Kamel Azouz. Réalisateur algéro-français du documentaire L’olivier sauvage : «Le film met en exergue une figure positive de l’immigration algérienne en France»

21/09/2023 mis à jour: 15:37
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Photo : D. R.

Kamel Azouz était présent à Saïda où il a présenté son documentaire L’olivier sauvage au 6e Festival national de la littérature et du cinéma de la femme, qui s’est déroulé du 13 au 17 septembre. Le documentaire est consacré à l’Algérien Méziane Azaiche, le créateur, en 1997, du Cabaret sauvage, lieu de spectacle, au Parc de la Villette, à Paris. «C’est le récit universel d’un immigré qui a défié toutes les adversités afin de réaliser son rêve et conquérir sa liberté», est-il précisé dans la petite affiche du film. Rencontre.

Propos recueillis à Saïda par Fayçal Métaoui

- Pourquoi vous êtes-vous intéressé à ce lieu de spectacle qui est Le Cabaret sauvage, un lieu de spectacle qui a permis, au fil des ans, de lancer la carrière de plusieurs artistes, comme Tryo, Souad Massi, M. Guem, Bénabar...?

A la base, je suis journaliste culturel. J’ai travaillé à la Radio algérienne et collaboré avec beaucoup de médias. A la fin des années 1990, je suis parti en France pour une post-graduation universitaire et en même temps je continuais à faire des collaborations, à couvrir des concerts de musique. Je m’intéresse beaucoup à la musique, au cinéma et au théâtre.

A Paris, j’ai découvert une salle de spectacle que je fréquentais le plus souvent, Le Cabaret sauvage, entre 2000 et 2001. J’ai trouvé que le lieu était unique avec sa configuration circulaire après avoir fait toutes les salles de spectacles parisiennes. J’ai découvert que Le Cabaret sauvage appartenait à un Algérien.

Mon intérêt pour ce lieu s’est amplifié. En parallèle, je me suis inscrit dans des ateliers de création cinématographique pour étudier la théorie du cinéma accompagné de cours pratiques sur la fiction et le documentaire. Mon enseignant m’a demandé de préparer un sujet à développer en images pendant deux à trois minutes.

- Et donc, vous avez pensé au Cabaret sauvage ?

Absolument. Je prends contact avec Méziane Azaiche pour le tournage. Il a accepté. Après un travail préparatoire de documentation et d’entretien, nous avons convenu de nous rencontrer chaque vendredi après-midi pendant deux heures. Ces rencontres ont duré deux mois. J’enregistrais en audio la discussion.

A chaque fois, Méziane me parlait d’un sujet différent. Un exercice qui lui plaisait. Il me parlait de tout, de sa jeunesse, de ses vacances en Kabylie... Je réécoute à chaque fois l’enregistrement pour faire le tri et organiser le contenu du documentaire. Au fil des entretiens, j’ai commencé à découvrir un vrai personnage. Au bout d’un mois et demi, j’ai compris qu’il fallait changer de direction.

- Comment ?

Ne pas faire un film sur le lieu, mais sur la personne qui a créé le lieu. Méziane est une personne particulière, unique, avec un parcours extraordinaire. Ce qu’on voit dans le film, c’est peu par rapport à ce qu’il fait et entrepris.

- C’est un personnage de films donc…

C’est vrai. Le documentaire s’est donc concentré sur le parcours d’un homme avec en arrière-plan l’œuvre de sa vie qui est Le Cabaret sauvage, une des salles de spectacles incontournables à Paris. Ce n’était plus un court film, mais un long documentaire. J’ai parlé de mon projet avec mon enseignant. Et l’aventure a duré six ans.

- Finalement, vous n’avez pas tout dit dans ce documentaire. Il y a sûrement d’autres choses à raconter. Le Cabaret sauvage, à la fin des années 1990, était devenu le lieu de rencontres d’artistes algériens, maghrébins, africains, français... surtout à leur début…

Méziane Azaiche n’a programmé un spectacle maghrébin qu’après deux ans après l’ouverture du Cabaret sauvage parce qu’il ne voulait absolument pas que ce lieu devienne un ghetto de Maghrébins. Il avait commencé avec des spectacles «Nomades rageurs» (en décembre 1997) avec des Brésiliens, des Portugais, des Français...

Après, il y a eu des spectacles sur l’Afrique. Ces dernières années, il a produit des dizaines de spectacles liés à l’Algérie comme «Barbès Café», «Cabaret tam tam», «Casbah mon amour», «Ne libérez pas, je m’en charge»... Le Cabaret sauvage est un lieu de création, ce qui le distingue des autres salles de spectacles à Paris. Méziane Azaiche n’arrête pas de créer. En plus des concerts, Méziane consacre dans sa programmation annuelle, des dates pour ses propres productions.

- Méziane Azaiche n’est donc pas uniquement un gérant d’un lieu de spectacle mais également un producteur musical en mettant en avant des artistes, comme Souad Massi, Samira Brahmia...

C’est vrai. Samira Brahmia avait participé à Barbès Café et au Cabaret tam tam où elle a été révélée. Idem pour Souad Massi, devenue une star internationale. Le destin de Souad Massi est lié au Cabaret sauvage, au festival «Femmes d’Algérie». Je cite aussi Hasna El Bacharia découverte durant le même festival.

- Et que devient Le Cabaret sauvage aujourd’hui dans la scène musicale française ?

Le Cabaret sauvage peut accueillir jusqu’à 1200 personnes (debout) lors des concerts (et 600 assises). Pendant l’arrêt imposé par la pandémie Covid-19, Méziane Azaiche a réaménagé le lieu. Il a créé un nouveau chapiteau plus grand que le premier dans le même lieu. Lorsqu’on rentre, on n’est pas dépaysé.

Comme j’ai tourné pendant plusieurs années, j’avais peur du changement du décor. Le nouveau Cabaret sauvage est insonorisé. La terrasse a été réaménagée. Le Cabaret sauvage, c’est une salle, un bar, un café, une terrasse...Pendant la saison estivale, deux spectacles se tiennent au même moment, l’un à l’intérieur, l’autre à l’extérieur, on passe d’une ambiance à une autre.

- Le Cabaret sauvage est devenu aussi une grande scène africaine à Paris...Dans le documentaire, Méziane Azaiche revendique avec entrain son africanité

Méziane Azaiche, très attaché à l’Afrique, estime que les artistes africains sont très peu représentés en France, notamment. Il a des relations d’amitié avec de très grands artistes africains et il adore la musique africaine.

- D’où est venue l’idée du titre, L’olivier sauvage ?

Pendant la conception du film, j’ai retenu un titre provisoire, un titre de travail, Le rêve de Méziane. Pendant le montage de la scène de l’olivier, importante dans le film, j’ai eu le déclic pour le titre du documentaire.

Je voulais un titre abstrait. L’olivier sauvage fait référence à beaucoup de choses, à l’identité, à l’Algérie, à la Méditerranée, au personnage de Méziane lui-même, un arbre coriace qui se bat. Méziane est un combattant, sa vie n’a pas été du tout facile en France. Le film met en exergue une figure positive de l’immigration algérienne en France...

C’est parlant dans le contexte politique actuel en France avec les débats interminables sur la migration...

Oui, c’est juste. Méziane Azaiche est un travailleur, il ne cesse de créer. Son prochain spectacle, prévu fin septembre 2023, a pour titre : Le cabaret africain.

Un spectacle très engagé politiquement qui rend hommage à toutes les cultures d’Afrique, à la culture algérienne en souvenir de Rachid Taha. Tahar a chanté : Je suis Africain. Méziane le reprend dans le film. Taha était très lié à Méziane.

L’olivier sauvage est le premier documentaire consacré à Méziane Azaïche...

Il y a eu des reportages pour la télévision, surtout au début. On le voit dans un documentaire intitulé La rockeuse du désert de Sara Nacer évoquer l’histoire de Hasna El Bacharia. Sinon, L’olivier sauvage est le premier documentaire consacré au créateur du Cabaret sauvage.

Votre film est-il sorti dans les salles et dans les festivals en France ?

Le festival de Saïda en Algérie est le douzième où L’olivier sauvage est programmé. En plus de la France, le documentaire a été projeté dans deux festivals en Italie et en Macédoine.

Le 12 octobre 2023, il sera projeté en Australie. Le 30 septembre, il est programmé à l’Institut du Monde arabe (IMA) à Paris à la faveur d’une grande soirée avec un débat animé par le journaliste Rabah Mezouane (programmateur aussi à l’IMA) et un concert aux couleurs du Cabaret sauvage avec le groupe Amzik (groupe d’expression kabyle créé par les frères Belkadi en 2016 et accompagné de Didine Kati). C’est une manière de rendre hommage à Méziane Azaiche...

Le documentaire plaît en France et à l’étranger. Mon souhait est que le film soit distribué. J’ai pris attache avec quelque distributeur, mais c’est très délicat. F. M.

Bio express

Kamel Azouz est un réalisateur, scénariste, photographe, critique de cinéma et journaliste culturel d’origine algérienne, né à Alger et résidant à Paris depuis 1999. Il est titulaire d’un DEA et d’une maîtrise en sciences politiques (Université de Paris VIII). Il a commencé sa carrière dans la presse au début des années 1990 à Alger, au sein de la Chaîne III (Radio algérienne).

Il animera et produira des émissions radiophoniques sur le 7e Art (Imagique, Étoiles, Le Journal du Cinéma). Il suivra des cours d’écriture de scénario dispensés et intégrera des ateliers de création cinématographique. Kamel Azouz réalisera en 2022 son premier long métrage L’Olivier sauvage, documentaire indépendant et autoproduit de 86 minutes, développé au sein des ateliers parisiens : réalisation du film documentaire, dirigé par le réalisateur Francis Brou.

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