Ancien militant de la cause nationale, l’homme a connu un parcours riche, dont sept saisons à la tête du théâtre national algérien de Constantine, gérées de main de maître.
C’est le dernier des Mohicans du théâtre constantinois, qui résiste tant bien que mal aux aléas du temps. Il a pour nom Cherif Djilani. Natif de Constantine en l’an de grâce 1932, cet ancien militant de la cause nationale a fait du théâtre son cheval de bataille, surtout après les célébrations du centenaire de la colonisation française, qui ont suscité de la frustration au sein de la population musulmane.
D’ailleurs, c’était le printemps algérien durant lequel furent créées plusieurs associations, dont la première Fédération des élus musulmans du département de Constantine (FEMDC) présidée par le Dr Mohamed-Salah Bendjelloul (1893-1985). Elle sera suivie par le mouvement réformiste du Cheikh Abdelhamid Benbadis (1889-1940) avec l’Association des Oulémas musulmans algériens (AOMA) et son programme éducatif qui a instruit pas mal de générations, comme celle de Cherif Djilani.
À cette époque, le jeune Cherif était un élève assidu de la non moins célèbre association Ettarbya oua etta’lim où il s’initie sous la férule de plusieurs Chouyoukh, à l’instar de cheikh Abbas Ben Echeikh El Houceine, Abdelhafid, Slimane Ben El Haj Mustapha, Sadek BenMakhlouf, Said Benhafed, Sadek Hammani et l’écrivain dramaturge Ahmed Redha Houhou. À l’âge de six ans, il fait ses classes primaires à l’ex-école Arago (actuelle école Mouloud Belabed), avant de rejoindre par la suite l’Institut Benbadis. Pendant ce temps, il est très actif et intègre l’équipe de football de cette même institution avec ses amis Cherif Djaouad, Dambri, Goumrani et autres.
Par la suite, il rejoint un groupe de scouts où il s’engage dans l’activité théâtrale avec Guerfi Abdelhamid, Cherouat Mohamed Badadi, Chadli Bendakoum et Bengouirah Cherif. Les répétitions se déroulaient au café de la rue Beloucif (ex-Serigny), où fut montée la fameuse pièce théâtrale de l’Association les mille et une nuit «Baba Arroudj» avec Cherif Chouaib, et ce, avant de rejoindre, à la fin des années quarante, la même association.
Cet élan fut stoppé en 1952 quand il participa avec des jeunes de son âge dans des manifestations contre le joug colonial. Il fut dès lors arrêté avec une centaine de personnes et condamné à six mois de prison avec sursis. À cette époque, il est blessé au niveau de sa jambe avec des complications respiratoires. Il prend le chemin vers la France pour se soigner dans un sanatorium.
Début d’une carrière artistique
Après le déclenchement de la Révolution de novembre 1954, la police coloniale se met à sa recherche et dès qu’elle prend connaissance du motif de son voyage, elle met fin à son séjour en France et le renvoie à Constantine pour le mieux surveiller.
Mais cela ne l’empêche en aucun cas d’être toujours en contact avec les moudjahidine. L’année 1956 constitua un tournant dans sa carrière artistique puisqu’il intégra l’équipe technique du théâtre municipal en qualité de machiniste et accessoiriste jusqu’à l’indépendance, quand la direction du théâtre a été confiée à Omar Benmalek. Ce dernier élabore un magnifique programme pour les festivités du 5 juillet 1962.
D’ailleurs, il donne sur les mêmes tréteaux du théâtre sa nouvelle production intitulée El Abtal, dans laquelle Cherif Djilani s’adjugea le rôle principal. Avec l’entrée en vigueur du décret n°63-12 du 8 janvier 1963 portant organisation du théâtre algérien, il est sollicité par Mohamed Boudia pour succéder à Omar Benmalek à la tête du théâtre national algérien de Constantine.
Deux années plus tard, il fonde et anime avec Abdelkader Melloul, Salim Merabia, Abdelhamid Habbati et Allaoua Wahbi Djeroua, le Centre régional d’animation culturelle (CRAC), voué dans un premier temps à la formation aux métiers du théâtre. Effectivement, cette mission commence à donner ses fruits sur la scène du théâtre professionnel par le recrutement des comédiens comme Djamel-Eddine Oubad, Djamel Dekar, Abdelhamid Ramdani, Antar Hellal et Aïssa Redaf.
Au sein du CRAC, Chérif Djilani adapte en 1967 la pièce Etincelle dans les roseaux d’après un texte chinois, et qui a été mise en scène par Abdelhamid Habbati. D’ailleurs, cette représentation théâtrale a eu le premier prix du festival amateur d’art dramatique de Mostaganem en 1968. La même formation du CRAC est lauréate pour la deuxième année consécutive avec Un jour, les noirs, ou bien La poudre de l’intelligence premier prix du même festival en 1971, sans oublier La jeunesse et la vie, premier prix de la jeunesse en 1966.
Sept saisons mémorables
Chérif Djilani demeure à la tête du théâtre national algérien de Constantine de 1963 à 1970, soit près de sept saisons théâtrales qui ont été gérées de main de maître et qui ont permis au public constantinois de se délecter du riche répertoire du théâtre national algérien avec Les enfants de la Casbah, Les fusils de la mère Carrar, L’exception et la règle et Hassen Terre pour ne citer que celles-là, interprétées par des figures emblématiques du théâtre algérien telles que Mustapha Kateb, Abdelkader Alloula, Allel Mouhib, Hadj Smain Mohamed Seghir, Abderrahmane Kaki, Azeddine Madjoubi, Benguettaf, Keltoum, Sid Ali Kouiret, Sid Ahmed Agoumi et autres.
Le même public assiste au passage de troupes célèbres à l’instar des ensembles folkloriques de la Chine «Chansi», l’ex-Union soviétique, la «Beriozka», les ballets «Moisseev», le Cirque de Moscou, du Caucase «Kabardinka», de l’Ouzbékistan «Bakhor», de l’ex-RDA «Le StaatlichesDorfensemble», de la Hongrie en passant par la Bulgarie, l’Inde, sans oublier celles des pays arabes comme la Tunisie et ses troupes Er-Rachidia et Lagbabi.
On cite également des célébrités du Moyen-Orient à l’exemple de Fahd Bellane, Faïrouz et les Frères Rahabani, le Français Claude Nougaro, le Marocain Tayeb Saddiki, mais aussi l’Américaine Beatrice Arnac et de l’Afrique du Sud Myriam Makéba.
Outre le théâtre, si Cherif est désigné en 1971 à la tête de la direction du quotidien An-nasr. En dépit de la lourde responsabilité qui lui a été confiée à ce titre, il continue de suivre le mouvement du théâtre constantinois et il rédige un mémo manuscrit et inédit dans lequel il présente une synthèse des débuts du théâtre à Constantine et fait la recension des principales pièces créées.
D’ailleurs, il ne cessa de revisiter les bons moments où il assistait aux représentations théâtrales interprétées par de grands talents de la Médina comme : Omar Benmalek, Abdelhamid Belabdjaoui, Abderrahmane Bencharif, Hacene Bencheikh Lefgoune, Kaci Ksentini, Mohamed Salah Touache, Cherif Chouaib, Toufik Khaznadar, Abderrahmane Acheuk Youcef et Salah Bensebagh, ainsi que le passage de Malek Haddad et Kateb Yacine au sein des résidences au théâtre à Constantine. Décidément, Chérif Djilani est aujourd’hui un nonagénaire plus que comblé à qui nous souhaitons un prompt rétablissement. Mohamed Ghernaout