Par Ahmed Benzelikha
En ces temps de canicule, où chaleur et incivisme vont crescendo, il faut, peut-être, partir en bord de mer, sur des plages tranquilles, où le souci de votre voisin n’est pas de vous en créer mais bien de vous respecter, comme vous le respectez.
Cet état de fait, jadis si simple, devenant un luxe ou soumis à sésame, hormis vous baigner à des heures impossibles, en faisant lever votre famille au chant du coq et encore ! Vous devez, en homme toujours patient devant les excès que les dérèglements sociaux autorisent mais ne peuvent excuser, vous rabattre peut-être sur d’autres solutions, qui vous ramènent à la fraîcheur, à la tranquillité, au délassement et au farniente des vacances, sans bourse délier, ni coup de sang à accuser.
Parmi ces solutions de rêve, au sens premier du terme, vous pouvez conjuguer poésie et peinture, mots et couleurs, mages et images, pour faire souffler la brise poétique et faire s’étaler devant vous la grande bleue picturale. Larguez donc les amarres et levez les voiles ! Les drapeaux flottaient au vent, samedi dernier, quand le temps d’un après-midi, sur le pont de la Fondation Asselah, en vue de la baie d’Alger, nous nous sommes installés sur de confortables transats, pour une belle croisière.
En fait, nous clôturions une exposition hautement colorée, celle de Djahida Houadef et, pour l’occasion, nous nous adonnions, en incurables hédonistes, au plaisant exercice estival de conjuguer l’art et la poésie, pour colorer les voyelles de nos maux et rimer les palettes de nos clairs-obscurs.
Nous étions, pour ce faire, en bonne compagnie, avec Alima Abdhat, Moncef Guita, Karima Aichoune, Lezhari Labter et, en modératrice, Nacera Chekchak. Peinture et poésie ont en commun, me semble-t-il, l’émotion, tant créative qu’appréciative. Une émotion particulière, qui participe de nos sens et du sens, en un mouvement de vagues scintillantes, sous le soleil parfumé du mois de juillet, qui, de Dior en César, révèle son étymologie.
Il faut oser sa passion des mots et des compositions, car pour vivre heureux il ne s’agit pas de s’en cacher mais de s’en prévaloir. Se prévaloir de poésie et de peinture, c’est aller au-delà des rôles et de leur utilité, pour s’inscrire dans la gratuité de l’expression absolue, celle de l’invisible.
Car ce que donne à voir, tant la poésie que la peinture, c’est ce que nous faisons de notre perception du réel au travers de notre imagination, de nos sentiments, de notre instinct et de l’alchimie de ce que nous ne connaissons pas traduits en vers ou en formes pareillement colorés.
La couleur, s’entendant comme le symbole de notre liberté, de notre énergie créatrice, peut rendre «la terre bleue comme une orange» et «colorer» de blanc un carré blanc sur fond blanc. Je vois venir les «à quoi ça sert» des détracteurs de tout et de rien, ben à ce dernier mot, celui qui, en marquant l’inutilité, marque l’absence, au point de résumer, en fataliste, la plus grande différence et la plus belle promesse pour Jacques et les lecteurs de Diderot.
Diderot qui aura aussi écrit, à sa dulcinée : «Lisez, partout où il n’y aura rien écrit, que je vous aime», pareillement en chaque poème et en chaque toile, lisez ce que le monde a à vous dire sans que «rien» ne vous le dit et out en vous disant «tout» à travers une image, un détournement de sens, une impression, une sonorité, une couleur, une abstraction, un rai de lumière ou une métaphore.
Un détournement de vos sens, qui vous étourdit comme cette valse inconnue que n’avez jamais dansée, ignorant jusqu’à l’existence de cette danse, tout occupé à envoyer valser ceux qui, frivoles et inconséquents, à vos yeux inquisiteurs, ne pensent pas comme vous.
Et pourtant elle tourne, «la valse à mille temps» qui unit poésie et peinture, nous faisant voyager sur les mers de Sindbad, les toiles de Djahida Houadef, les poèmes de Alima Abdhat et Karima Aichoune, les envolées lyriques de Lezhari Labter et la «poépeinture» de Moncef Guita.
Alima Abdhat a bien voulu, pour terminer en toute beauté son intervention, nous déclamer son nouveau poème inédit consacré au 5 juillet, elle y relate la joie et l’enfance, l’allégresse de l’indépendance et les promesses de l’aube. Un poème qui démontra, in fine, combien nous avions besoin de mots et de sensations pour «comprendre» le sens profond des choses, des idées et des combats pour la liberté malgré les incertitudes de la réalité.
Un poème est artistique et un tableau est poétique, pourrait-on résumer, mais nous aurions alors omis l’essentiel, c’est-à-dire l’homme. Qu’est-ce qu’alors que l’homme ? Sinon un être qui s’est, d’abord, construit autour de sensations et d’émotions, une «chair s’accrochant» et un enfant en interaction d’abord avec sa mère, de qui il aura la langue et qui sera sa première figure d’attachement.
C’est, peut-être, en cela que la poésie et la peinture, l’art en général, sont aussi du domaine de l’enfance, de l’innocence première et de l’expression primitive, encore libres des contraintes de la fixation des sens et du sens.
Et c’est sur le terrain de la liberté créative et des potentialités de «signifiance-émotion», que se rencontrent le plus ardemment, à nos yeux, les mots, les constructions stylistiques et les thèmes, les formes, les couleurs et les sujets.
La bande dessinée, pour laquelle les travaux de Lazhari Labter demeurent une référence en Algérie, a été aussi évoquée dans cette rencontre, elle va me permettre de clore cette chronique en vous souhaitant une bonne Fête de l’indépendance et une bonne année hégirienne, au travers du personnage de Corto Maltese qui traverse, sans y être assujetti, l’histoire, en recourant, justement, à un regard poétique et artistique, décrivant les choses sans trop les nommer pour, toujours, aller au-delà des contingences et faire comprendre l’essentiel à travers la réflexion. Cette dernière, que l’esthétique et le poétique n’excluent nullement, bien au contraire, ils en constituent le vrai terreau.