La chronique littéraire / La quête demeure, la littérature perdure

10/08/2024 mis à jour: 05:14
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De quoi la littérature est-elle la quête ? Apulée de Madaure, l’actuelle M’daourouch, visait, à travers son chef-d’œuvre romanesque L’Âne d’or ou Les Métamorphoses,  à «découvrir le secret des choses». Peut-être que la quête, en question, serait à découvrir en suivant les aventures de notre âne ?

La découverte du secret des choses induirait, aussi, une transformation magique, à l’instar de celle Lucius, le personnage principal des Métamorphoses, qui ne découvre la vérité des choses et, surtout, des êtres, qu’une fois transformé en vil animal, symbole de l’ignorance et de la bêtise, en butte aux mauvais traitements et au mépris des hommes. De telles transformations induisent des changements de perspectives, qui permettent de se mettre à la place des autres, d’une part et d’être mis à une autre place par les autres, d’autre part. Or, la littérature permet ces changements de perspectives, pour l’auteur bien sûr, mais aussi et surtout pour les lecteurs. 

Des lecteurs qui quittent ce qu’on nomme aujourd’hui, selon une formule désormais usitée, leur zone de confort, pour aller dans des mondes complètement différents au travers de personnages qui se découvrent à eux, qu’ils découvrent et qui leur font découvrir le plus vaste choix de points de vue. La «magie» de la littérature permet, donc, un tel cheminement, elle permet au lecteur non seulement de participer mais aussi d’enrichir la quête, que nous évoquions de prime abord. En effet, chacun apporte au livre dans lequel il pénètre, par sa lecture, sa plus value personnelle, faite de son interprétation, faite elle-même de ce qu’est chaque lecteur. Mais, pourrait-on objecter, pourquoi une telle «quête» ? 

Serait-ce, encore, une manifestation de ce que la mode de notre époque nomme, bien grossièrement et avec ce dédain orgueilleux que s’autorisent les maîtres à penser qu’on nous intime de suivre, l’«irrationalité» ? Or, l’être humain s’avère posséder une part de lui-même, qui cherche le pourquoi des choses et des êtres, le sens de l’existence. Les questions existentielles, souvent reléguées au second plan, fondent pourtant, malgré les dénégations et les condescendances, les pensées et les actions humaines.  Ces mêmes questions sont au centre de la littérature, dont la substance première est le questionnement du monde dans son infinie complexité et la quête de son sens. Lucius, le personnage d’Apulée, cherche aussi à sa manière et à travers les croyances de son époque, notamment la sorcellerie et les cultes en cours, à ordonner, au-delà des vices et travers des hommes, vécus, y compris dans sa chair, par l’âne qu’il est devenu, le monde et la vie. Ces derniers ne sont d’ailleurs pas sans rappeler les amours d’Eros et Psyché, dont le récit est justement relaté dans l’œuvre d’Apulée.


L’âne d’Apulée, lui-même, comme moyen d’atteindre les vérités, pas toujours bonnes à dire, par le plus court chemin, se retrouve dans «la quête littéraire» de plusieurs auteurs, à l’instar de Toufik El Hakim avec L’âne d’El Hakim, en 1940 et Mon âne m’a dit, en 1945, de Réda Houhou avec Avec l’âne d’El Hakim, en 1953, et, plus près de nous, de Chawki Amari avec L’âne mort , en 2014. L’âne s’avère, ainsi, un vecteur représentatif des métamorphoses qui nous permettent, à travers les œuvres imaginaires de voir et de comprendre, un tant soit peu, des pans de la réalité, en tout cas d’y réfléchir. Ainsi, il aura fallu aller vers l’animal le plus déprécié, le plus méprisé, pour apprendre de lui ce que nous sommes.  En ayant à l’esprit, la célèbre citation de Beaumarchais : «Aux vertus qu’on exige dans un domestique, Votre Excellence connaît-elle beaucoup de maîtres qui fussent dignes d’être valets ?» 

On ne peut que compatir, en vivant avec Lucius, dans Les Métamorphoses  d’Apulée, les ignominies infligées au pauvre âne qu’il est devenu et en constatant la bassesse des comportements humains, ramenés effectivement au plus bas par le Serment du «figuier et de l’olivier». Apulée, Toufik El Hakim, Réda Houhou et Amari, dénoncent, chacun à sa manière, les conditions faites aux hommes, en déstructurant la réalité, en en proposant une autre vision, qui rejoint, en fait, une réflexion sur la condition humaine et, encore, cette quête pour «la découverte du secret des choses» qui, pour nous, est au centre de la littérature. 

Au-delà du concept du Voyage du héros, de Joseph Campbell, le voyage de Toufik El Hakim à la campagne, pour rencontrer un autre magicien de l’expression en le réalisateur cinématographique, le voyage onirique de Réda Houhou, qui explique qu’il a vu en songe, en somnolant, l’âne d’El Hakim et enfin le voyage-périple de Amari, avec l’embarrassant âne mort, caché dans le coffre de la voiture, sont autant de quêtes, auxquelles les lecteurs de toutes les époques sont conviés et, magie de la littérature, y trouvent l’écho de leur propre quête.  

Ainsi, de l’Antiquité du IIe siècle d’Apulée, jusqu’au XXIe de Chawki Amari, l’homme demeure confronté aux mêmes questionnements existentiels, mais aussi aux conditions faites aux hommes, que la littérature expose, y compris en les déstructurant par l’imaginaire, pour mieux les dénoncer, en les privant de leur pseudo-cohérence et en leur ôtant leur légitimité fabriquée. Comme l’homme, d’hier, d’aujourd’hui et de demain, la quête demeure malgré les artifices et la littérature perdure.

 

Par Ahmed Benzelikha

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