareb - Photo : D. R.

Rangé dans la collection Rue des écoles, le dernier corpus romanesque de l’auteur Mustapha Bouchareb, intitulé Le dernier Maure de Francie, paru chez les éditions L’Harmattan, est une œuvre où le réel puise sa force dans une part d’un passé fait parfois d’un assemblage imaginaire.

Un pavé de 222 pages déroule une histoire, voire des histoires d’une période houleuse qu’ont connue des jeunes et qui, l’espace d’une jeunesse en «bandoulière», le protagoniste raconte sa galère, au gré des flots racistes de l’Hexagone où il a atterri et l’autre rive de la Méditerranée, l’Algérie, ce pays que la décennie rouge a fait fuir.

Dans un style parfois imagé et une écriture fluide et émouvante, et au-delà des flash-back dépliant des scènes d’horreur ou des haltes dépeignant par moments une ambiance fleurant bon dans certains quartiers huppés d’Alger, l’auteur fait ressortir, à dessein, l’ombre de deux personnages d’une époque révolue, en l’occurrence Jeanne d’Arc, l’Orléanaise, et l’héroïne et insoumise Fadhma N’Soumer des cimes du Djurdjura, deux figures  iconiques de l’histoire qu’il projette dans  la contemporanéité.

Une manière pour le romancier de faire – c’est du moins le message qu’on peut lire en filigrane – un clin d’œil à ces deux dames qui ont marqué leurs époques respectives, non sans inviter le lecteur à se propulser d’un «spatio-temporel» guerrier à un autre plus féroce qui raconte ou met en scène des conjonctures violentes dans deux pays.

Que choisir entre la vie d’une jeune femme promise au bûcher et une autre rebelle «déportée» dans une masure nichée dans les contreforts de l’Atlas blidéen (commune Aissaouia) ? Plus clairement, quelle option prendre pour un pays en proie à un terrorisme sanglant et l’autre qu’alimente la spirale infernale de la haine raciale envers l’étranger, ce «bougnoule» ou ce «bicot» dont le faciès donne de la matière aux forces racistes pour le mettre hors frontière, voire le trucider ?

Ainsi, la nouvelle France rebaptisée par l’auteur Francie fait la chasse – comme on le faisait à une certaine époque à la Pucelle d’Orléans et à la résistante kabyle, Fadhma N’soumer – à l’Arabe musulman, quelles que soient son origine, sa culture et son identité ; qu’ils soient de peau blanche, mate ou basanée.

La consonance d’un patronyme commençant par Ben ou Bou ne sont pas le bienvenu, et les bonnes âmes qui portent ces préfixes révélateurs font l’objet d’une traque sans merci par les Loups de Francie, bras armé du parti des Franciens. «Pas de différence dans la racaille», tonnent sur un ton péremptoire les tueurs de parti des Franciens, nourri à la mamelle de l’extrême droite dont le credo est de «casser de l’Arabe», «massacrer tous les Maures».

Il faut absolument se débarrasser «de l’occupation rampante des Maures», clame haut et fort le parti des Franciens. «C’est l’apocalypse», relève l’auteur qui, après avoir échappé à la terreur que sèment les «sans foi ni loi» de son pays affronte une autre horde dans le pays qu’il pense pays d’ «accueil». Quoi de plus pour Nabil Radhi qui tombe de Charybde en Scylla…

Une guerre raciale et violente dès lors se profile et dont l’issue ne plaide pour nul espoir pour les uns et «incertaine pour les autres». Nabil, qui traîne un cancer au niveau de la vessie, un mal «chopé» lors de son service national à Reggane, territoire irradié par la «fameuse» Gerboise bleue que la France coloniale avait lancée, quitte son pays pour se fixer à Orléans et ce, après avoir fait un passage en Arabie Saoudite, suivi de quelques pérégrinations dans quelques pays européens.

Gaëlle, Morad Kessal, Nesrine ou encore Maurice Norèze sont entre autres acteurs du roman aux relents xénophobes qui empruntent à cette obsession de «mort à l’Arabe». L’auteur livre à l’occasion, des haltes sur d’anciennes peuplades sémites, les Arabiques, les Arabiens ou les Arabisés non sans faire un rappel sur les Nabatéens, histoire de remonter le temps et débattre des origines et identités des peuples.

Pertinente démarche avec comme seul bémol, réduire le Créateur à l’échelle humaine avec cette irrévérencieuse réflexion «(…) lorsque la Providence divine se souvient de son (Nabil Radhi) existence…»

Notons que l’auteur Mustapha Bouchareb, universitaire et angliciste a à son actif, plusieurs publications dont des recueils de nouvelles. Il a obtenu en 1989 le prix des meilleures nouvelles, suite à la compilation de ses nouvelles Ombres dans le désordre de la nuit, œuvre parue aux éditions Laphomic et a reçu le prix Mohamed Dib 2017 pour son roman intitulé La Fatwa.
 

 

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